Jeudi 21 mars sera diffusé un documentaire sur la réalité d’une école maternelle Rep+ nantaise, « L’école en équilibre, chronique d’une maternelle de quartier ». Le film de 52 minutes, co-produit par France 3 Pays de la Loire, nous plonge dans la réalité de la classe, mais il nous permet surtout de partager les questionnements de quatre enseignantes de l’école.
Carole, Pascale, Elsa et Lucie enseignent en grande section à la maternelle REP+ Jean Moulin de Nantes, au cœur de la cité Malakoff, construite entre Loire et voies SNCF au début des années 1970. Les réalisatrices, Eurydice Calméjane et Catherine Pamart font des quatre femmes le sujet principal du film, assumant de se centrer sur leur vécu sans s’attacher aux autres professionnels ni aux familles. Cela leur permet de tisser quatre vies, quatre regards, quatre expériences qui s’enchâssent, pour raconter une histoire sensible, sans chercher à démontrer, mais à témoigner en filmant les classes et les regards des enfants de très près. La cité est omniprésente, mais reste loin, autour de la bulle de l’école dont on ne s’échappe qu’en allant dehors.
La maternelle, Carole y est venue par goût de la « liberté pédagogique ». Lucie avait envie de « redonner ce que j’ai reçu », croire dans le pouvoir de l’école, de l’apprentissage, et le transmettre, malgré tout. Dernière arrivée, Elsa a été conquise : « quand j’ai vu que tout le monde se parlait, j’ai pas voulu partir… »
Travailler à Malakoff, c’est être la pointe avancée de l’État. Pas facile de gagner la confiance des parents, de limiter l’absentéisme, d’entrer en communication avec des adultes fragiles, précaires, par mille moyens détournés. Accueillir, ne pas juger, créer du lien pour que les enfants puissent investir l’école, c’est un engagement quotidien pour les faire apprendre, leur parler, ralentir, reformuler, écouter, gérer encore les corps, accompagner, enrichir le lexique et l’imagination, donner des structures avec l’aide des deniers de Compère Lapin, apprendre à attendre son tour, raconter ce que pensent les personnages, faire l’abécédaire des enfants de la classe ou de la nature autour de l’école, compter jusqu’à onze, savoir quel mois on est, faire écrire, convaincre Jimmy qu’il va pouvoir apprendre même quand il « ne veut plus jouer à ça »…
Avoir confiance dans le temps long, mais savoir qu’on ne va pas toujours changer le monde : « Il y a toujours eu des élèves en difficulté et c’est sûr qu’on a besoin d’être accompagnés, on y est ouvert à la condition qu’on ne nous dise pas juste que nos évaluations ne sont pas à la hauteur » explique Lucie. Se documenter, se former encore, mieux comprendre comment ça marche l’apprentissage, pour garder l’envie « parce que je sais qu’il faut être au top pour eux, ou aller ailleurs ». Et donc faire feu de tout bois.
Les faire sortir pour créer des expériences qu’on va ramener dans la classe, goûter la gadoue ou la sentir, ouvrir des sources de questionnements, mettre en action des corps d’élèves accros à la tablette, raconter Le Chaperon Rouge avec des marottes au soleil, tirer le matériel dans les allées du parc… Mais aussi avoir l’ambition de la classe à la ferme, malgré toutes les difficultés. Construire les conditions du financement, négocier une par une les autorisations de partir des familles, calculer les budgets, chercher l’aide des associations, informer encore, aller ensemble en voiture, repérer les lieux, rassurer encore les parents, consoler ceux qui ne sont jamais partis, goûter un câlin avec le poney, donner les traitements médicaux, gérer le manque du téléphone, éteindre la lumière avant de souffler enfin…
Mais depuis quelques années, l’hétérogénéité des élèves est montée d’un cran : « Avant on avait des soins, de l’inclusion, des aides… Là on a parfois l’impression qu’on prend tout en vrac, et il faut se débrouiller », explique Pascale. Équipe éducative, à partir de quand? Faire le lien avec l’élémentaire, les préparer à l’hétérogénéité, en gardant parfois avec soi les plus éloignés des réquisits du CP…
Alors, être exposées encore, gérer les cris et les envahissants, les débordements des corps, les crises, poser la limite, recommencer, encore et encore, au risque du doute, les compter et les recompter, tenir devant la fatigue, durer dans le métier sans craquer, avoir peur d’une connerie, se protéger, passer le relai quand on peut, et parce que l’équipe l’organise, être ferme, pleurer dans un coin et ne pas trop craindre le dimanche soir… « Quand on se sent seules avec les problèmes, tout le monde souffre, et on sait qu’on va en laisser au bord du chemin ».
« J’espère que je suis pas la seule du quartier à leur mettre des ambitions dans la tête, explique Carole. Mais ça fait des nœuds au ventre. Quand on les voit savoir naviguer entre plusieurs cultures, ils devraient être armés. Mais quand les écarts ne se rattrapent pas assez, ça ne peut que semer de la colère ».
Produit par Moïra Chappedelaine-Vautier, héritière d’une tradition familiale outillée d’une caméra ancrée dans un regard social sur le monde, ce film est, à sa manière, une ode à la République. Foin d’héroïnes ou de méthodes magiques, de solutions simplistes ou de boucs émissaires : c’est d’engagement, de soutien et de temps dont l’école a besoin. Au risque de l’essoufflement.
Patrick Picard
« L’école en équilibre, chronique d’une maternelle de quartier ». Film de 52 min, co-produit par France 3 Pays de la Loire
Diffusion ce jeudi 21 mars en 2e partie de soirée sur France 3 Pays de Loire, et à partir du vendredi 22 mars sur la plateforme france.tv