Fin septembre 2008, la CDIUFM, la CPU et les ministres de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur ont signé une « charte de la formation des enseignants ». André Ouzoulias analyse pour nous les aspects nouveaux de ce texte et en montre les insuffisances.
La Conférence des Présidents d’Université (CPU), la Conférence des Directeurs d’IUFM (CDIUFM) et les deux ministères concernés (de l’éducation nationale, d’une part, de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’autre part) ont présenté mardi à la presse un texte dont ils sont signataires, intitulé « Charte relative à la réforme du recrutement et de la formation des enseignants » (L’expresso du 30/09). Ce texte a pour objet de définir les « principes directeurs » de la réforme. Par voie de conséquence, il définit le cadre des discussions engagées depuis la rentrée pour préciser ce que doivent être les mastères et leur lien avec la formation des maîtres. Faisant l’objet d’un consensus officiel entre les principales institutions concernées (ministères, universités et IUFM), il dessine donc aussi les contours de la réforme.
En fait, cette charte reprend au mot près le texte que la CPU a rendu public le 21 septembre sous le titre de « projet de charte ». Or, pour rédiger ce projet, la CPU était elle-même partie du texte dit des « 10 principes » du ministère rendu public le 12 septembre (cf. L’Expresso du 19/09). Il n’est donc pas étonnant, quand on compare les deux textes (les « 10 principes » et la charte), que les deux visions apparaissent très proches l’une de l’autre.
Timing maintenu
La charte reprend à son compte l’agenda imposé par le ministère : la réforme « entrera en vigueur pour une première session de concours en 2010 ». L’étau demanderait pourtant à être desserré, au moins pour les universités qui doivent faire habiliter leur plan quadriennal en déposant leurs maquettes de mastères le 15 octobre prochain, alors qu’elles n’ont aucune précision officielle sur les épreuves des concours, ni sur la possibilité d’organiser des stages de pratique accompagnée ou en responsabilité au cours du mastère, ni même sur le cadre national des mastères enseignement (on sait en tout cas que le nombre de places aux concours sera sévèrement réduit, car le ministère du budget a obtenu la suppression de 3 000 d’entre elles).
Abandon du pilotage par l’employeur
Les « 10 principes » constituaient une forme de déclaration d’abandon par l’employeur de toute volonté de piloter la formation des maîtres… La charte consacre cet abandon : « Compte tenu de l’autonomie et de la responsabilité des universités, celles-ci, qu’elles soient dotées d’un IUFM ou non, doivent être libres de proposer des parcours adaptés… ». Le seul levier qui reste à l’employeur avant l’année de certification est la maîtrise du moment où se passent les concours et de la nature des épreuves. Mais les informations qui ont filtré récemment sur les quatre projets d’épreuves soumis à la discussion laissent penser que le ministère porte une conception très discursive des aptitudes pédagogiques attendues des futurs enseignants avant la prise de fonction.
Abandon de l’alternance
Comme dans le texte des « 10 principes », les dispositions prévues par la charte font des deux années de mastère (M1 et M2) une sorte de préprofessionnalisation, car l’accès à l’expérience pratique, en responsabilité, ne surviendra qu’à l’issue du mastère, au cours de l’année de certification.
Une vision vague et discutable de la compétence professionnelle
Le volet « professionnel » est mis sur le même plan que les trois autres : disciplinaire, épistémologique et didactique… La charte dit en effet : « la place prise par chacun de ces blocs est à l’évidence variable et leur articulation diffère selon les parcours, mais jamais une formation ne devra pouvoir ignorer un de ces aspects, ce qui sera à vérifier au moment des demandes d’habilitation. » On peut s’étonner que le volet professionnel ne soit pas le centre de gravité de la formation des enseignants dans le cadre d’un « mastère professionnel » ; on peut aussi considérer que séparer ainsi le volet professionnel et le volet didactique relève d’une curieuse conception du « professionnel » et de la didactique.
En outre, quand elle définit le « volet professionnel » (en fait préprofessionnel), la charte est plutôt vague. Ce volet, dit-elle, « aborde les différentes facettes du métier d’enseignant et le rôle d’agent du service public d’éducation ». Elle ne fait aucune relation explicite avec l’expérience pratique, ni avec la capacité à analyser les problèmes que l’enseignant y rencontre et à concevoir des alternatives.
Les stages semblent même optionnels. Citons : « La formation universitaire des maîtres pourra associer, comme dans tout master, des enseignements de nature disciplinaire, des ateliers de projet et d’échanges d’expérience, et des périodes de stage. » Le mot « stage » n’est utilisé qu’en deux endroits, pour évoquer l’intérêt d’un stage dans un établissement scolaire en L3 pour les étudiants qui se destinent à l’enseignement… et dans ce passage, pour parler des différentes maquettes admissibles des mastères. La charte ne parle même pas de stages d’observation ou de pratique accompagnée, comme le faisait le ministère.
Une année de certification low cost ?
Rêvons un peu : l’année qui suit le concours pourrait s’organiser selon un fonctionnement à mi-temps en responsabilité, par exemple dans 3 grands stages de 6 semaines, en alternance avec des moments d’analyse de la pratique et de préparation de classe, animés par un encadrement pluricatégoriel. La préprofessionnalisation durant le mastère serait alors suivie d’une année authentiquement professionnalisante. Et l’on atténuerait ainsi les principaux défauts des années M1 et M2. Mais ce système ne permet pas de faire des économies par rapport à l’actuel ; il est évidemment plus coûteux que ce qui est envisagé, semble-t-il, a savoir, pour les professeurs des écoles, un cheval de responsabilité et une alouette de « compagnonnage » (3 h sur 24 par semaine). On peut penser que la discrétion de la charte sur ce sujet est une façon de contredire le scénario minimaliste du ministère. Mais c’est une interprétation bien optimiste.
Émiettement et verbalisme
En fait, sans des précisions comme, par exemple : « le principe suivi par les universités dans la formation professionnelle des enseignants est celui de l’alternance ; un tiers du temps de formation au moins doit être utilisé à des stages ; la formation doit donner lieu à de nombreux moments d’analyse collective de ces expériences pratiques dans la classe en responsabilité », on ne peut que redouter un émiettement de la formation entre une multitude d’intervenants, en même temps qu’une dérive vers le verbalisme, où, par exemple, le fait d’étudier des textes sur les difficultés scolaires — ce qui, au demeurant, est indispensable — passera pour armer le futur maître pour les prévenir ou y remédier. Comment évitera-t-on que les défauts du modèle actuel de formation des maîtres, trop éloigné des exigences du métier, ne soient fortement accentués ? En quelque endroit, ils pourront l’être jusqu’à la caricature. À l’heure où la France préside l’UE, il est significatif que le texte de la charte ne reprenne pas à son compte la notion de « praticien réflexif » qui est utilisée par les instances européennes.
Encore plus de bachotage
La place du concours au milieu de M2 pour les épreuves écrites d’admissibilité et à la fin de M2 pour les épreuves orales d’admission accentuera un autre défaut majeur du système actuel : le bachotage. Il durera désormais quatre semestres au lieu de deux actuellement. Il ne faut pas oublier qu’une sélection aura lieu aussi, comme c’est la règle, pour passer de M1 à M2… Deux évaluations sélectives en fin de M1 et en fin de M2 et deux séries d’épreuves en M2 seront-elles la garantie d’une formation plus attentive aux exigences du métier ?
Le rôle des IUFM dans le flou
Enfin, doit-on considérer comme un point positif le fait que la charte indique, comme les « 10 principes » le disaient déjà, que les universités « s’appuieront sur les compétences nécessaires dans le cadre du processus d’intégration des IUFM au sein des universités » (dans un texte comme dans l’autre, c’est la seule référence au rôle des IUFM dans la formation). Cela demanderait à être précisé : quelles en seront les modalités ? Est-il envisagé que les universités d’une même académie participant à la formation des maîtres passent une convention avec l’IUFM ? Avec quels rôles pour l’IUFM ? Sur quelles compétences des IUFM les universités s’appuieront-elles ? Enseignement ? Formation initiale ? Formation continue ? Recherche ? S’il n’y a aucun stage en responsabilité, que devient l’analyse des pratiques (préparation et retour des stages, ateliers d’analyse de pratiques, visites en doublettes, microenseignement, vidéoformation, etc.) ? Comment empêcher, alors, que les formateurs permanents ne soient progressivement métamorphosés en enseignants et qu’à terme, ils s’éloignent du réel (des publics, des pratiques, des problèmes professionnels des maîtres) ? Le mémoire de mastère pourra-t-il encore être « professionnel » ?
Rien sur la démocratisation du recrutement
La charte reprend l’idée paternaliste de « bourses au mérite », qui constitue une rupture avec la tradition française depuis la Libération, où les allocations sont attribuées sur critères sociaux. Or l’enjeu sera encore plus important demain : il faudra permettre aux jeunes des milieux populaires de s’investir dans une formation d’enseignant, tandis qu’elle ne débouchera que 6 années après le bac sur un emploi et, au moins provisoirement, sur un emploi garanti (le statut de fonctionnaire est maintenu).
Alors, n’y a-t-il vraiment rien de neuf dans cette charte ? En fait, il faut mentionner trois évolutions significatives par rapport aux « 10 principes ». Mais, à la réflexion, elles pourraient bien n’être que des clauses verbales. Voyons :
1. La charte réintroduit la référence au cahier des charges national de la formation des maîtres (arrêté du 19/12/2006) qui ne figurait pas dans le texte des « 10 principes ». Il reste à préciser comment la formation universitaire tient compte de ce cahier des charges. Cela ne sera pas aisé. En effet, si la formation se déroule en M1 et M2 sans aucun stage en responsabilité, on voit mal comment les futurs enseignants pourront vraiment développer certaines des dix compétences de ce cahier au cours de ces deux années, par exemple :
« – Concevoir et mettre en œuvre son enseignement.
– Organiser le travail de la classe.
– Prendre en compte la diversité des élèves.
– Évaluer les élèves.
– Travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école. »
(BOEN du 4 janvier 2007)
2. La charte parle des liens à construire entre licences et mastères enseignement. Là aussi, c’est la manière dont ces liens seront précisément envisagés qui sera décisive, mais la discussion s’ouvre sur un sujet très important sur lequel le document ministériel était silencieux. Hélas, on peut craindre que la bonne idée ne soit d’emblée compromise par la logique du pilotage par l’aval : quelle université prendra le risque de développer des licences en décalage avec ses mastères ? Et quelle sorte d’influence auront ces derniers sur les licences s’ils sont marqués par la conception des compétences professionnelles de l’enseignant qu’explicite la charte : « Enseigner est un métier intellectuel et de relations humaines… », où le métier est défini par une culture (qui le nierait ?) et par une aptitude relationnelle (peut-on s’y former ?), mais non par des capacités à réguler la pratique.
3. La charte dit que la formation initiale et la formation continue doivent être pensées de façon coordonnée. Mais, les dispositions envisagées pour le volet (pré)professionnel de la formation initiale aboutissent à une diminution des moyens de remplacement pour la formation continue. C’est ainsi que, dans le premier degré, la suppression des stages en responsabilité en deuxième année de formation initiale fera disparaître un peu plus de 150 000 journées de stage pour les titulaires !
D’après les annonces faites au début de l’été, le projet de réforme était analysé par Daniel Perrin, mathématicien, professeur des Universités à l’IUFM de Versailles de la manière suivante : « Je pense que cette réforme implique pratiquement la disparition de la formation professionnelle des enseignants, qui va avoir des conséquences catastrophiques » (http://educmath.inrp.fr/Educmath/en-debat/Master_enseignement/d-perrin). Hélas, sur le fond du dossier, les évolutions récentes ne nous autorisent pas à réviser ce jugement. La charte ne remédie pas aux défauts les plus graves du projet gouvernemental. Il semble même que ses principales options se trouvent maintenant confortées.
André Ouzoulias
professeur à l’IUFM de Versailles-UCP (Université de Cergy-Pontoise)
Département PEPSSE (Philosophie, épistémologie, psychologie, sociologie et sciences de l’éducation)