Le portail éduthèque est ouvert depuis novembre 2013. Mis en place dans le cadre du service public du numérique éducatif, il permet à chaque enseignant d’accéder, via ses identifiants académiques, à des ressources pédagogiques proposées par des établissements publics à caractère culturel et scientifique avec lesquels le Ministère a conclu un partenariat : le Louvre, l’INA, le CNRS, Antigone-en-ligne, Edugéo, la BnF… S’agit-il d’un énième « machin », technocratique, pyramidal et inutile ? Ou bien d’un réel service susceptible d’aider les enseignants, et les élèves, dans les pratiques quotidiennes de classe ? Au terme de cette première année scolaire d’existence, il est intéressant de dresser un bilan et de tracer des perspectives. Ariane Bach, professeure de lettres au lycée Jean-Jacques Rousseau à Sarcelles, témoigne d’usages pédagogiques qui mettent les élèves en activité de recherche et de création, jusque dans des ateliers d’écriture.
Vous avez utilisé éduthèque dans le cadre de vos ateliers d’écriture : pouvez-vous expliquer en quoi consistent ces ateliers, comment ils fonctionnent, quels en sont les intérêts ?
Depuis cette année, je conduis des ateliers d’écriture créative en 2nde, dans le cadre de l’Accompagnement Personnalisé. Cela correspond aux directives fixées par les instructions officielles, puisque l’Accompagnement Personnalisé offre la possibilité d’approcher la discipline d’une manière différente de celle ordinairement enseignée dans le cours. En effet l’atelier d’écriture invite les élèves à quitter la posture analytique et réflexive que l’on attend généralement d’eux dans une perspective scolaire, notamment pour les épreuves du bac. Pendant cet atelier, ils ont l’occasion d’expérimenter par eux-mêmes la démarche de création littéraire.
Les propositions d’écriture portent généralement sur un thème, une forme ou une structure, et s’appuient souvent sur la relation à l’image. Je m’inspire de travaux d’écrivains qui conduisent régulièrement des ateliers d’écriture avec des publics variés, comme François Bon ou Pierre Ménard. Ils ont des propositions d’écriture variées et stimulantes qu’ils mettent souvent en perspective avec des textes littéraires. J’adapte leurs propositions, j’en invente aussi parfois suivant l’élément que j’ai choisi de mettre en lumière avec les élèves ce jour-là (travail sur la chronologie, la métaphore, le portrait…) Le but n’est pas de transformer les élèves en écrivains, mais plutôt de leur faire expérimenter le processus créatif afin de permettre une meilleure appréhension ultérieure des textes littéraires qu’on leur propose d’étudier en classe.
L’atelier se termine toujours par la lecture commentée des textes qu’ils ont produits. Cette phase de commentaire est importante car elle leur permet de prendre conscience des procédés d’écriture qu’ils ont mis en œuvre, parfois à leur insu. Ils se rendent compte que l’intention esthétique vient avant l’analyse, ce que nos cours traditionnels peuvent leur faire oublier, car nous entrons généralement dans le texte d’abord par l’analyse dans notre enseignement.
Comment avez-vous utilisé éduthèque dans ce cadre ?
J’aime bien faire travailler des élèves à partir d’images, que l’on ne cherche pas à décrire ou analyser dans une perspective interprétative, mais qui servent plutôt à déclencher le désir d’écriture par les questions qu’elles suscitent. Les élèves sont invités à entrer en dialogue avec l’œuvre présentée, plus qu’à en comprendre les enjeux. A cette fin, il m’est bien sûr facile de trouver des images à exploiter via un moteur de recherche, mais leur utilisation en classe est problématique. En effet nous devons initier nos élèves à un usage responsable des médias, et en particulier des ressources que l’on peut trouver sur internet. L’utilisation de ces images qui ne sont pas toujours libres de droits en classe est tentante, certes, car facile d’accès, mais elle nous met en porte-à-faux.
Le portail éduthèque offre une réponse à ce problème en permettant aux enseignants d’utiliser des ressources dont les droits ont été négociés pour une utilisation en classe. Les sites des institutions auxquelles ce portail donne accès mettent donc à disposition toutes sortes de documents, qui plus est dans une qualité bien supérieure à celle que l’on pourrait trouver sur des moteurs de recherche.
Qu’est-ce que les ressources d’éduthèque ont apporté à cet atelier selon vous ?
Outre la grande qualité des images proposées par les établissements partenaires d’éduthèque, la licence particulière de ces documents me permet de publier les textes des élèves sur le site de mon lycée en regard d’une reproduction de l’œuvre qu’ils choisissent. Ainsi nous pouvons conserver une trace de leur production, dont ils sont souvent (et à juste titre!) très fiers.
Les élèves ont travaillé dans cet atelier avec des tablettes numériques : en quoi cet outil vous semble-t-il intéressant, y compris dans sa possible articulation avec le portail éduthèque ?
L’utilisation de la tablette en classe peut avoir un caractère désinhibant pour les élèves, particulièrement ceux qui se croient fâchés avec l’écrit. La tablette est un outil que les élèves utilisent déjà souvent à titre personnel, son utilisation en classe a donc été assez naturelle. Il n’y a pas de raison pour que l’école demeure un espace déconnecté des pratiques réelles des élèves. Pour autant je reste simultanément favorable à l’utilisation traditionnelle du papier et du crayon! Les deux approches sont complémentaires aujourd’hui. Suivant l’objectif de la séance, le professeur peut aller sélectionner un certain nombre de ressources sur les sites liés à éduthèque, les mettre à disposition des élèves sur leur tablette, et leur proposer de se construire un parcours artistique personnel. La tablette permet l’individualisation du parcours de l’élève, et de ce fait favorise une plus grande implication de sa part dans les démarches d’apprentissage.
Le portail éduthèque vous est d’ores et déjà familier : quels autres usages en avez-vous déjà eus ou quelles nouvelles utilisations pensez-vous en avoir ?
Les ressources proposées par éduthèque sont très nombreuses et variées. On peut les utiliser aussi bien en Histoire des Arts que pour construire la notion de mouvement littéraire, en complétant le panorama pictural (Louvre, Centre Pompidou, RMN) par des morceaux de musique (Cité de la Musique), des éléments architecturaux (Cité de l’Architecture et du Patrimoine), des documents vidéo (INA, Le SiteTV) ou des extraits de pièces de théâtre (Antigone en Ligne), des activités proposées par le site pédagogique de la BNF.
De manière générale, d’après vos expériences, en quoi le numérique vous semble-t-il susceptible de revitaliser l’enseignement du français ?
Dans la manière dont nous abordons les lectures patrimoniales ou l’enseignement de la langue en classe, le numérique est un atout grâce auquel on peut individualiser l’approche des notions à étudier. Mais cette approche individuelle ne doit pas être individualiste : les outils numériques favorisent également un authentique travail collectif, en permettant aux élèves de collaborer à l’élaboration du cours par exemple. Enfin c’est aussi un moyen de favoriser leur créativité, en publiant un texte de leur cru, en réalisant un film, une émission de radio… Tous ces outils sont désormais accessibles à tous et aisés à manipuler.
Mais le numérique ne me semble pas être qu’un simple outil de « revitalisation » de l’enseignement du français. C’est aussi un objet d’étude en soi. En effet la littérature dite « numérique » s’appuie désormais sur toutes sortes de médias, elle exploite les possibilités de relations du texte et de l’image, de la vidéo ou du son, elle développe de nouveaux types de narration non linéaires, elle prend en compte le lecteur immédiatement, par le dialogue qui peut s’établir avec lui via les réseaux sociaux… Toutes ces nouvelles possibilités d’expression doivent être étudiées en cours de français, car si elles font partie de notre quotidien désormais, il appartient aux enseignants de montrer à la fois leur spécificité et leur inscription dans la continuité de notre héritage littéraire.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le portail Eduthèque
Vidéos présentant des usages
Atelier d’écriture avec Eduthèque sur le site du lycée Jean-Jacques Rousseau
Atelier d’écriture « Sujets sensibles » avec Juliette Mezenc