Comment se fait-il que l’opinion publique ait une image dégradée des enseignants, ou pour le moins, une image éloignée des réalités de la profession ? Comment se fait-il que l’opinion publique ne perçoive pas l’inventivité et le dynamisme des enseignants dans leur capacité à créer des solutions innovantes pour répondre aux besoins de leurs élèves ? Dans le même temps, comment se fait-il qu’une petite partie de l’opinion publique adhère au « choc des savoirs » et à la nécessité de mettre en place des groupes de niveau, au mépris du savoir universitaire et des recommandations des organismes internationaux ? Cela tient, en partie, à la distorsion induite par la communication déloyale des décideurs publics à l’encontre des enseignants. Explications.
Les médias s’intéressent spontanément à la vie des établissements scolaires dès que celle-ci fait apparaître des problèmes ou des dysfonctionnements qui donnent matière à sensation. Ainsi, une partie de la couverture médiatique du monde de l’éducation renvoie une image des enseignants qui n’est pas propice à la reconnaissance sociale d’un métier en voie de dévalorisation. Ce ne sont pourtant pas les initiatives pédagogiques qui manquent dans les établissements scolaires. La majorité des enseignants est pleinement épanouie dans l’exercice d’une profession reposant en grande partie sur les relations humaines tissées avec les élèves, afin de les emmener vers l’acquisition de compétences.
Pour que l’opinion publique n’ait pas une vision déformée du métier, il faudrait que les médias viennent dans les établissements scolaires afin de témoigner de ce qui s’y passe. Il faudrait montrer la vitalité des professionnels de l’éducation et leur créativité pédagogique pour répondre aux besoins spécifiques des élèves. Cela ne se passe pas, ou trop peu. Beaucoup de médias s’intéressent à la vie des établissements scolaires mais venir faire un reportage suppose de passer par le filtre des autorités académiques.
De fait, les établissements n’ont pas la liberté d’inviter les médias comme bon leur semble pour permettre la réalisation de sujets porteurs sur l’éducation. Lorsque la situation se présente, ils doivent se référer aux autorités académiques, qui donnent, ou non, leur approbation. Cette pratique relève de la coutume plus que d’une disposition réglementaire explicite. Dans la pratique, il s’agit d’une consigne orale ou écrite qui prend appui sur des circulaires faisant elles-mêmes référence au devoir de réserve des fonctionnaires. De la sorte, l’entrée des médias dans les établissements scolaires est soumise au bon vouloir des autorités académiques. Certaines sont plutôt ouvertes quand d’autres sont totalement restrictives. Dans les faits, chacun peut constater que les médias n’abreuvent pas l’opinion publique de reportages in situ qui valorisent le métier des enseignants.
A l’inverse les déplacements des autorités éducatives en établissements scolaires, qu’elles soient ministérielles ou académiques, sont largement couvertes par les médias. Il s’agit de visites « à la Ceausescu ». L’expression est née en 2012, lors d’un projet Erasmus qui avaient fait venir des enseignants roumains dans l’académie de Poitiers. Assistants à la visite d’un recteur en lycée, ils avaient expliqué que ce genre de déplacements très policés, où les élèves et les enseignants jouent devant les médias une partition préparée, n’existaient plus en Roumanie depuis la chute de Ceausescu. L’expression est restée.
La surmédiatisation des visites à la Ceausescu n’est pas anodine. Ces visites renvoient l’image d’une autorité éducative omnisciente, seule à même de trouver les solutions aux problèmes complexes que rencontre l’éducation. Les enseignants sont principalement mis en avant dans leur capacité à bien mettre en application les dispositions ministérielles. Cela conforte, aux yeux de l’opinion publique, l’image de décideurs publics éclairés qui viennent expliquer aux enseignants les bonnes façons d’exercer leur métier.
Cette différence de traitement d’image des enseignants et des décideurs publics par les médias relève d’une forme de communication déloyale. Les enseignants ne disposent pas du champ médiatique légitime permettant de montrer la réalité de leur métier. Dès lors, on ne peut s’étonner de l’image déformée que se fait l’opinion publique et de l’incompréhension que cette image suscite. Mettre fin à la communication déloyale supposerait que les décideurs publics adoptent un code éthique les rendant circonspects à pratiquer les visites à la Ceausescu et qu’ils accèdent à une revendication forte des enseignants en lèvant les restrictions d’accès aux médias dans les établissements scolaires.
Stéphane Germain