Professeure des écoles en REP, Magali Jacquemin travaille en pédagogie Freinet, pédagogie où « l’irruption de la vie dans la classe est au centre des apprentissages ». Dans cet article, l’enseignante évoque l’actualité comme point de départ pour l’étude des institutions. Elle rappelle un enjeu essentiel de l’École émanciper par la conscientisation.
Une grève fait irruption dans la classe et questionne
L’année dernière, nous avons été nombreux parmi les enseignants de l’école à faire grève contre la réforme des retraites, régulièrement. Alors, rapidement, les questions ont commencé à fuser. A la joie de ne pas avoir classe l’inquiétude à ne plus jamais avoir EPS ou à voir la grève s’étendre parfois sur plusieurs jours dans une même semaine est arrivée. Mais, surtout, la démarche de la grève commençait à intriguer : Maitresse, pourquoi tu fais grève ? Qu’est-ce que tu fais les jours de grève ? Quand est-ce que vous déciderez d’arrêter la grève ? Si le gouvernement fait quand même la réforme, la grève va continuer ? Dis, maitresse, ça existe une grève qui dure une année entière ? Et puis la machine institutionnelle a commencé à s’emballer.
J’ai donc envisagé de travailler un point important du programme : les institutions de la Vème République. Mes élèves avaient acquis de bonnes bases à cette époque de l’année et il suffirait de décrire les choses telles qu’elles vont pour qu’ils en cernent les problématiques en termes de répartition des pouvoirs.
À l’origine il y eut la Révolution française.
Nous avions étudié la Révolution française pour comprendre la naissance de l’idée républicaine en France. Nous nous étions cherchés dans la société d’Ancien régime pour percevoir l’ampleur du Tiers État, nous nous étions attelés à rédiger des cahiers de doléances pour sentir en nous l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis observé le Serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille, la marche des femmes sur Versailles, l’abolition des privilèges et l’installation de la Constituante pour envisager ce que signifiait la force de la souveraineté populaire, et enfin la fuite du roi à Varennes, la Marseillaise, le 10 août, la proclamation de la 1re république et la déchéance du roi. L’idée que le pouvoir exécutif ne peut être qu’assujetti au législatif et à la souveraineté du peuple était alors ancrée.
Si nous avions eu besoin de voir naître cette idée républicaine, c’est que nous venions de naviguer dans les flots du 19e siècle et de ses révolutions pour une république sociale. La brèche ouverte par les élèves en septembre avait été : pourquoi l’école publique, gratuite et laïque n’a-t-elle pas toujours existé ? Quand et pourquoi cette idée est-elle née et a-t-elle été adoptée pour tous les enfants ? Chemin faisant, nous avions rencontré des enfants au travail, Gavroche et ses ami·es les gamin.es de Paris, les grèves du Creusot, la naissance des syndicats et leurs caisses de solidarité, etc. La conscience que les droits sociaux avaient systématiquement été l’objet d’une conquête accrochée à la notion de droit naturel du genre humain était ancrée.
Les élèves étaient prêts à comprendre ce que leurs professeurs faisaient en grève.
« La retraite à 60 ans : on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder ! »
Fatimatou voulait savoir : Maitresse, après la grève de l’usine Shneider au Creusot, c’est là que la retraite a commencé à exister ? Marvin, lui, avait bien compris : Moi je crois que l’idée de retraite intéressait beaucoup les révolutionnaires, mais pas trop les patrons à cause de l’argent que ça coûte, alors ça a duré longtemps avant de devenir vrai. Dixit le slogan ! Chez Ben, sûrement à l’occasion d’une lecture en famille des traces écrites de la classe, la mèche avait manifestement été vendue à l’enfant : La retraite, c’est pas plutôt un truc de 1936 quand les gens ont fait la grève générale ? Nolan, quant à lui, se souvenait que son grand frère avait déjà connu les journées sans classe pour cause de grève pour les retraites en 2019. Alors des groupes de recherches se sont constitués dans la classe : un pour connaître les idées sociales de la Révolution française, un pour faire la liste des idées sociales des grévistes et révolutionnaires du XIXe siècle, un pour retrouver le programme social du Front populaire et du Conseil National de la Résistance, un s’attachant à étudier les réformes récentes pour faire reculer les droits à la retraite. Les élèves ont alors arpenté la chronologie, parfois avec des bottes de sept lieus pour envisager l’ensemble, parfois au scalpel pour scruter les détails. Puis chaque équipe a livré sa trace écrite à la classe ; le patchwork était au complet.
Alors la crise démocratique s’en est mêlée
Puis il y a eu le 49.3, et encore la grève.
« Mais maitresse, mon père il a dit que c’était le président qui décidait la loi et que la retraite était passée pour 64 ans. Du coup, t’as raté ta grève ? Du coup, pourquoi tu refais grève ?
– Laisse tomber, c’est parce qu’elle est trop en colère. Mon père, il a dit que les gilets jaunes allaient revenir parce que le président ne peut pas tout décider : c’est pas le roi.
– J’avoue ! Tu vas faire une manifestation, jeudi, maitresse ?
– Mais j’ai pas compris : pourquoi il peut décider si y a plus de roi et s’il y a une assemblée ?
– Mon père, il a dit qu’il ne comprend plus rien et qu’il en a marre de la grève des profs puisque maintenant la réforme est décidée.
– Moi je comprends rien à la télé : un coup on dit que la retraite sera à 64 ans parce que la loi est décidée, un coup on dit que ça peut encore changer. Ma mère elle ne me croit plus quand je dis que tu vas encore te mettre en grève, maitresse. »
Alors j’ai montré aux élèves l’ensemble des ressorts démocratiques existants et j’ai proposé qu’on les suive, pas à pas, pour qu’ils puissent comprendre les infos. Nous allions écrire des leçons ensemble. Étudier pour conscientiser, étudier pour émanciper.
Le précédent des présidentielles
L’année précédente, j’avais connu un précédent à cette manière d’étudier les institutions à l’aune de l’actualité politique, parce que nous en avions besoin pour décrypter. Lundi matin au lendemain du premier tour de la présidentielle, c’était le désarroi et l’inquiétude.
A la panique, j’avais répondu par la connaissance, rassurante et porteuse d’espoir. On était parti de ce que les élèves comprenaient de notre régime démocratique et, clairement, pour eux, hors l’élection présidentielle, point de salut. L’Assemblée nationale, comme garante de la représentation du peuple et comme législatrice, ils ne la connaissait pas. Alors nous sommes, là encore, revenus à nos connaissances de début d’année sur la naissance de la souveraineté populaire et du pouvoir législatif en Révolution. Alors la discussion sur la Ve république est apparue comme lumineuse. L’espoir de voir les élections législatives contrebalancer ce qui se passait avec la présidentielle est apparu évident. Pour comprendre, nous avons dessiné mille fois l’Assemblée nationale, ses 577 députés et ses groupes parlementaires. Certain·es ont envisagé de dessiner leur constitution idéale, celle des origines, avec les pleins pouvoirs au législatif, mandataire du peuple.
Le 49.3
De retour en classe après le 49.3, j’ai donc annoncé une nouvelle journée de grève tandis que la plupart des élèves étaient égarés parce que la loi venait manifestement de passer. Mais plusieurs savaient qu’elle n’avait pas été votée et que le président avait trouvé un truc pour faire obliger la loi.
À nouveau, j’ai décortiqué avec mes élèves les dispositifs de la Ve république, à l’aune de nos connaissances révolutionnaires et républicaines issues de la Révolution française et du 19e siècle.
En quelques leçons à réviser ou nouvellement écrite, les élèves furent désormais capables de décrypter la crise démocratique qui se déroulait sous leurs yeux. J’y ai trouvé mes meilleurs soutiens à la cause de la grève.
Chaque matin, nous avions rendez-vous en classe avec l’actualité et nous déroulions pas à pas les différents ressorts démocratiques à la disposition du peuple et de ses députés pour faire entendre sa voix à l’exécutif. Les connaissances balayées ainsi depuis le début de l’année montraient bien où en était la crise démocratique et permettait, sûrement, d’effectuer un parallèle avec les combats menés par les sans-culottes du 14 juillet 1789, les femmes du 5 octobre 1789 ou encore des fédéré.es du 10 août 1792 pour défendre la cause de la souveraineté populaire et de la république ; entre autres. Pratiquer ainsi, c’est aussi faire des connaissances historiques un instrument de compréhension du monde tel qu’il va constitue le vecteur même de l’exercice de l’esprit critique : il émancipe parce qu’il conscientise.
Magali Jacquemin