L’apparition des Moocs (Massive Open Online Course) dans l’espace de l’enseignement supérieur a déclenché de nombreux débats, provoqué de nombreux écrits, mais aussi des recherches. Qu’ils soient X pour l’extension des cours traditionnels mis en ligne ou C pour le développement d’apprentissage au sein de communautés connectés, on parle alors de Mooc connectiviste, la littérature s’est d’autant plus développée que, comme à la fin des années 1990 avec le passage de la FAD à la Foad et au e-learning, il y a beaucoup d’imaginaire autour de ce phénomène. Une fois passé les premiers temps de la séduction de l’innovation, le temps du concept valise, s’effectue une stabilisation, voire une normalisation du concept. Même si aujourd’hui ce sont les xMoocs qui sont les plus présents, les formes de ces différentes propositions sont multiples. Et l’articulation entre xMooc et cMooc, au travers d’activités collaboratives en ligne, s’est aussi progressivement effectué, car finalement l’effet Mooc c’est d’abord l’émergence de communautés autour d’une thématique, communautés représentées par les usagers actifs et persévérants de ces Moocs. Certes il n’y a pas que ces groupements, il y a aussi de nombreuses démarches essentiellement individuelles, temporairement collaborative, qui montrent aussi l’émergence d’une nouvelle forme de consommation de formation.
Le Mooc peut-il concurrencer l’école ?
Ce qui est intéressant dans le paysage actuel c’est que les Moocs sortent de plus en plus l’enseignement supérieur. Après avoir eu un ticket d’entrée dans la formation continue, ils se déploient aussi bien dans le monde de l’enseignement scolaire que dans celui des magasins de bricolage . Cette évolution lente est peut-être en train d’ouvrir un nouvel espace de débat qui ne doit pas être négligé par l’institution scolaire. Il est possible qu’un déploiement très large de Moocs de toutes sortes vienne à terme concurrencer les institutions établies. Il n’est pas non plus incongru de rapprocher le développement des Moocs dans la sphère scolaire avec celui de la classe inversée.
Les Moocs de toutes sortes peuvent-ils concurrencer les institutions scolaires ou les organismes de formation ? Si l’on regarde simplement l’offre et la demande telle qu’elle existe actuellement, on peut effectivement penser que, techniquement, les Moocs peuvent remplacer, au moins en grande partie, les institutions académiques, surtout si elles délivrent des diplômes ou des certifications qui ont valeur dans la société. Cependant les taux d’abandon observés font penser à ceux de la Formation à Distance traditionnelle il y a près de vingt années. Aussi faut-il prendre en considération un élément essentiel : l’espace commun de rencontre et de travail constitué par le lieu de formation ou d’enseignement. Même dans les universités, on remarque que les étudiants sont demandeurs de « lieux d’apprendre » proches des « lieux de vie ». Aller en cours est un acte qui comporte outre une éventuelle volonté, une démarche physique et psychique qui n’est pas neutre et qui croise le goût du lien social cher à de nombreux jeunes et adolescents. Se déplacer et respecter un cadre relève d’un minimum d’intention. Pour le monde scolaire les choses diffèrent à cause de la pression sociale et de l’obligation légale de scolarité. Le sentiment d’obligation qui accompagne la scolarisation reste un facteur déterminant face auquel les offres de Moocs ne sont qu’une alternative lointaine, même si légalement ils peuvent participer de cette scolarisation. L’intention scolaire est souvent représentée comme une contrainte et non un choix ou une intention.
L’émergence de la volonté d’apprendre
Moocs et classes inversées se ressemblent-ils ? Ils ont en tout cas un point commun, le « hors classe » auquel il est donné une importance spécifique pour la réussite des apprentissages. Ils ont une différence notable, il faut un lieu de classe pour compléter le hors classe, dans le cadre de l’inversion. Mais au-delà de ces faits, on sent bien qu’un mouvement se dessine autour de ce qui se passe à propos du temps de rassemblement en classe. Ils ont une importance renouvelée et augmentée. Les moyens numériques permettent désormais d’assurer une continuité dans les contenus et dans l’activité, dans et hors la salle de classe. Aussi dans la classe inversée, et c’est trop peu signalé, c’est la continuité et sa pertinence qui sont au cœur du dispositif. Alors que dans les Moocs, c’est l’individu qui tente de construire son « intention » de manière autonome, dans la classe inversée, cette intention est cadrée et est plutôt du côté de l’institution, avant de s’imposer à l’individu.
Ce qui est commun aussi, c’est l’émergence de la volonté personnelle d’apprendre (VPA), comme symbole de ces nouvelles propositions. Quand je souhaite bricoler et que je ne sais pas faire, je peux avoir l’intention d’apprendre. Désormais l’offre des Moocs vient compléter les autres formes d’apprentissages formels, semi-formels et informels. Car c’est aussi de ce côté qu’il faut regarder l’évolution. Les ruptures traditionnelles entre le formel et l’informel sont en train de s’estomper. De plus, si le monde académique impose le parcours, rien n’empêche quiconque de l’enrichir, le compléter, par une participation à un Mooc. Cela ne supprime pas la fameuse VPA, mais lui offre de nouvelles possibilités. Cependant, le cadre institutionnel est suffisamment ancré dans les esprits et l’imaginaire pour ne pas être directement mis en cause à court terme. Mais on voit aussi apparaître des responsables de dispositifs d’enseignement et de formation qui se tournent vers des offres externes de type Mooc pour compléter leur propre offre.
Il va donc falloir faire entrer les élèves ou les étudiants dans cette logique nouvelle : en tant qu’élève, qu’étudiant, le lieu dans lequel je me rends n’est pas forcément un lieu de suivi de cours, mais un lieu de parcours d’apprentissage. Les dispositifs proposés peuvent donc intégrer aussi bien des travaux effectués sur place avec encadrement ou sur place mais à distance. Ce qui peut être inquiétant c’est la concurrence entre enseignements : un Mooc de qualité vaudrait peut-être mieux qu’un mauvais cours en salle ou en amphi. Ce qui est questionnant, c’est le retour dans les lieux de l’apprendre. L’émergence des Learning centers et autres tiers lieux relève de cette logique et confirment cette attente des jeunes. Ce qui est enthousiasmant, c’est que c’est une des portes qui s’ouvrent sur une rénovation de la forme scolaire, et le numérique en est réellement un des leviers…
Bruno Devauchelle