La 34ème et dernière journée de Ligue 1 dédiée à la lutte contre l’homophobie a récemment rappelé, si besoin était, la difficulté à laquelle est confronté le monde sportif, et notamment footballistique, à porter un message clair contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle dans les stades. C’est à cette question qu’une quinzaine d’élèves de Terminale spécialité Systèmes Numériques du lycée professionnel Pierre-Joseph Fontaine à Anzin, dans le Nord Pas-de-Calais, se sont attaqué.es en réalisant un ambitieux projet d’exposition d’affiches, avec le soutien de l’équipe de l’artiste JR et du programme Inside Out. Marc Leleux, professeur de Lettres et Histoire-géographie, qui en est la cheville ouvrière, revient pour le Café pédagogique sur les différentes étapes de ce formidable projet citoyen qui a fédéré l’ensemble de l’établissement, et bien au-delà…
Ce projet a été mené dans une classe de Terminale Bac pro que vous suivez depuis la seconde. Pouvez-vous nous présenter celle-ci ?
Il s’agit d’un projet de grande envergure et aux dimensions multiples que j’ai d’abord mené avec une classe de Seconde TNE (Métiers des Transitions Numériques et Energétiques). À partir de la première, la classe a été scindée. Une partie des élèves se sont dirigés vers les Métiers de l’Électricité et de ses Eléments Connectés (MELEC) et l’autre vers les Systèmes Numériques (SN). C’est à ces derniers, très majoritairement des garçons, que j’ai proposé de continuer à mener plus particulièrement des actions contre les LGBTphobies, mais avec l’ambition d’élargir notre audience aux autres classes avec l’appui de plusieurs collègues. Ils n’étaient qu’une quinzaine d’élèves, ce qui a permis que tous s’emparent pleinement du projet en y apportant leurs idées.
C’est une remarque faite en classe qui vous a alerté et qui a servi de déclencheur au projet. Pourriez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?
Lors d’une heure de cours tout à fait classique, deux élèves bavardaient et, lorsque je me suis approché, j’ai entendu l’un d’eux dire « c’est des pédés ». Nous étions fin septembre et j’avais déjà été alerté de problèmes d’homophobie internes à la classe qui avaient notamment débordé sur les réseaux sociaux. La question semblait avoir été traitée par le CPE qui avait convoqué les élèves et s’était contenté de leur faire la morale. Cela n’avait eu qu’un impact limité et la professeure principale de la classe m’avait signalé qu’elle entendait encore régulièrement des propos homophobes en cours. Elle m’avait demandé de réfléchir à un programme d’actions à mettre en place avec les élèves.
J’ai donc saisi l’occasion en arrêtant immédiatement mon cours pour demander aux deux élèves concernés ce dont ils parlaient. L’un d’entre eux s’est tourné vers moi avec un sourire de connivence pour me dire « Monsieur, vous ne le savez pas, mais dans l’autre groupe de la classe il y a des pédés. Ce n’est tout de même pas normal. ». J’ai été particulièrement indigné par tout ce que son propos recelait d’homophobie affirmée, mais sans doute plus encore par le fait qu’il puisse penser qu’un professeur pourrait lui apporter une quelconque caution. Je découvrais en fait que l’homophobie constituait, pour nombre d’élèves, une normalité profondément ancrée dans leur quotidien. J’avais bien conscience que mon discours seul ne pourrait pas y changer grand-chose ou que n’importe quelle action à portée uniquement symbolique ne suffirait pas. Je me devais d’agir en appliquant un traitement de fond au problème.
Quelles actions avez-vous alors progressivement mises en place ? Comment ont-elles été reçues ? Diriez-vous qu’elles ont porté leurs fruits ?
C’est d’abord à travers le cours de français que j’ai décidé d’aborder la question en utilisant l’ouvrage du célèbre photographe Jean-Marie Périer, Casse-toi !, sous-titré Crève mon fils. Je ne veux pas de pédé dans ma vie. Il s’agit d’un recueil de témoignages de jeunes mis à la rue par leurs parents parce qu’ils sont homosexuels et recueillis par l’association « Le Refuge ». Il me semblait que la réalité de ces témoignages d’adolescents, de même que la dimension volontairement provocatrice, bien que réaliste, du titre, étaient à même de nourrir la réflexion et sans doute d’émouvoir les élèves. L’écriture en est sans concession et cela a constitué un véritable électrochoc pour les élèves. J’ai pu le percevoir lors des débats qu’ils ont eus entre eux en classe.
Quelques semaines plus tard, je suis tombé par hasard à la télévision dans l’émission « C à vous », sur une interview du journaliste et animateur Christophe Beaugrand. Je ne le connaissais pas. Il était venu parler de son livre Fils à papa(s) qui relate le parcours difficile qui l’a mené, avec son époux Ghislain, à avoir un enfant par GPA aux États-Unis. J’ai trouvé son discours intéressant, juste et l’on sentait qu’il s’y reflétait à la fois beaucoup d’amour et de douleurs passées. Je l’ai donc contacté le soir même sur sa boîte professionnelle de TF1 afin de lui proposer une visioconférence avec mes élèves. Je dois avouer que je n’avais alors pas grand espoir d’obtenir une réponse. Je me trompais. Christophe m’a répondu dès le lendemain très tôt. L’idée l’enchantait. J’ai donc commencé à m’intéresser à lui et j’ai vite appris qu’il serait un mois plus tard dans une grande librairie de Bruxelles pour une séance de dédicaces avec Ghislain. Je m’y suis rendu et, en discutant, nous avons convenu, ce que je n’osais espérer, que Ghislain accompagnerait Christophe pour rencontrer directement les élèves dans mon établissement.
J’ai donc décidé, pour leur venue, de mettre en place différents ateliers de travail, impliquant une trentaine d’élèves, autour de thématiques telles que l’homophobie à l’école, l’homoparentalité, l’homosexualité et les religions, la transphobie ou encore l’homophobie dans le sport qui m’a toujours semblé être un non-sens. Cela a été pour moi l’occasion de prendre contact avec Marie Cau, première maire transgenre en France, qui a immédiatement accepté de participer également à cette journée. La qualité des intervenants, leur disponibilité et leur simplicité ont permis de faire de cette mobilisation un véritable succès. Tous se sont fortement impliqués. Quelques jours plus tard, un élève est venu vers moi pour me dire que ses sentiments homophobes avaient disparu après ces rencontres. C’était une belle victoire !
Comment en êtes-vous venu ensuite à prolonger le projet sur la question de l’homophobie dans le sport et de quelle manière ?
La question de la lutte contre l’homophobie dans le sport, et dans le football en particulier, m’avait immédiatement semblé pertinente, car elle permettait d’intégrer au projet une dimension supplémentaire du quotidien des élèves (beaucoup jouent dans des clubs locaux).
J’ai d’abord découvert l’existence d’une charte contre l’homophobie dans le sport datant de 2010, mais dont les clubs et les fédérations sportives s’étaient encore beaucoup trop peu emparés. Puis mes investigations m’ont rapidement permis de découvrir le collectif Rouge Direct ! et son porte-parole Julien Pontes qui militent contre les LGBTphobies dans les stades. Par leur intermédiaire j’ai également pu entrer en contact avec le secrétaire général de STOP Homophobie, Terrence Katchadourian.
En collaboration avec mes collègues de l’équipe d’EPS du lycée, nous avons donc décidé de faire du cross du lycée de novembre 2022 une journée de mobilisation de l’établissement contre les LGBTphobies dans le sport et d’inviter le maire d’Anzin ainsi que la direction du club de football de Valenciennes à signer symboliquement cette charte contre l’homophobie dans le sport. Ce fut aussi l’occasion de convier Julien Pontes et Terrence Katchadourian ainsi qu’à nouveau Marie Cau. Tous ont répondu immédiatement présents à notre appel. J’avais également obtenu un message vidéo à l’intention des élèves de l’ancien footballeur professionnel Ouissem Belgacem, auteur du livre Adieu ma honte qui retrace la quasi-impossibilité pour un footballeur professionnel de faire son coming out.
Mais nos collègues allemandes du Südstadt Berufskolleg de Cologne avec lequel j’ai monté un partenariat depuis quelques années étaient aussi présentes. Là-bas se déroule chaque année, en mai, la Come Together Cup qui est un tournoi de football dont l’objectif est de s’engager dans la lutte contre les discriminations, quelles qu’elles soient. Il réunit plus de 20000 personnes et nous avons décidé d’y inscrire une équipe franco-allemande composée de garçons et de filles engagés dans la lutte contre les LGBTphobies. Nous ne pouvions pas faire participer directement tous nos élèves, soit près d’une cinquantaine, mais ceux qui n’ont pas pu jouer se sont révélés de très actifs supporters.
En parallèle de ces actions, et toujours dans le but d’impliquer un maximum d’élèves, j’ai fait intervenir à Anzin, en partenariat avec la médiathèque et une collègue du collège également impliquée dans notre échange franco-allemand, Olivier Lallart, réalisateur du moyen métrage PD dont l’action se situe en milieu scolaire. Il est venu avec les deux acteurs principaux de son film, Jacques Lepesqueur et Paul Gomérieux qui ont pu débattre avec une centaine d’élèves après la projection du film.
On en vient à ce qui constitue l’aboutissement final de ce travail autour de l’homophobie dans le sport : l’installation d’une exposition de 107 portraits ! Comment avez-vous réussi à monter un tel projet, et quels en étaient les objectifs ?
J’avais été marqué par le film Visages Villages réalisé par Agnès Varda et le photographe JR. J’y avais perçu que les visages sont d’extraordinaires vecteurs d’émotions et de messages qui se suffisent à eux-mêmes. J’ai donc pris contact avec l’équipe de JR qui organise le formidable programme Inside Out qui rassemble, à travers l’exposition de portraits en grand format, des individus autour d’un message ou d’une cause qu’ils souhaitent défendre. Une fois encore, lorsque j’ai proposé à l’équipe de JR l’organisation d’une exposition contre les LGBTphobies, la réponse a été immédiatement positive.
Il ne m’apparaissait d’emblée pas évident de convaincre des adolescents, souvent réticents à montrer une image d’eux-mêmes qu’ils voudraient parfaite, d’accepter de s’exposer ainsi pour une cause. Pourtant, la plupart des élèves ont accepté avec un enthousiasme qui m’a impressionné. Ils en ont parlé autour d’eux, auprès des autres classes et j’ai pu convaincre un certain nombre de collègues de participer à cette expérience. Il m’a cependant semblé, et cela doit sans doute nous interroger, qu’il était bien plus simple d’obtenir la participation des élèves que celle d’une communauté éducative souvent rétive. Les personnalités qui étaient intervenues à un titre ou un autre auprès des élèves se sont en revanche mobilisées avec force.
Les portraits ont été installés non seulement dans l’établissement, mais aussi dans divers lieux clés de la ville. Quel accueil ont-ils reçu par l’ensemble de la communauté éducative et par les habitant.es ?
Au final les 107 portraits d’élèves français et allemands, de personnels de l’éducation nationale et de personnalités publiques ont pu être affichés en mai 2024, grâce à l’appui de la municipalité d’Anzin, sur les bâtiments publics de la ville, les murs du collège et ceux du lycée.
La présence de ces portraits a pu susciter quelques interrogations auprès des habitants comme auprès des élèves. Le journal municipal avait déjà répondu à certaines d’entre elles, mais il me semblait intéressant de susciter également le questionnement de ceux qui, intrigués, ne connaissaient pas le projet. Les retours, tant en ville que dans les établissements scolaires, ont tous été positifs et plusieurs personnes, en voyant la qualité de ces photographies d’un mètre trente sur quatre-vingt-dix centimètres, ont même regretté de ne pas avoir osé participer.
Au final, nous sommes parvenus à susciter l’intérêt et, par la suite, une adhésion de la population anzinoise au projet. De nombreux anciens élèves, qui s’étaient renseignés, sont venus m’en parler.
Des suites à ce projet sont-elles envisagées pour l’année prochaine ?
J’ai eu la chance, il y a quelques semaines, de rencontrer les membres de la compagnie de théâtre Le GIVB (Groupe d’Intervention Vocal Basic), originaire du Bordelais. J’ai assisté à la représentation d’une de leurs pièces, Naître, qui parvient avec beaucoup de sensibilité à lier, à travers l’échange d’une mère et d’un homosexuel qui exprime tout son désir d’être père, le sujet de l’homophobie aux questionnements féministes. Ce sont des sujets importants qui m’ont toujours paru intimement liés et nous allons pouvoir faire se produire la compagnie devant nos élèves en décembre prochain. Ils proposent également une autre pièce, Ne le dis surtout pas !, qui aborde la question du coming out ainsi que des ateliers d’écriture qui permettront à nos élèves de libérer leur parole.
J’envisage également de pérenniser notre participation à la Come Together Cup de Cologne et, avec l’appui de son fondateur, Andreas Stiene, de faire participer nos établissements français et allemands à la Christopher Street Day de Cologne qui a mobilisé l’année dernière un million quatre cent mille personnes contre les discriminations LGBTphobes.
D’autres idées me viendront sans doute encore, ou à mes élèves dont j’espère faire un jour, au niveau académique, national ou européen, des ambassadeurs de la lutte contre les LGBTphobies qui se voudront force de propositions auprès de nos instances dirigeantes.
Propos recueillis par Claire Berest
Unis contre l’homophobie et la transphobie dans le football : sur le site InsideOut.
Vidéo de présentation du projet et des différents partenaires par un élève.