Dans cette tribune, Jean-Michel Bocquet, pédagogue et chargé de cours à l’université Sorbonne Paris Nord, revient sur le dispositif du Pass colo. Ce dispositif est pour lui un triple échec : « un échec politique, un échec en termes de politique publique et surtout un échec pour les colos ». Il en explique les raisons.
La saison d’été des colos s’achève dans quelques jours. Cet été 2024 aurait dû être une période de reprise puisqu’une politique publique réclamée de longue date par les plus gros opérateurs commerciaux des colos a été mise en place par l’éphémère gouvernement Attal : le Pass colo.
RMC nous apprend, dès le 3 août, que le Pass colo est un échec que seule 2% des familles qui peuvent en bénéficier ont utilisé cette aide importante de 200 à 350€ pour tout départ d’un enfant de 11 ans en colo. Elle s’adresse principalement aux familles de classe moyenne peu aidées pour le départ en vacances de leurs enfants.
Pourquoi un tel échec pour une aide mise en place dès le mois d’avril 2024 en prévision de l’été et relayé avec force et soutien par les médias nationaux et annoncé un an avant en prévision de l’été suivant. Dès juillet 2023, dans une tribune du café pédagogique, j’expliquai en quoi et comment ce Pass n’allait rien changé et permettait un joli tour de passe-passe pour permettre aux organisateurs de colos d’augmenter leur tarif.
Un an après, le bilan est calamiteux, le gouvernement n’est plus en place et cette politique dite sociale à destination d’un électorat à mobiliser pour la macronie (les classes moyennes) n’a pas permis d’empêcher le Nouveau Front Populaire d’être en tête aux élections législatives de juin 2024. C’est un échec politique, un échec en termes de politique publique et surtout un échec pour les colos. Reprenons quelques éléments d’analyse pour comprendre ce triple échec.
Le Pass-colo est un outil de marché
Les colonies de vacances sont un marché concurrentiel libéralisé depuis les années 80. Même si les acteurs sont associatifs (UFCV, UCPA, Ligue, ODCVL, etc.), la logique et le modèle socio-économique est celui du commerce. Comme tout marché libéral, il s’appuie sur des aides publiques et avantages fiscaux : marchés publiques, séjours co-financés : les colos apprenantes, subventions de fonctionnement et/ou des structurations en acteurs commerciaux. Vacances pour tous, structure commerciale des colos pour la Ligue de l’enseignement est une SA, l’UCPA est un groupe associatif dont le principal acteur de commercialisation des colos, Telligo, est aussi une SA, ODCVL est une SCIC depuis 2012. Lorsqu’on parle colo, on parle société donc commerce.
Le Pass-colo s’inscrit dans ce long chemin de marchandisation de plus de 40 ans pour sortir les colos de l’action sociale, éducatives ou sanitaires et les faire basculer vers l’industrie : celle du tourisme. Lorsque l’Etat fait le choix de donner une aide aux parents pour qu’ensuite ils choisissent pour ou avec leur enfant dans quelle colo, il va partir. Le gouvernement renforce la concurrence et la construction du secteur en industrie commerciale. Il fait donc le choix de renforcer les acteurs industriels au détriment des acteurs de proximité et de service publique comme les colos communales en gestion directe.
Pour une famille, choisir une colo est un sacerdoce. Il faut aller sur internet, trouver les catalogues, sélectionner une colo en fonction de son prix, des activités, du lieu, etc. Les catalogues sont tous beaux et mettent en avant, comme pour le tourisme, les lieux et les prestations… Jamais la qualité de la relation humaine ou la manière d’accueillir ou de recevoir. Et c’est pourtant bien là, la grande faiblesse des colos. Pour confier son enfant, il faut savoir à qui on le confie, comment il sera accepté, quels sont les moyens dont une famille dispose pour se sécuriser et laisser partir l’enfant. Là où les colos des années 70 étaient organisées par des communes ou des associations de proximité, où les animateurices étaient les grands frères ou sœurs, le voisin, le fils du collègue de travail, aujourd’hui la colo est une plaquette de com où l’humain à disparu. Le Pass-colo ne résout pas cette question.
Campagne de Com.
Cette question est tellement connue par les organisateurs de colos que régulièrement, ils se font payer par l’Etat une campagne de com pour affirmer que les colos sont des lieux où « votre enfant est en sécurité » slogan de 2024. En 2015, le ministre Kanner affirmait dans la campagne annuelle : « En colo, j’ai confiance ». A croire que la colo fait tellement peur aux parents, qu’il faut affirmer le contraire et dépenser des millions d’euros d’argent publiques pour essayer de le dire.
Ces campagnes de communication produisent bien souvent l’effet inverse : il faut l’affirmer aussi souvent en faisant de la pub, c’est bien qu’il y a un problème… Et effectivement, il y a un problème : le modèle pédagogique !
C’est le grand absent de tous les travaux sur les colos, tant sur les recherches que sur les politiques publiques. Or depuis les écrits de J. Houssaye, nous savons tous et toutes que les colos sont prisonnières de leur forme scolaire, nous savons qu’elles sont construites pour séparer et exclure les différents publics, nous savons que les colos ne sont que rarement adaptées aux enfants vulnérables, que les règles de vie des colos sont normatives et la forme groupale, par tranches d’âges, centrées sur l’activité où l’adulte est centrale est violente pour beaucoup d’enfants.
Les parents le savent, notamment via leurs expériences personnelles, les enfants le savent aussi via les formes pédagogiques éprouvées : école, club sportif, centre de loisir. Mais le ministère et les organisateurs leur expliquent qu’en colo leur enfant est en sécurité… Injonction paradoxale qui n’a comme seul effet que de renforcer la méfiance. Les parents savent qu’une colo n’est pas un produit comme les autres…
Producteur de séjour à vendre.
Les colonies de vacances ne sont pas des produits comme les autres, dans le contexte d’une France qui se fracture toujours un peu plus, les colos se sont organisées pour répondre aux pulsions et à une satisfaction immédiate du client-roi. Aux riches les colos de riches, touristiques, à l’étranger, et donc très chères, aux pauvres les colos de pauvres… Elles sont aujourd’hui labellisées par l’Etat lui-même, et s’appelle des colos apprenantes. Pour rappel ces colos apprenantes financées massivement par l’Etat viennent relayer l’école durant les vacances et sont censées apprendre des compétences scolaires ou non aux enfants qui y vivent. Elles sont soutenues et défendues par l’ensemble des acteurs de l’éducation populaire.
Dans la logique commerciale, les colos apprenantes sont labellisées par l’état et accessible à tous et toutes via une plateforme en ligne, l’offre de séjour est construite pour les enfants qui n’ont pas accès aux colonies de vacances chères. D’ailleurs, le Groupe UCPA (association gérée à 50% par l’Etat et à 50% par des acteurs de l’éducation populaire) n’organise des colos apprenantes que via une filiale Tootazimut, l’autre filiale Telligo n’en fait. Ce qui permet très simplement de séparer les publics et de construire des séjours sans mixité sociale.
Le modèle pédagogique des colos est très adapté au commerce puisqu’il utilise le principal outil de l’industrie : la méthodologie de projet. Il permet de dupliquer des séjours à l’infini, de les calibrer comme on calibre un yaourt, de développer des labels qualité comme on labellise un hôtel, et de répondre aux besoins du client en le satisfaisant.
Dans le monde du commerce, les imprévus et les pannes sont couvertes par des assurances et des garanties. Or il est impossible d’assurer et de garantir un enfant en colo… Un produit est toujours défini pour répondre à un besoin, c’est alors binaire ça répond ou ça ne répond pas. Dans le cadre des colos, le besoin est défini par le vendeur qui définit directement le produit qui répond à ce besoin : une totologie. Pourtant l’organisateur de colo ne connait ni les enfants qu’ils accueillent, ni les parents qui paient. Ils imaginent alors que l’enfant aura besoin de consommer de l’activité, de vivre en chambre collectif, de respecter des règles rigides, de manger à 9h, de se doucher à 17h et surtout de tout faire en groupe, de vivre avec des inconnus qu’il n’a pas choisi, de dormir loin de son frère ou de sa sœur, de ne pas pouvoir faire de grasse matinée, d’être en difficulté pour s’isoler et/ou lire, d’écouter des sermons sur le rangement ou la tenue à table… La colo est parfois un enfer pour les enfants… et cela les parents le savent.
Pour éviter toutes ces difficultés, le modèle des colos construit des colos non-mixtes, normées, où la singularité et/ou le handicap non que difficilement leur place. Les colos se construisent sur des groupes socialement uniformes qui flattent l’entre-soi : le thème ou la dominante du séjour suffit pour construire ces groupes. Dès lors qu’un enfant n’entre pas dans ces normes prédéfinies : il est exclu soit dès l’inscription quelques critères permettent de le faire : prix, genre, lieu de départ, capacité physique (par ex : savoir nager), matériel à amener, etc. soit lors du séjour via des exclusions pour inadaptation, isolement, violence ou non-respect des règles de couchage par sexe et par âge. Ce dernier point étant particulièrement important puisqu’il élimine par exemple les frères et sœurs qui voudraient dormir dans la même chambre. Mais les sœurs d’âge différents qui voudraient dormir ensemble ne sont pas mieux traitées… Ce qui se vit à la maison, n’est plus possible en colo, alors que les parents sont éloignés, inquiets et sans moyens d’agir… Comment confier son enfant dans un tel cadre ?
On aurait pu imaginer que le Pass-colo mette en avant les séjours qui accueillent chaque enfant de manière inclusive et sans condition, il n’en est rien le Pass-colo n’est utilisable que dans les colos labellisées par la CAF donc laïque : partir dans une colo catho, protestante ou juive est impossible, mais partir avec un organisateur qui exclus les pauvres et les enfants en situation de handicap l’est…
Assis sur leur certitude de bien faire pour les enfants, les organisateurs de colos commerciales ne veulent absolument pas changer leurs manières et leurs pédagogies de faire des colos. Le problème n’est ni le modèle, ni la colo mais le parent qui ne comprend pas et qui ne veut pas couper avec son enfant ou l’enfant qui est trop problématique, trop handicapé, trop de l’ASE ou pas assez autonome…
Et les prix ?…
Dans ma tribune de juillet 2023, je prédisais un tour de passe-passe permettant d’augmenter les prix des colos sur l’été 2024. Qu’en a-t-il été ? Et bien sans surprise, les prix ont augmenté, mais de manière assez différente en fonction des acteurs.
Tout d’abord, il est important de préciser que réaliser une étude sur le prix des colos est assez compliqué. Les catalogues des années précédentes sont rarement en ligne, les séjours changent parfois ce qui rend les comparaisons difficiles, le nombres de jour change aussi avec parfois une baisse de prix, parfois pas, comme tout produit marketé, la « shrinkflation » existe dans les colos. Les critères permettant de masquer des augmentations de couts sont nombreux.
En juillet 2024, j’ai donc prix 6 organisateurs de colos des associatifs et des sociétés, des connus et ayant défendus le Pass-colo, des structures vendant à des collectivités et d’autres en vente directe. J’ai choisi 4 ou 5 séjours à destination d’enfants de 11 ans (puisque le Pass-colo ne s’adresse quà eux) et j’ai calculé l’augmentation de prix sur 2022, 2023 et 2024 (sauf pour une association dont je n’ai pas trouvé les tarifs 2023). J’ai ramené le prix global du séjour à un tarif journalier pour calculer.
Les résultats sont assez significatifs. Un seul organisateur associatif n’a pas augmenté ces tarifs en 2024. Le séjour de 2024 à exactement la même durée, description et le même prix que le séjour 2023. Un second acteur associatif de taille moyenne à augmenté ces séjours, tous identiques, de 6% entre 2022 et 2023 et de 5% entre 2023 et 2024 (soit le hause des prix).
Tous les autres ont augmenté de manière significative, en moyenne 9% sur un an. Les deux plus fortes augmentations sont chez deux acteurs associatifs à filiale privée du secteur de l’éducation populaire : + 13% et +15%.
Si on regarde entre 2022 et 2024, ces deux acteurs ont augmenté leurs prix de 18% et 19%, ce qui montre bien que l’augmentation entre 2023 et 2024 est majeure. L’organisateur de séjour dont je n’ai pas les tarifs en 2023 à quant à lui augmenté de 16% ces tarifs sur les deux dernières années.
Au regard de cette étude rapide de marché, il est impossible d’en tirer des règles claires et généralisable. Mais on remarque que l’aide apporté par l’état est en partie compensée par une hausse des prix qui fait que le parent n’économise pas réellement la totalité du montant de l’aide.
Le Pass colo où l’échec du libéralisme.
Pour les défenseurs du pass-colo, l’échec du dispositif est lie à un manque de temps et de communication. Pour ces organisateurs, l’échec n’est pas le fruit d’une libéralisation de plus en plus important du marché des colos, mais de manques… Pourtant, il y a eu communication et temps pour informer les familles. Aucun d’entre eux ne dit que choisir et inscrire son enfant en colo est compliqué, personne ne regarde que son fonctionnement empêche des enfants de partir, que la forme pédagogique est excluante et renforce les craintes des parents, personne n’ose aborder la question que les parents d’enfants pauvres ne veulent pas offrir des vacances de pauvres à leurs enfants, personne ne veut perdre la manne financière des séjours de riches.
Cet échec devrait permettre, notamment aux militants de l’éducation populaire et aux acteurs politiques qui se disent acteurs de l’éducation populaire, qu’une éducation populaire libéralisée est impossible, que construire de l’action publique en ne prenant pas à bras le corps la question des riches qui s’extrait des communs est vain.
Lorsque l’ensemble des acteurs des colos basculent dans les colos apprenantes, ils ont fait le choix d’accepter que les enfants pauvres devaient être éduquer durant les vacances et entre pauvres, comme si l’éducation populaire ne devaient pas s’adresser aux riches ou que les pauvres ne pouvait prétendre au loisir, aux vacances. Et pourtant… Les riches, les puissants, les habitants des centres métropoles, les enfants de cadre n’ont rien à apprendre des enfants issus des quartiers populaires, de l’ASE ou de la ruralité ? L’éducation populaire est en accord avec cette idée qu’elle ne s’adresse plus qu’aux pauvres avec une démarche descendante et plaquée ? et que l’éducation des riches se fait dans des espaces d’entre-soi qui excluent les autres ? Ce que ces mêmes militants réclament pour l’école, ne serait pas juste pour les colos ?
Les colos n’iront pas mieux tant qu’un travail de fond ne sera pas fait sur les finalités qu’elles doivent avoir pour être un outil d’action publique. Permettre aux enfants de partir en vacances ensemble n’est pas et ne sera jamais possible dans un marché libéralisé labellisé et soutenu à bout de bras par des fonds publiques. L’échec Pass-colo en est la preuve et il serait tant que politiques et dirigeants associatifs s’en rendent compte.
Jean-Michel Bocquet