« L’école est un service public vital pour notre pays et elle est au bord de l’asphyxie » affirme Grégoire Ensel. Dans cet entretien, Grégoire Ensel, vice-président de la FCPE décrit « une École sous une pression continue ». Il dénonce un projet politique qui affaiblit l’école publique. Dans un contexte de crises multiples de l’Ecole, la FCPE – à l’initiative d’une pétition – plaide pour une convention citoyenne de l’éducation : « il faut un élan, un mouvement pour construire collectivement et démocratiquement ce nouveau projet ». Grégoire Ensel répond aux questions du Café pédagogique.
Quel regard porte la FCPE sur l’École aujourd’hui ?
Aujourd’hui l’Ecole est sous une pression continue qui arrive de toutes parts. Elle est politique, avec des annonces de réformes ou des mesures à en avoir le tournis, comme par exemple les mesures liées au « choc des savoirs », en dessinant toujours un école rétrograde entravée dans son action par manque de moyens, j’y reviendrai. Des réformes ou des mesures annoncées avec grand bruit, parfois même pas mises en œuvre faute des moyens et rarement évaluées. Elle est sociologique, car force est de constater que bien des établissements ont une carte scolaire défavorable qui assigne à résidence bon nombre d’élèves, empêche les mobilités, empêche les enfants de rencontrer l’autre, d’accepter ses différences et d’apprendre à faire société ensemble. La pression de la compétition, il se dessine chaque jour un peu plus une école sélective, de plus en plus conçue pour trier les élèves, le refus du choc des savoirs en témoigne et ce n’est pas son acte 2 qui va arranger cela. Et enfin sous la pression du manque de moyens, on lui demande de tenir l’intenable avec toujours moins d’adultes dans les établissements scolaires alors que la baisse démographique est une extraordinaire opportunité pour notre pays. Nous ne demandons pas moins d’école mais mieux d’école.
La FCPE a lancé une pétition demande une convention citoyenne pour l’éducation. Pourquoi ?
Cela fait des années que des postes sont supprimés par milliers alors que les enfants et les familles ont besoin d’une école présente dans tous les territoires de la République, avec des enseignants formés, bien dans leur classe, des équipes prêtes à relever les défis auxquels elles sont confrontées. Les grandes annonces médiatiques se fracassent au quotidien des enseignants absents et non remplacés, des effectifs des classes intenables, d’enfants et d’adolescents malmenés par un monde traversé par tant de crises… Les parents constatent les écarts entre les annonces et la vie quotidienne. Revenons sur les enseignants non remplacés, ils ont bien entendu le droit d’être malades, de devenir parents, de se former… mais l’Etat a le devoir de les remplacer et de garantir l’égalité des chances. La colère des parents, des personnels, des élus, des territoires n’est pas entendue. Les résultats PISA et les rapports s’entassent et rien ne change. L’école est un service public vital pour notre pays et elle est au bord de l’asphyxie. C’est délétère et n’augure rien de bon. Nous avons la conviction que la montée de l’extrême-droite dans notre pays puise aussi sa force dans le terreau de cette colère, des travaux journalistiques commencent à le documenter. A la FCPE nous disons que cela suffit et qu’il est temps de rêver gros et grand pour notre Ecole publique. Nous n’y avons jamais renoncé, mais devant les coups de rabots, devant le manque de moyens nous devons collectivement refaire société autour de l‘école publique et lui redonner du souffle, de l’ambition, des perspectives. Il faut un élan, un mouvement pour construire collectivement et démocratiquement ce nouveau projet. Ce débat démocratique doit avoir lieu dans les territoires avec et pour les citoyens. La synthèse doit être faite par des citoyens à l’échelle nationale. Alors l’idée d’une convention citoyenne pilotée par le CESE, a germé dans beaucoup d’esprits, elle semble être la bonne entrée pour refonder, reconstruire l’école de la République, en veillant à en faire un grand débat démocratique qui irrigue et remonte des territoires. C’est le sujet de toutes et tous.
Vous écrivez de « toute urgence » : la situation est urgente d’après vous ?
Je l’évoquais il y a quelques instants, tous les maux de l’école sont connus, diagnostiqués. Les rapports parlementaires, les rapports de la cour des comptes, de l’OCDE sont nombreux, la littérature est abondante, documentée. S’il y a au moins un consensus, c’est que l’on ne peut pas continuer comme cela. L’urgence c’est aussi de profiter de l’envie de débat que l’on peut presque palper. Les collectifs sont nombreux, la publication de tribunes, de manifestes, de pétitions, de livres blancs etc. montre que ce sentiment d’urgence et d’absolue nécessité est largement partagé et que nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui veulent prendre leur part dans ce débat. Nous avons toutes et tous une histoire très forte, un lien avec l’école. Que nous ayons des bonheurs ou des chagrins d’école nous avons une idée, un avis sur ce qu’elle peut être ou ce qu’elle doit être. Notre société est en proie à des crises multiples. Sans vouloir noircir le tableau nous devons faire face à des enjeux majeurs qui sont démocratiques, écologiques, économiques, technologiques. L’école publique est l’une des clés majeures pour construire un monde nouveau. Elle est le creuset de toute société, elle est la fabrique des citoyens, la source régénérante de l’esprit républicain. Il faut cesser de jouer en défense.
Quelles sont les priorités de l’école pour la FCPE ?
Une école de l’égalité des chances et des territoires. Une école où l’on apprend à lire, écrire et compter mais aussi où l’on apprend à faire société ensemble, où l’on apprend à reconnaitre et à accepter l’autre dans ses différences, où l’on apprend à rencontrer l’autre et où l’on apprend à devenir un citoyen en se forgeant un esprit critique. Une école où l’on apprend à comprendre par le raisonnement et où le savoir est plus fort que les croyances. Une école qui certes instruit mais qui ne renonce pas à éduquer !
Nous ne renoncerons jamais aux missions de l’école publique imaginées par celles et ceux qui l’ont conçue au fil des décennies passées. Si elle est en panne aujourd’hui, c’est parce qu’elle manque de moyens pas parce qu’elle serait devenue obsolète, dépassée ou réservée aux plus pauvres. Celles et ceux qui instruisent un débat à charge contre le temps de travail des enseignants, les enseignements, les programmes, les rythmes scolaires, la mixité sociale et scolaire n’ont au final d’un projet, celui de finir de construire une école à deux vitesses. Ils l’affaiblissent plutôt que de lui donner les moyens de faire face aux défis qui sont devant elle.
Finalement, il s’agit de s’interroger collectivement sur l’école, ses moyens et ses finalités. Pensez-vous qu’il y ait un consensus dans la société sur les priorités de l’école ?
Nous en avons la conviction, regardez la grande consultation organisée il y a quelques mois par France Bleu, elle honore le service public audiovisuel, les contributions ont été riches, passionnées pour arriver à des propositions claires, nettes, mesurées. Loin des coups de com’, des annonces faites sans concertation ou des sondages réalisés à chaud pour légitimer une mesure, une réforme faite en réaction à un fait divers ou à un autre sondage. Les deux précédentes conventions citoyennes ont été parfaitement pilotées par le CESE et exemplaires, ce qui ne l’a pas forcément été c’est la traduction des mesures proposées dans la loi… Mais il en reste quelque chose, d’ailleurs nous en parlons aujourd’hui. On ne perd jamais son temps à débattre, concerter, proposer, construire du consensus et à faire se rencontrer des citoyens qui ne se connaissent pas. C’est l’essence même de la démocratie ! Aujourd’hui, notre demande de convention citoyenne fait son chemin. Le fait que ce soit une fédération de parents d’élèves qui porte ce drapeau a beaucoup de sens et permet à des organisations syndicales et à des mouvements d’Education populaire de nous rejoindre. La pétition que nous portons désormais à plusieurs montre qu’un élan collectif, un mouvement se structure dans le respect des forces de chaque organisation car lorsqu’il s’agit de promouvoir et de défendre l’école publique nous savons additionner nos forces. Plus nous serons nombreux à porter cette ambition, à la partager, plus nous pourrons reconstruire l’école publique et faire société autour d’elle tenant ainsi à distance celles et ceux qui se satisfont de ses faiblesses et en contestent même l’existence comme les savoirs qu’elle dispense.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
En soutenant le Café pédagogique, vous accompagnez un média indépendant. Depuis 2001, grâce à vous, le Café pédagogique vous accompagne au quotidien sur les chemins tortueux de l’École. Nous sommes présents dans les classes pour faire connaître vos réalisations. Vous pouvez nous soutenir par un abonnement à 5 euros par mois.
Pour recevoir notre newsletter chaque jour, gratuitement, cliquez ici.