De la maternelle au lycée, et peut-être même au-delà, les établissements scolaires sont des lieux d’apprentissage de la vie sociale. C’est en étant avec les autres, en les découvrant, en interagissant avec eux, que les individus apprennent à se connaître et à construire les relations avec autrui. Ainsi, l’apprentissage de la vie sociale fait partie des attendus, plus ou moins explicites selon les systèmes éducatifs, qui participent de l’intérêt général. Plus l’institution scolaire favorise l’apprentissage du vivre ensemble, plus la société en retire les bénéfices. C’est pourquoi les organismes internationaux (UNESCO, Union Européenne, OCDE) insistent sur l’importance qui doit être accordée à ces apprentissages pour la formulation des attendus nationaux. Il existe ainsi de véritables recommandations internationales en matière d’apprentissage du vivre ensemble qui sont plus ou moins suivies selon les gouvernements des pays.
Mixité scolaire
Cela semble être une évidence : apprendre à vivre ensemble suppose d’être scolarisés ensemble. La mixité scolaire apparait comme une condition nécessaire à l’apprentissage du vivre ensemble. Il s’agit d’une mixité qui est à la fois sociale et culturelle. C’est en découvrant les différences sociales et culturelles que les élèves peuvent réellement appréhender la société dans sa richesse et sa diversité. La logique de la mixité scolaire, qui s’oppose au communautarisme et à la culture de l’entre-soi existant parfois chez certains, permet de se prémunir contre la tendance qui pousse les sociétés à se segmenter. En un sens, grâce à la mixité scolaire, les établissements scolaires peuvent être considérés comme les lieux de rassemblement des composantes de la société, dans toute leur diversité, où les élèves apprennent à faire Nation. A l’inverse, on peut légitimement s’interroger sur les capacités d’apprentissage du vivre ensemble offertes aux élèves qui fréquentent les établissements pratiquants l’entre-soi. Sans possibilité d’appréhender la richesse sociale, les représentations que les élèves se construisent deviennent simplistes et autoréférencées. Cela pourrait prêter à sourire si l’entre-soi ne générait pas, par la suite, une grande incompréhension des mécanismes sociaux chez certains décideurs qui n’ont pas eu la chance de côtoyer la diversité pendant leur scolarité.
Compétences psychosociales
Faut-il rappeler ce que sont les compétences psychosociales (CPS) ? Formalisées en 1993 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les CPS composent un ensemble cohérent de compétences cognitives, émotionnelles et sociales qui permettent de « faire face aux exigences et aux défis de la vie quotidienne ». Il s’agit d’avoir conscience de soi, d’apprendre à se maîtriser, à prendre des décisions constructives, à développer des relations, à résoudre des conflits en trouvant des solutions positives pour soi et les autres, etc. Il est à noter que la capacité d’écoute empathique, mise en avant actuellement par les autorités éducatives, n’est qu’une des 21 CPS spécifiques.
La maîtrise des CPS est un enjeu majeur. Puisqu’elles touchent à l’apprentissage de la vie sociale, elles relèvent à la fois de l’intérêt particulier de chacun des élèves et de l’intérêt général de la société. C’est pourquoi elles font partie, depuis 2006, du socle commun de compétences proposé en 2006 par le Parlement européen, qui propose de consacrer un domaine entier aux compétences sociales et civiques, entendues comme « l’aptitude à participer de manière efficace et constructive à la vie sociale et professionnelle et à s’engager dans une participation civique active et démocratique, notamment dans des sociétés de plus en plus diversifiées ». Aux compétences sociales, s’ajoutent les compétences civiques permettant de responsabiliser les élèves en les interrogeant sur les conséquences de leurs actes et en les incitant à participer activement à la vie démocratique.
Dans la continuité des recommandations du Parlement européen de 2006, la réflexion sur l’apprentissage du vivre ensemble, s’est enrichie des apports du Conseil de l’Europe qui a publié un guide pratique en 2008 et de ceux de l’UNESCO qui a diffusé le référentiel pour l’éducation à la citoyenneté mondiale en 2015. Dans les deux cas, il s’agit d’envisager la notion de citoyenneté à l’échelle de la planète et de privilégier les pédagogies actives favorisant l’apprentissage de compétences cognitives, socio-émotionnelles et comportementales, considérées comme indissociables.
Passées au filtre des autorités éducatives françaises, les compétences sociales et civiques n’ont pas été reprises en l’état. La logique a été celle d’une dissémination dans les programmes disciplinaires qui a fait perdre toute sa substance à un ensemble cohérent de compétences acquises au travers d’activités d’apprentissage qui font pourtant l’objet d’une large mutualisation en réseau. De fait, en France, les CPS en tant que telles n’ont pas été retenues dans les attendus nationaux, ni en 2006, ni en 2015, ni en 2018, ni en 2023, dates où ceux-ci ont été partiellement révisés. Les autorités éducatives doivent se dire que la jeunesse française n’a rien à apprendre en la matière. A croire que les français, toujours plus malins que les autres, disposeraient naturellement, de façon presque innée, des capacités à se connaître, à se maîtriser, à prendre des décisions constructives, à développer des relations, à résoudre des conflits, etc.
Dans la pratique, les professionnels de l’éducation (CPE, professeur(e)s des écoles, enseignant(e)s du secondaire) ont pleinement conscience que la maîtrise des CPS favorise le vivre ensemble et l’instauration d’un climat scolaire propice aux apprentissages. A de nombreux endroits, avec l’appui des collectivités territoriales (communes et/ou départements) beaucoup d’établissements scolaires ont introduit la maitrise des CPS dans leurs attendus spécifiques de sorte que celles-ci expriment une volonté affichée des acteurs de terrain. A cet égard, il existe une forte inégalité républicaine entre les élèves bénéficiant d’une centaine d’heures apprentissages des CPS pendant leur scolarité et ceux pour lesquels le sujet n’a même pas été abordé.
Vivre et construire ensemble
Les CPS ne sont pas les seules compétences à être vivement recommandées par les organismes internationaux. Face aux enjeux du XXIème siècle, apprendre à vivre ensemble ne suffit plus. Il faut aussi apprendre à construire ensemble. Les compétences civiques et citoyennes comprennent ainsi un volet créatif et visionnaire.
Quels sont les enjeux ?
Les compétences civiques et citoyennes ont trait à la raison d’être de l’éducation. De nos jours, avec l’inflexion des attendus éducatifs vers les compétences, l’idée générale est d’apprendre aux élèves à construire collectivement le futur plutôt que de maîtriser individuellement les savoirs leurs permettant de trouver une place dans l’état actuel de la société. Pour cela, les situations d’apprentissage doivent leur permettre de construire ensemble une vision du futur souhaitable, de stimuler leurs capacités de création collective pour y parvenir et de les responsabiliser en leur apprenant à anticiper les conséquences de leurs choix. C’est là toute la logique de l’apprentissage transformationnel porté par l’UNESCO.
Ainsi, deux conceptions radicalement différentes de l’éducation s’opposent. D’un côté, celle de ceux qui envisagent l’éducation sur le modèle de la reproduction, ayant pour objectif de transmettre aux générations futures les savoirs acquis par les générations antérieures. De l’autre, celle des organismes internationaux qui portent l’objectif ambitieux de transformer les systèmes de pensée, de sortir des cadres de références, de prendre en compte la complexité, de favoriser l’imagination et la créativité et de sortir d’une vision mécaniste de la société afin d’apprendre à construire collectivement un futur souhaitable. Pour les premiers, le modèle éducatif est celui de la compétition. Les élèves sont en concurrence pour maîtriser les savoirs qui leur permettront d’accéder aux emplois qu’ils envisagent. Pour un élève, construire son avenir consiste à découvrir le monde professionnel existant (il faut donc faire des stages au plus vite) et avoir de l’ambition consiste à viser toujours plus haut, en fonction d’une hiérarchisation implicite partagée par une partie de la société. La logique est individuelle. Pour les autres, le modèle éducatif est celui de la coopération. L’école est considérée que le lieu privilégié de la coopération, où l’on apprend à créer collectivement et à s’émanciper. Pour un élève, construire son avenir signifie participer à l’invention collective du futur souhaitable. Dans cet univers coopératif où l’intelligence collective est de mise, avoir de l’ambition n’a pas trop de sens, chacun cherche davantage quelle pourrait être sa contribution personnelle en fonction de ses talents et de ses aspirations. La logique est pleinement collective.
Les deux modèles éducatifs étant difficilement compatibles, le divorce est clairement prononcé entre ceux qui renforcent le modèle concurrentiel et ceux qui revendiquent la coopération. Ces derniers sont dans la grande incompréhension des orientations prises par les autorités éducatives lorsqu’elles promeuvent le modèle de la reproduction. Ils attribuent ces inflexions à une vision parcellaire de la société de la part de décideurs publics qui, baignés dans la culture de l’entre-soi, n’ont pas eu la chance de côtoyer la diversité pendant leur scolarité.
Stéphane Germain
Lien vers les CPS sur Santé public France
Lien vers le Guide pratique pour l’éducation à la citoyenneté mondiale du Conseil de l’Europe
Lien vers le référentiel UNESCO pour la citoyenneté mondiale