Depuis quelques jours, on connait les sujets 0 du futur concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) que les candidats – en vérité, surtout des candidates – passeront désormais à l’issue de leur licence (L3) et non plus à la fin du master 2, comme cela est le cas depuis la réforme Blanquer du printemps 2022. Ce sujet 0 se présente comme un modèle d’examen pour permettre aux étudiant·es et à leurs formateurs et formatrices de préparer au mieux le nouveau concours en préparation. Il se décompose en deux épreuves : une épreuve de français et de mathématiques en 4 heures et une épreuve de la même durée comprenant des exercices dans 5 disciplines – histoire-géographie-enseignement moral et civique, éducation physique et sportive, arts, sciences et technologie, langues vivantes. Dès sa sortie, le sujet 0 du CRPE a suscité des mécontentements de la part des formateurs et formatrices préparant les étudiants aux concours et des spécialistes dans chaque discipline. Mélanie Fabre, maîtresse de conférences en histoire à l’Inspé de Picardie, revient sur les exercices prévus en histoire-géographie-EMC.
L’épreuve débute par un QCM permettant d’évaluer les connaissances de base des candidats. Que pensez-vous de cette proposition ?
Ma première surprise vient des repères sélectionnés par le concepteur du sujet : on revient à une histoire très classique et très franco-centrée. Le candidat au concours est censé avoir mémorisé des repères en histoire politique, en histoire militaire et être capable de citer les grands hommes de l’histoire du pays. On aurait pu espérer des approches relevant de l’histoire sociale, de l’histoire transnationale ou l’intégration d’exemples tirés de l’histoire des femmes, autant de domaines de recherche qui ont profondément renouvelé la discipline historique depuis plusieurs décennies et dont les programmes scolaires cherchent à s’emparer.
Par ailleurs, la formulation même du sujet laisse à désirer sur plusieurs points : la Renaissance, processus qui s’inscrit dans le temps long et se diffuse en Europe à partir du Quattrocento italien, doit-elle être placée avant ou après l’invention de l’imprimerie – 1450 ? Ensuite, au sujet de la deuxième question, il faudrait rappeler à son concepteur qu’une phrase affirmative se termine par un point et que la formule « Première Guerre mondiale » comporte des majuscules pour les deux premiers termes. On attendrait plus de rigueur à la fois dans les contenus disciplinaires et dans la maîtrise de la langue écrite de la part d’un sujet de concours supposé être un modèle.
Mais surtout, sur le fond, le choix d’un QCM pose question : l’histoire semble être, aux yeux des concepteurs du sujet, une discipline consistant simplement à assimiler et à restituer des connaissances. On entrevoit aisément les effets d’un tel sujet 0 sur la préparation du concours : pour réussir le CRPE, il faudra bachoter, retenir des dates et des noms de personnages célèbres. Cela va à rebours des efforts poursuivis depuis longtemps pour réformer l’enseignement de l’histoire afin d’en faire une discipline fondée sur la critique des sources et sur le développement d’une réflexion personnelle et argumentée.
Mais un exercice de « travail sur document » est bien présent à la suite de ce QCM : ne répond-il pas à cette nécessité d’évaluer, chez les candidats, la capacité à se confronter à une source historique ?
Manifestement, dans cet exercice, le document n’est qu’un prétexte. Il suffit de lire le titre de l’article du Petit Parisien pour répondre à la première question : la source se réfère à l’assassinat de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand. À nul moment il n’est demandé aux candidats de réfléchir à la nature du document, à son contexte de production, à la diffusion de ce journal qui se présente comme « le plus fort tirage des journaux du monde entier », à la manière dont il a pu être reçu par les lecteurs, etc.
Par ailleurs, la question posée aux candidats évoque un « événement historique majeur », mais ce qualificatif est-il juste ? Il ne correspond en tout cas pas à ce que dit le document : nulle part l’annonce de l’événement ne s’accompagne de l’hypothèse qu’il puisse être le lointain catalyseur d’une guerre mondiale dont le déclenchement trouve sa source dans le jeu des alliances diplomatiques entre les pays européens. Sans doute la plupart des Français qui lisent ce journal le 29 juin 1914 sont-ils largement inconscients de la portée de l’événement. La première question proposée par le sujet apparaît donc largement plaquée sur le document.
Quant à la seconde question, qu’en dire ? Un rapide sondage auprès de collègues enseignants en histoire rejoint mon sentiment : la formulation est très floue et les attendus difficiles à cerner. En l’absence de correction proposée pour ce sujet 0, on comprend mal « l’intérêt historique » que le candidat devrait être en mesure d’identifier dans ce document.
Le choix même de proposer pour un exercice sur la Première Guerre mondiale une « récitation de cours » sur l’assassinat de l’archiduc est contestable. Elle s’inscrit dans la même logique que l’exercice précédent de survalorisation de l’histoire politique et prend le contrepied des programmes actuellement enseignés, qui sont beaucoup plus en phase avec les renouveaux de la discipline historique. Ainsi, la fiche Éduscol qui traite de la Première Guerre mondiale dans le programme de CM2, produite par le ministère, invite les professeur·es des écoles à adopter une entrée qui « pourra porter sur les acteurs du conflit, les types de combats (armement, phases du conflit), la vie à l’arrière, le rôle des femmes, le bilan et l’impact durable [de la guerre] sur les sociétés européennes ».
La dernière question du sujet 0 s’élargit tout de même à l’histoire européenne en réclamant au candidat de réfléchir à la notion de « régime totalitaire »
Certes, mais comme pour l’épreuve de géographie qui suit, il s’agit, pour le candidat, de restituer une simple définition apprise en amont et non de s’interroger en profondeur sur ce concept complexe. Sa réponse ne doit d’ailleurs pas excéder 5 lignes. Il ne lui est donc jamais demandé, dans cette épreuve, de produire une véritable réflexion personnelle argumentée s’inscrivant dans une authentique démarche intellectuelle.
À cette aune, l’épreuve d’enseignement moral et civique n’est pas plus convaincante…
La question qui m’interpelle le plus dans la partie EMC, c’est le QCM sur la définition de la laïcité « française », où le candidat est invité à cocher les « bonnes réponses » et à ignorer les « mauvaises ». C’est une approche très normative, qui a le tort, me semble-t-il, de se présenter comme un « catéchisme républicain », alors même que, par essence, l’instruction laïque se caractérise par son refus de tout dogmatisme et par sa volonté de valoriser la démarche scientifique, le débat et la confrontation d’idées étayées et argumentées, autant d’objectifs qui sont totalement absents dans cette épreuve tant en histoire qu’en géographie et en EMC. Cette dernière discipline, intitulée de la sorte depuis 2013, est pourtant présentée dans les textes officiels comme devant « développer le sens moral et l’esprit critique, permettre à l’élève d’apprendre à adopter un comportement réfléchi, préparer à l’exercice de la citoyenneté et sensibiliser à la responsabilité individuelle et collective » (B.O. du 25 juin 2015). On voit mal comment de telles épreuves au concours permettraient de stimuler ces mêmes compétences chez les futurs enseignants.
D’après vous, quel type de candidat, donc de futur enseignant, un tel sujet permet-il de recruter ?
Un sujet conçu de cette manière valorisera des candidats qui sont en réussite dans une démarche consistant à apprendre et à réciter, et nullement des profils capables d’exprimer un point de vue critique et étayé sur des documents ou une argumentation structurée sur une question historique ou sur un aspect du programme d’EMC ou de géographie.
Cela me paraît très grave. Comme tous les textes officiels le rappellent, l’objectif de l’histoire-géo-EMC est de former les futurs citoyens, de participer à la construction de leur autonomie intellectuelle et de leur esprit critique, objectifs qui ne peuvent être atteints que grâce à des enseignants compétents. Or, un tel sujet de concours promet de recruter à l’avenir de simples exécutants et non des professeurs au sens noble du terme, disposant à la fois d’une forte maîtrise des savoirs disciplinaires et des compétences mobilisées spécifiquement dans chacune des matières qu’ils enseignent.
Le métier de professeur des écoles est une profession extrêmement exigeante par sa pluridisciplinarité et par le véritable défi intellectuel que représente au quotidien la constitution de séances tant en sciences, qu’en littérature ou en histoire à destination d’un public enfantin. Sans doute les concepteurs de ce sujet n’ont-ils pas conscience qu’il est bien plus difficile de construire un cours d’histoire digne de ce nom – reposant sur une critique de sources primaires, incitant les élèves à s’approprier des documents, à les critiquer et à confronter leur point de vue à celui de leurs camarades – pour des enfants, plutôt que pour des lycéens. Mais peut-être souhaitent-ils que l’enseignement de l’histoire en primaire se réduise à des listes de dates et d’hommes célèbres à apprendre ?
Les artisans de la réforme des concours de l’enseignement, en réduisant la formation disciplinaire des futurs enseignants et en constituant des sujets de concours en décalage complet avec les ambitions des diverses disciplines, notamment de la discipline historique, ne témoignent que mépris pour ce métier et pour les candidats, appréhendés non comme de futurs enseignants éclairés, mais comme des perroquets récitant leur leçon.
Peut-être les décideurs répondront-ils que le fait que le concours se déroule désormais à la fin de la L3 exige d’en réduire les objectifs sur le plan des contenus disciplinaires, des compétences mobilisées et nécessite d’en expurger la partie didactique – conception de séances – jusqu’alors présente au CRPE. Ils gagneraient alors à jeter un œil aux sujets d’histoire-géo donnés au même concours en 2009, alors que les candidats s’y présentaient également à la fin de leur licence (un exemple ici). Nul ne pourra alors nier la dégradation des ambitions du pouvoir politique dans le recrutement des professeurs des écoles dont – faut-il le rappeler ? – le rôle est absolument déterminant dans la trajectoire à long terme de millions d’enfants.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda