Comment décrypter la désinformation avec des élèves ? Face à la prolifération des hoax et l’évolution rapide des médias, Delphine Poirier, enseignante de français, mène un projet interdisciplinaire en 5ème au collège Pierre Vernier à Ornans (25). A raison de 2 heures par semaine, les collégiens se regroupent en petites équipes de rédaction pour produire des articles. « Nous avons travaillé sur la validité d’une information pour amener les élèves à aiguiser leur esprit critique », explique l’enseignante. Présenté au 10ème Forum des Enseignants Innovants, le travail de Delphine Poirier regorge de ressources aisément transposables.
Pourquoi ce projet ?
Depuis la mise en place des itinéraires de découvertes (IDD), en 2002, nous avions fait le choix au collège Pierre Vernier de cibler tout le niveau 5ème et de privilégier des projets de classe à l’année. Chacune s’investissait deux heures par semaine dans un projet interdisciplinaire différent : six disciplines et une douzaine d’enseignants se trouvaient alors impliqués dans le dispositif.
Ma collègue professeur documentaliste, qui m’avait déjà incitée à expérimenter le travail sur tablette numérique, avait monté, cette année-là un dossier de projet innovant pour mettre en place une webradio au collège. C’est ce qui nous a donné l’idée et l’envie de travailler tout au long de l’année scolaire avec nos élèves sur les médias, et en particulier les nouveaux médias. Nous avons tout simplement appelé ce projet « classe média ».
Il s’agissait d’un nouvel IDD attribué à une classe de 5ème dont la moitié des élèves était déjà engagée dans une option sport. Nous avons donc proposé à notre direction de travailler avec la deuxième moitié de la classe afin que ces 13 élèves de 5eme ne se retrouvent pas sans projet. Par ailleurs, pouvoir travailler à deux enseignants avec une demi-classe était un véritable luxe !
J’avais aussi été contactée par le rédacteur en chef de macommune.info, site d’informations locales, qui souhaitait monter un partenariat avec 3 établissements de l’Académie de Besançon afin d’apporter sa contribution à l’éducation à l’information des collégiens. Deux enseignantes, deux heures par semaine, une demi-classe, une webradio toute neuve, le rédacteur en chef d’un média pure player prêt à travailler avec nous, les conditions étaient idéales pour la mise en route et la réalisation de cette expérimentation.
Ce projet a été mené un an avant la réforme des collèges et l’introduction officielle de l’EMI dans les programmes mais ma collègue et moi-même sentions déjà toute l’importance qu’il y avait à former nos élèves à un bonne lecture des informations circulant sur internet car après un rapide sondage, plus de la moitié de notre groupe d’élèves de 5ème possédait déjà plusieurs comptes sur les réseaux sociaux et tous avaient été les victimes, plus ou moins conscientes, de fausses informations ou de rumeurs.
Votre établissement a donc toujours des « itinéraires de découvertes » …
Oui, dès les premières années, l’ensemble de l’équipe pédagogique avait compris tout l’intérêt et la plus-value du travail interdisciplinaire pour faire progresser les élèves dans le domaine des compétences transdisciplinaires (recherches documentaires, travail en équipe, gestion de projet, productions orales et écrites, etc.)
Cette politique de l’établissement, remise en question chaque année au moment de la DHG, a néanmoins pu être maintenu, parfois de justesse, jusqu’à la réforme des collèges. Les EPI ont pris assez naturellement le relais des IDD quoique la disparition de ces deux heures hebdomadaires qui venaient en plus de nos heures d’enseignement nous ait contraint à fortement alléger nos projets.
Quels sont les outils utilisés au cours des séances ?
La première séance visait évidemment à présenter ce projet annuel mais surtout à motiver et à fédérer le groupe d’élèves désignés pour faire partie de cette classe média pendant un an. Pour cela, après un brainstorming sur leurs représentations des médias, chaque groupe a créé puis élu le logo de la classe média, logo qui accompagnerait chaque article publié sur le site du collège par la classe. Pour réaliser ce logo, les élèves ont utilisé les sites nuagesdemots.fr et tagxedo.com.
Après quelques activités sur la presse papier, les élèves ont ensuite travaillé sur des sites de presse en ligne : 1jour1actu.com est le site sur lequel ils avaient le plus plaisir à lire l’information parce que les supports y sont variés. Très vite, nous nous sommes rendus sur le site d’informations locales de notre partenaire macommune.info. Les élèves ont été amenés à analyser la construction et le fonctionnement d’un site d’informations en ligne et ont pu interviewer puis travailler pendant trois séances avec le rédacteur en chef de macommune.info. Avec son aide et ses conseils, les élèves ont appris les bases de l’écriture journalistique, du titre au chapeau, en passant par le contenu d’un article.
En parallèle de ce travail sur l’information écrite, nous avons également assez vite fait découvrir aux élèves le format radio car la production finale de notre projet était l’enregistrement d’une émission webradio. Pour cela, nous leur avons fait analyser de nombreux podcasts tirés d’émissions de France inter et de France info junior que les élèves écoutaient sur tablettes numériques. Quelle information traitée ? Sous quel angle ? Pourquoi ? Telles étaient les questions auxquelles ils devaient répondre.
Pour chaque activité proposée, les élèves avaient pris l’habitude de se regrouper en petite équipe de rédaction. Chaque groupe avait une tache différente à réaliser et une synthèse, souvent sous forme d’article ou d’enregistrement sonore à produire pour la fin de la séance.
Nous avons également travaillé sur le circuit de l’information, de l’origine de l’information jusqu’à sa publication et créé des infographies grâce à l’outil en ligne easel.ly
Enfin nous avons travaillé sur la validité d’une information pour amener les élèves à aiguiser leur esprit critique et à comprendre l’intérêt mais aussi les limites des réseaux sociaux. Pour cela, nous avons fait découvrir à nos élèves le site parodique local lechodelaboucle.fr afin de mettre en parallèle les informations figurant sur le site macommune.info et celle figurant sur le site parodique.
Un article a particulièrement retenu l’attention des élèves car, sur Besançon, l’affaire avait fait grand bruit ! En effet, tout le monde avait entendu parler de cette araignée qui s’était échappé de la Citadelle et qui était allée pondre ses œufs dans un canapé d’un habitant du centre-ville de Besançon. Cette information, parce qu’effrayante, et quelque part très plausible, avait fait le tour des réseaux sociaux en quelques heures, et inquiété tout Besançon. Les pompiers avaient été submergés d’appels pendant plusieurs semaines, des habitants étant convaincus d’avoir retrouvé les œufs chez eux ! Une véritable rumeur qui avait bien eu du mal à s’éteindre. Notre journaliste de macommune.info avait lui-même cru à l’information avant de découvrir, après recherches, que l’origine de l’information venait d’un site parodique.
Travailler sur cet article avec nos élèves a été très formateur : ils ont compris ce qu’était un site parodique, comment, pourquoi et à quelle vitesse se répandait une rumeur, et surtout ils ont saisi l’importance, pour le journaliste mais aussi pour n’importe quel internaute, de bien vérifier les sources de l’information, non seulement avant d’y croire mais aussi et surtout avant de la diffuser.
Comment vos élèves définissent-ils la rumeur ? Et la désinformation ? En quoi ont-ils eu l’impression d’être plus armé à l’issue du projet face aux hoax ?
Le travail sur cet article ancré dans la réalité locale nous a permis d’entamer un véritable travail sur les hoax, la rumeur et la désinformation.
Cette séquence, nous l’avions préparée en amont avec ma collègue dans le cadre du MoocMédias 2016 de l’Académie de Besançon, en partenariat avec le collège de Chaussin (39), d’un professeur d’Anglais et du professeur documentaliste de l’établissement. Ce qui nous a permis de croiser nos réflexions et nos documents.
Les élèves sont entrés facilement dans cette discussion sur la rumeur en l’axant très vite sur les réseaux sociaux. Chacun de nos élèves avait déjà été confronté à la rumeur par ce biais et tous avaient déjà bien compris qu’internet et les réseaux sociaux étaient devenus les nouveaux canaux privilégiés de diffusion et de propagation des rumeurs er des fausses informations.
Par étape, en petits groupes d’abord puis de façon collective, ils ont cherché à définir la rumeur grâce une carte mentale créé sur le site mindmup. Nous les avons invités à réfléchir sur ce qu’était une rumeur et qui pouvait en être les auteurs, pourquoi ce principe fonctionnait et comment elle se diffusait. Ils ont également réfléchi à la forme et le contenu de la rumeur et se sont enfin demandé comment stopper la rumeur. Les échanges ont été riches et la synthèse sous forme de carte mentale a, je pense, permis aux élèves de véritablement fixer leur réflexion.
Ils ont compris qu’une rumeur était soit un mensonge, soit une mauvaise interprétation d’une information, qu’elle pouvait aussi bien être lancée par une personne malveillante et manipulatrice que par un journaliste mal informé ou trompé par sa source, qu’elle fonctionnait souvent parce qu’elle ressemblait à une information réelle et que l’internaute avait généralement confiance en celui qui lui transmettait cette information.
Ils ont également pu s’apercevoir qu’il n’était pas facile de stopper une rumeur, et que certaines circulaient sur internet depuis plus de 40 ans malgré les nombreux démentis (c’est le cas notamment de cette rumeur sur les additifs alimentaires qu’un député a récemment relancé malgré lui le 12 février dernier). Nous avions d’ailleurs déjà travaillé cette rumeur avec nos élèves lors de notre séquence…
Pour tenter d’arrêter la rumeur, nous avons montré à nos élèves qu’il existait des outils permettant de remonter à la source d’une image (tineye ou googleimages) ainsi que des sites spécialisés dans la dénonciation des fausses informations (hoaxbuster)
Nous avons enfin parlé de l’attitude citoyenne que tout internaute doit avoir à partir du moment où il est aujourd’hui lui aussi responsable de l’information qu’il choisit de diffuser ou de faire circuler sur internet. Chaque internaute a donc la responsabilité de vérifier avant de diffuser, de ne pas partager une information dont la véracité n’est pas avérée et même de dénoncer les mensonges et les rumeurs circulant sur internet et les réseaux sociaux en particulier.
A l’issue de ce travail sur la rumeur, les élèves ont tenu à informer et à sensibiliser leurs camarades en créant des slogans sur recite.com et quozio.com afin de prévenir contre la rumeur. Ils ont également construit une émission radio entièrement consacré à l’apparition et à l’usage de ces nouveaux médias.
Comment « radio campus » et « macommune.info » de Besançon vous ont aidés ? Et Samuel Etienne ?
Il est vrai que si les élèves se sont autant investis tout au long de l’année dans le projet, c’est aussi grâce à des rencontres formidables avec de nombreux professionnels de l’information et de l’animation.
Le journaliste de macommune.info qui nous a accompagnés tout au long du projet, est venu à trois reprises dans l’établissement pour faire travailler les élèves mais aussi et surtout pour partager son expérience de journaliste radio d’abord puis de rédacteur en chef d’un site pure player d’informations locales.
C’est lui qui a formé nos élèves à la technique afin qu’ils soient totalement autonomes pour enregistrer notre émission radio. Il les a formés à l’écriture journalistique et au style radiophonique et était bien sûr présent pour deux interviews en direct le jour de l’enregistrement de notre émission sur les nouveaux médias. Sa présence nous a été précieuse et sa parole un argument d’autorité.
Radio campus est une radio associative qui a l’habitude de recevoir des élèves afin de leur expliquer le fonctionnement d’un studio radio ainsi que le processus de réalisation d’une émission. Pour nous qui venions d’installer notre webradio au collège, il nous a semblé très intéressant, avant son utilisation, d’emmener les élèves dans les studios d’une radio locale. Après deux heures de visite, les élèves avaient compris comment fonctionnait ce studio. Ils avaient vu des animateurs intervenir en direct et avaient eux-mêmes préparé et enregistré leur propre émission.
Ma collègue et moi-même avons beaucoup apprécié cette demi-journée passée avec les deux animateurs de radio campus présents ce jour là. Ceux-ci ont fait confiance aux élèves et, lisant leur motivation, ils leur ont permis de produire en direct une courte émission de 15 minutes. Il faut dire que nos élèves avaient bien préparé leur venue. Chacun était arrivé avec une chronique déjà rédigée sur un thème de l’actualité de la semaine qui avait retenu leur attention.
Enfin, pour clore cette année et ce travail, il nous semblait intéressant de partir à la rencontre de médias nationaux. Ma collègue et moi-même avons donc organisé un séjour de trois jours à Paris sur le thème « Paris, capitale des Médias ». Et comme carnet de route, nous avons choisi d’utiliser le réseau social Twitter. Nous avons créé notre compte classe ainsi qu’un hashtag #OrnansParis afin de conserver le fil de tous nos tweets.
Pendant ces trois jours, le programme fut chargé pour nos jeunes journalistes en herbe. Nous avons commencé par la visite incontournable de la maison de la radio et de ses nombreux studios. Nous avons pu assister à l’émission en direct « la Bande originale » animée par Nagui qui a d’ailleurs accepté d’être ensuite interviewé par nos élèves. Nous nous sommes ensuite rendus dans les studios d’enregistrement de la Plaine-Saint-Denis afin d’assister l’enregistrement d’un jeu télévisé, où les élèves ont pu interroger les différents champions de ces jeux ainsi que des membres du public.
Enfin, les élèves ont fait la connaissance de Samuel Etienne et de son équipe lors de l’enregistrement de trois émissions du jeu « Questions pour un champion. » Samuel Etienne a pris le temps de les interroger au cours de son émission et a accepté, lui aussi, de répondre à leurs questions à la fin de la journée.
Par l’intermédiaire du réseau social Twitter, nous avons pu interpeller Samuel Etienne qui a lu et répondu aux quelques tweets de nos élèves. Ce fut une expérience passionnante et très enrichissante pour les élèves.
Que retiendrez-vous de votre participation au 10ème forum des enseignants innovants ?
Participer à ce forum fut un vrai coup de cœur. Les rencontres et les échanges avec des collègues de tout niveau et toutes disciplines confondues ont été très riches tant humainement que pédagogiquement. En deux jours, j’ai notamment fait la connaissance de nombreux de professeurs de Lettres qui m’ont tout de suite intégrée à leur « Tweet-Team ». Depuis, j’utilise quotidiennement Twitter pour prolonger ce temps de rencontres, de découvertes et de partages.
C’est aussi extrêmement stimulant de rencontrer des personnes qui partagent ce même goût pour l’innovation avec autant d’enthousiasme et surtout de modestie. Je crois que beaucoup se sont retrouvés dans cette jolie formule de Philippe Meirieu « chercher à toujours être meilleur que soi mais pas meilleur que les autres », formule valable autant pour nos élèves que pour nous-mêmes enseignants…
J’ai également beaucoup apprécié de pouvoir entendre Laurent Petit et Philippe Meirieu pour un éclairage à la fois historique et très actuel de la pédagogie en France. J’ai quitté le forum encore plus enthousiaste qu’en arrivant car enrichie d’une foultitude d’idées à mettre en œuvre et de nouveaux outils à expérimenter.
C’était donc une parenthèse très agréable et aussi un véritable plaisir de rencontrer enfin les collaborateurs du Café Pédagogique. Il y eut même un peu nostalgie lorsqu’il a fallu quitter des personnes que je connaissais depuis 48 heures… En somme, mon envie d’innover s’en est trouvée renforcée ne serait-ce que pour avoir la chance d’être de nouveau sélectionnée… au 11ème forum des enseignants innovants !
Entretien par Julien Cabioch
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