A force de se l’entendre dire, on s’en convainc : « L’économie c’est complexe » et réservé à une élite qui seule peut se repérer dans ses méandres, et en comprendre les implications et enjeux. C’est à cette mécanique infantilisante de confiscation du savoir que s’attaque Thomas Porcher, membre des économistes atterrés et docteur en économie de l’université Panthéon-Sorbonne, dans une bande dessinée, illustrée par Ludivine Stock et scénarisée par Raphaël Ruffier-Fossoul, L’Economie pour les 99% : autrement dit l’économie pour ceux et celles qui « font tourner la société » au service des « 1% les plus riches » …
Un double objectif
L’ouvrage repose sur deux idées-forces : les aspirations des citoyen·nes ne cessent de se cogner à un plafond de verre, qui leur répond inflation, mondialisation, dette publique, déréglementation, flexibilisation, agences de notation …, et les persuade « que les sujets économiques, trop complexes pour eux », doivent être laissés aux expert·es. Mais renoncer à comprendre l’économie, explique d’abord l’auteur, c’est laisser le champ libre aux « libéraux » pour « façonner le monde à leur guise ».
Seconde idée-force : l’économie n’est pas une « science dure » fondée sur des vérités partagées. « Il suffit d’assister à un séminaire de recherche pour s’en rendre compte » : on s’y dispute « sur la pertinence des modèles » et sur « les recommandations de politiques économiques ». En revanche les médias, en privilégiant une seule et même ligne d’analyse, qu’on peut qualifier de libérale, au détriment d’autres discours, donnent l’illusion qu’un consensus se dégage autour de certain·es analyses ou choix, quand d’autres options, en réalité, existent. Ce fut le cas, entre autres exemples, raconte l’auteur, lors de la réforme de l’ISF à propos de laquelle « les médias ont très peu donné la parole aux économistes [qui] contestaient le fait qu’elle puisse bénéficier à l’investissement et à l’emploi ».
L’ouvrage se donne donc ces deux objectifs : « rendre l’économie concrète et accessible à tous et à toutes », afin que chacun puisse « se rapproprier un débat trop souvent confisqué » ; proposer un discours alternatif au discours dominant, pour interroger les « dérives du libéralisme », et réfléchir à la possibilité « d’autres modèles », promouvant « plus de justice écologique et sociale ».
Un pari réussi
L’économiste se met lui-même en scène dans ce voyage. Invité par les salarié·es d’une raffinerie Pétroplus à participer à une conférence, le voilà finalement embarqué sur le terrain, à visiter le site, rencontrer des agriculteurices, manger chez Zoé, jeune militante pour le climat, et son père banquier qui jouera tout au long du récit le rôle de contradicteur, ou encore à partager un barbecue…
C’est vivant, souvent drôle, et très pédagogique : dessins dynamiques, ruptures d’échelles, dialogues enlevés … tout participe à rendre l’ensemble le plus accessible possible. Bien sûr il faut, quand on est totalement néophyte, s’accrocher un peu, mais cela en vaut la peine. Et on sort de la lecture avec la conviction que si l’on n’a pas tout compris tout de suite, on pourra y revenir, parce que finalement l’économie appartient bien à chacun.e d’entre nous.
La BD, qui pourra devenir aisément un support pédagogique exploitable en classe, se termine par une proposition de « 10 principes d’autodéfense contre la pensée dominante », dont on retiendra notamment qu’il ne faut jamais se laisser « imposer les limites du possible ». A méditer …
Claire Berest