Enseignant en SEGPA Antoine Zito partage déjà depuis longtemps sur les réseaux « des dessins inspirés » de son quotidien. Il passe cette fois à l’écriture bédéesque pour raconter, dans Bienvenue à la SEGPA, le parcours d’une classe de cette section adaptée, sur ses 4 années de collège, à travers les yeux d’un enseignant débutant. Car au fil des mois, ce ne sont pas que les élèves qui vont grandir ! Une histoire faite de difficultés, mais aussi de fierté recouvrée, d’ambition possible, d’apprentissage réciproque du respect, et de reconstruction d’enfants souvent mis à mal par la vie, par l’institution scolaire et par les préjugés. Entrons dans leur classe. Nous y sommes les bienvenu·es. On y travaille, on y échange, on s’y dispute parfois, on y rit, aussi, beaucoup. Bref, on y apprend à faire Ecole…
Qu’est-ce qu’une SEGPA ?
La Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté est une structure du collège dédiée aux élèves qui rencontrent des difficultés scolaires importantes, persistantes et qui nécessitent un enseignement adapté. Ces élèves ne bénéficient pas d’un recrutement classique. En général, leur orientation en SEGPA se fait en fin de primaire ou début de collège sur décision de la commission départementale d’orientation après évaluation de leurs besoins éducatifs. Les familles ont le dernier mot pour accepter ou non l’orientation en SEGPA à la fin du cycle 3.
L’équipe pédagogique en SEGPA est constituée de professeurs spécialisés et de professeurs de collèges. Nous travaillons ensemble pour proposer des parcours adaptés, afin de répondre aux besoins spécifiques de chaque élève. Les programmes du collège sont à la base de notre réflexion, mais nous les adaptons pour qu’ils correspondent aux besoins spécifiques des élèves. La SEGPA intègre également des modules de découverte professionnelle, visant à préparer progressivement les élèves à une orientation professionnelle après la troisième, en CAP principalement. Les horaires sont aménagés afin de donner une place importante aux enseignements professionnels : 6 heures en 4e et 12 heures en 3e.
La SEGPA dans laquelle je travaille compte 65 élèves répartis en quatre classes : 6e, 5e, 4e, 3e. Nous avons en moyenne 16 élèves par classe pour nous permettre de mieux gérer les besoins spécifiques de chacun. A la fin de la 3e, les élèves passent le Certificat de Formation Générale (CFG), et certains peuvent également préparer un brevet professionnel (le DNB pro), qui permet de valider leur parcours scolaire.
Quel a été votre parcours personnel avant que vous ne postuliez pour enseigner en SEGPA ?
Avant que je ne postule pour devenir enseignant en SEGPA, j’ai enseigné une année en CE2 en REP. Avant ça, j’ai travaillé plusieurs années comme animateur en accueil de loisir. J’ai principalement eu à encadrer des groupes d’adolescents. J’ai beaucoup travaillé avec des jeunes issus de quartiers défavorisés. Parallèlement à mon travail, j’ai étudié les Arts Plastiques à l’université de Saint-Etienne puis j’ai enchaîné sur un Master MEEF pour devenir enseignant. En septembre, j’ai fêté ma onzième rentrée en SEGPA.
Vous avez au départ postulé pour des raisons de mutation. Mais on voit éclore, au fil du récit, un intérêt véritable pour cet enseignement spécialisé. Et de la même manière que vos élèves construisent leur identité, vous « devenez » prof de SEGPA. Qu’avez-vous dû déconstruire et construire pour y parvenir ?
Comme tous les enseignants le savent, la première année de titularisation est souvent synonyme d’éloignement géographique. Le meilleur moyen de ne pas être trop loin de chez soi est de se positionner sur des postes spécialisés. Lorsque j’ai postulé, je ne savais pas vraiment ce qu’était une SEGPA. Pour autant, j’avais eu la chance de travailler dans une école hors contrat l’année avant l’obtention du concours et j’avais eu à gérer des classes d’élèves du collège qui étaient en grande difficulté scolaire, en phobie scolaire, etc.
Ceci étant, j’ai eu à apprendre à travailler avec ces élèves. Au départ, j’ai appliqué une pédagogie classique assez rigide. Les élèves m’ont vite fait comprendre que je devais déplacer mes exigences et surtout être plus clair : donner du sens, prendre le temps et proposer une pédagogie différente. Quand on a comme eux connu une scolarité enveloppée d’échecs, on a vite fait de devenir méfiant vis-à-vis de l’institution. J’ai dû revoir mon positionnement pour leur montrer que je n’étais pas là pour les faire souffrir et que l’école peut être un lieu où il fait bon vivre. Il faut gagner leur confiance et leur respect pour qu’ils acceptent de travailler.
Une des erreurs que j’ai commises a été de ne pas voir lorsqu’un élève se retrouve face à une difficulté, mais préfère la dissimuler derrière un masque d’élève rebelle et nonchalant. Avec le temps j’ai appris à reconnaître ces réactions pour éviter la confrontation. L’idée, c’est de trouver un moyen pour que l’élève accepte de se mettre au travail, quitte à faire face à ses difficultés. Ce n’est pas toujours évident et encore aujourd’hui, je n’y parviens pas toujours.
J’ai rapidement appris à utiliser l’humour comme levier pédagogique. Je n’en connais pas de plus efficace !
On vous voit souvent participer à des réunions d’équipe pédagogique, discuter avec les collègues, monter des projets interdisciplinaires : cette dimension collective est-elle importante dans une classe de SEGPA ?
Oui cette dimension est particulièrement importante. Travailler en équipe nous permet de partager nos difficultés, nos réussites et de trouver des solutions ensemble. J’ai beaucoup profité de l’expérience de mes collègues quand je suis arrivé. Ils m’ont donné des ressources, des conseils, parfois même des séquences d’apprentissage complètes. J’ai la chance de travailler avec une équipe fixe depuis plusieurs années, certaines et certains depuis le début. C’est précieux. Quand on passe de longues heures avec des élèves qui peuvent être dans l’opposition et qui peuvent parfois exploser, c’est vraiment important d’avoir un espace et des collègues à l’écoute. On a tous une sensibilité et des approches différentes et c’est toujours intéressant de les confronter.
C’est aussi important, du point de vue des élèves, de voir que l’équipe est soudée et que les informations circulent. Nous sommes toujours raccord les uns avec les autres et c’est sécurisant pour les élèves de voir que nous sommes cohérents.
Cette dimension nous permet aussi de mener des projets pédagogiques pluridisciplinaires pour montrer aux élèves qu’on peut faire des ponts entre les matières.
Votre récit s’écoule sur 4 ans à travers lesquels on suit une cohorte de la 6ème à la 3ème qui évolue et se soude peu à peu en groupe, comme en témoigne la dernière case. La durée est aussi une dimension importante du travail en SEGPA ?
Le fait d’avoir les mêmes élèves pendant quatre ans est une dimension importante. C’est souvent positif et cela nous permet de construire une vraie relation de confiance avec eux et entre eux. Il n’est pas rare que des élèves repassent nous voir pour nous donner des nouvelles après avoir quitté le collège.
A l’inverse, il faut aussi parfois composer avec des classes difficiles ou des élèves qui ne parviennent pas à accepter la SEGPA et les contraintes du collège. On doit alors tenter de trouver des solutions pour garantir la sérénité nécessaire aux apprentissages.
Il arrive aussi que des élèves viennent s’ajouter en cours de cursus. Notre rôle est de s’assurer que l’intégration se fasse et que l’élève trouve sa place. Généralement, les élèves sont plutôt ouverts.
Le rythme de narration fait s’imbriquer dans le récit vie quotidienne et temps forts, qui marquent à la fois la vie, souvent difficile, des élèves et celle de l’enseignant. Pouvez-vous revenir sur ce choix de construction ?
Quand j’ai construit mon histoire, je voulais parler des élèves. Le personnage principal du professeur était un moyen de placer un observateur pour permettre au lecteur de réfléchir avec ce personnage pour qu’une compréhension, de la SEGPA et de ses acteurs, se construise tout au long du récit. Avant d’écrire mon scénario, j’ai d’abord élaboré l’histoire de chaque personnage, leur caractère, leurs expériences et leur évolution. Les élèves présents dans ma BD n’ont jamais existé. Ils sont la synthèse de plusieurs profils que j’ai croisés dans ma carrière. J’ai simplement essayé d’être le plus représentatif des profils avec lesquels je travaille. Je voulais aussi que les élèves soient réalistes. J’ai passé beaucoup de temps à créer les personnages jusque dans leur design qui évolue au fil des années.
A partir de ces éléments, j’ai pu élaborer un récit qui puise dans mes expériences et qui s’aligne avec les personnages que j’ai créés.
Mes choix de narration répondent à une contrainte forte que je me suis imposée dès le départ : comment rendre l’histoire d’un jeune enseignant qui découvre la SEGPA la plus intéressante possible ? Je voulais que les lecteurs, notamment ceux qui ne sont pas enseignants, puissent s’identifier et avoir envie d’en savoir plus. Une autre contrainte que je me suis imposée est la temporalité de l’histoire qui s’étale sur quatre ans. Même si j’ai eu la place de m’exprimer, il fallait que le temps passe parfois plus vite. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de dessiner des scènes muettes pour représenter le quotidien qui s’écoule. Parce que c’est aussi ça enseigner : des jours qui passent sans que rien d’extraordinaire n’arrive.
Bienvenue à la Segpa : un bien joli titre aux multiples destinataires, qui résume finalement votre démarche ?
Quand j’ai présenté mon livre et sa couverture pour la première fois sur les réseaux sociaux, un collègue a parlé de mon histoire comme une BD « Feel Good » sur la SEGPA et je suis totalement en accord avec cette idée. Nous avons longtemps réfléchi à un titre avec mon éditrice et je suis content qu’il s’agisse de celui-ci. Il decrit bien ce que j’ai voulu montrer de la SEGPA. Cette section, loin des stéréotypes qui sont véhiculés trop souvent, est un lieu où l’on peut réapprendre à aimer l’école et avoir de nouveau confiance en ce qu’on l’on est capable de faire.
Et ce n’est pas uniquement valable pour les élèves…
Propos recueillis par Claire Berest
Bienvenue à la SEGPA, Antoine Zito. Editions Leduc Graphic.
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