Pour Marc Douaire, président de l’Observatoire des Zones Prioritaires- une association regroupant des acteurs de l’éducation prioritaire- : « l’éducation est dans un angle mort des politiques ministérielles ». Il écrit dans cette tribune, dix après les travaux de la refondation de l’éducation prioritaire : « Les engagements publics pris à l’issue des travaux de la refondation de l’éducation prioritaire de 2014, dernier grand moment de mobilisation de ses acteurs, n’ont pas été tenus par les ministères successifs Blanquer, Ndiaye, Attal et Belloubet ».
La rentrée 2024 a lieu dans un contexte très particulier. Les résultats des élections européennes et la poussée significative du R.N., la décision brutale de dissolution de l’Assemblée nationale prise en solitaire par E. Macron, les résultats des élections législatives avec l’arrivée en tête du Nouveau Front Populaire, l’interminable séquence d’un gouvernement démissionnaire provoquée par le refus présidentiel de tenir compte du résultat des élections… bref, tout cela engendre un climat tendu fait de colères, d’inquiétudes pour l’avenir et de risques de dépit à l’égard de la participation à la vie publique.
Dans ce contexte politique lourd, entrecoupé par la parenthèse joyeuse des J.O., la rentrée scolaire 2024 ne se fera pas dans un climat apaisé : crise du recrutement et recours à de plus en plus en plus de personnels précaires, politique ministérielle réactionnaire du « Choc des savoirs » dont des pans entiers restent en jachère, abandon des chantiers concernant la formation des maitres ou la mixité sociale, emprise croissante d’un pilotage vertical sur les cadres locaux et les équipes de terrain…
Il est temps de reconnaître l’Ecole comme priorité nationale et d’ouvrir un large débat public sur ses missions.
Quelle Ecole voulons-nous ?
Ces dernières années, une succession d’évènements graves ont atteint l’école et tous ceux qui la fréquentent : l’assassinat de deux enseignants par des terroristes islamistes, la longue parenthèse de la crise sanitaire marginalisant encore davantage les élèves issus des milieux populaires et dont les traces demeurent bien présentes encore aujourd’hui, l’assassinat du jeune Nahel et les émeutes de juillet 2023 soulignant l’ampleur du sentiment de non-appartenance de beaucoup de jeunes des cités de banlieue.
A ces évènements qui ont percuté le travail des équipes éducatives et la vie des établissements scolaires les réponses politiques apportées par le gouvernement et le ministère de l’Education nationale ont été inadaptées ou carentes : mise en place d’un dispositif de continuité pédagogique qui, de fait, excluait les jeunes de milieux populaires pendant la crise sanitaire ; aucun bilan public tiré de cette période comme des émeutes de juillet 2023.
Dans le même temps, la publication des I.P.S des établissements scolaires publics et privés a révélé au grand jour la réalité des inégalités sociales entre l’école publique et l’enseignement privé et au sein même de l’enseignement public. L’Ecole apparaît donc désormais comme une institution favorisant de plus en plus la non-mixité sociale, la sélection dans un climat favorisant la réussite individuelle et la concurrence à rebours de ses principes républicains. L’Ecole publique et la République sont historiquement liées. Si l’Ecole publique ne parvient plus à assurer ses missions d’éducation et d’émancipation pour tous l’idéal républicain s’en trouvera délégitimé.
La politique d’éducation prioritaire initiée en 1981 par Alain Savary se voulait une politique de rupture pour assurer l’égalité des droits en faveur des élèves des territoires socialement relégués. Cette politique a connu une histoire discontinue dans son pilotage national et n’a que trop rarement bénéficié du statut de politique prioritaire. Elle n’a jamais fait consensus y compris au sein des partis de gauche ou des organisations syndicales de l’éducation. Les engagements publics pris à l’issue des travaux de la refondation de l’éducation prioritaire de 2014, dernier grand moment de mobilisation de ses acteurs, n’ont pas été tenus par les ministères successifs Blanquer, Ndiaye, Attal et Belloubet. Plus grave, le dossier de l’éducation prioritaire est dans un angle mort des politiques ministérielles, mais aussi des déclarations politiques des partis de gauche et des expressions médiatiques.
Aujourd’hui, plusieurs dangers guettent l’éducation prioritaire :
- Le silence, l’abandon au seul pilotage local, l’assèchement progressif de cette politique (projets, formation, moyens) ou bien encore son effacement au profit de la politique des Cités éducatives.
- Une politique ministérielle réduisant la question de l’éducation prioritaire au seul ajustement nécessaire de sa carte. La politique d’éducation prioritaire c’est avant tout une politique de réussite scolaire portée par des projets de réseaux tout au long de la scolarité obligatoire (cf. le référentiel de l’éducation prioritaire).
- Un risque de confusion des politiques publiques englobant sous le même chapeau de politiques territoriales prioritaires des réalités différentes : quartiers ségrégués, territoires ruraux et ultra-marins. Le risque est grand que les résultats des dernières élections européennes et législatives ne conduisent les responsables politiques à minorer les enjeux et les besoins des quartiers populaires ségrégués.
- Enfin un abandon du pilotage national de l’éducation prioritaire au profit de politiques régionales au nom de l’agilité administrative et de la connaissance des réalités locales. Cette perspective est latente depuis des années dans les cercles libéraux qu’ils soient de droite ou de gauche.
Aujourd’hui, une politique d’éducation prioritaire refondée s’impose :
- Une politique nationale, portée par le gouvernement, car la lutte contre les inégalités sociales ne saurait échapper aux choix éducatifs communs et aux engagements budgétaires.
- Une politique éducative, fondée sur la réussite de tous les élèves, portée par les projets de réseaux. Des équipes de réseaux bénéficiant de la confiance, de l’expertise et du soutien de l’institution et les travaux de la recherche.
- Une politique bénéficiant sur la durée longue de ses projets de vrais moyens (postes supplémentaires, dispositifs de formation, temps de concertation et reconnaissance de l’exercice professionnel, crédits…) et d’un traitement réellement prioritaire dans les choix administratifs à tous les niveaux.
- Une politique débattue publiquement, portée par une évaluation de l’ensemble des projets de réseaux engagés depuis 2014 et d’une actualisation de la carte de l’éducation prioritaire à partir des résultats récents des I.P.S des établissements scolaires.
Pour décider ensemble de cette politique d’éducation prioritaire refondée, l’OZP demande l’organisation d’Assises nationales de l’éducation prioritaire préparée avec tous ses acteurs.
Marc Douaire, président de l’OZP (Observatoire des Zones Prioritaires)