Beaucoup d’établissements demandent leur classement en éducation prioritaire, et ce depuis de nombreuses années. Le label Éducation prioritaire rime avec avoir plus de moyens pour mieux accompagner un public d’élèves généralement en difficulté sociale et scolaire. Depuis 2014, l’OZP – Observatoire des Zones prioritaires, spécialiste incontournable de la question, demande aux différents ministres qui se sont succédés l’évaluation de cette politique, évaluation promise en 2014. Le collège la Durantière de Nantes (44) est un de ces établissements. Des universitaires et chercheurs ayant noué des liens privilégiés avec les enseignants qui y exercent publient dans les colonnes du Café pédagogique cette lettre ouverte à l’attention du Premier ministre. Une lettre qui déploit un propos dans lequel se reconnaitront quantités d’enseignantes et enseignants.
Lettre ouverte à Gabriel Attal, Premier Ministre
Au nom de l’exigence des savoirs, le collège la Durantière doit être classé en REP+ 1
Monsieur le Premier Ministre,
Vous avez déclaré « emmener à Matignon la cause de l’École » à laquelle vous donnerez, « comme Premier ministre, tous les moyens d’action nécessaire pour sa réussite »2. A la rentrée, vous vous alarmiez à juste titre des résultats « inquiétants »3 des évaluations nationales passées en classe de quatrième et promettiez un « choc des savoirs »4. Vous ajoutiez dans un entretien au Parisien5 : « en quatrième, on voit que durant le collège le niveau stagne, voire régresse, ce qui signifie que le collège ne parvient pas à réduire les écarts constatés à l’entrée en 6e. Le risque, si on ne fait rien, c’est que notre collège tombe en panne ».
Ces difficultés et ce risque se manifestent jour après jour au collège la Durantière de Nantes. C’est pourquoi, même si elle s’interroge sur la pertinence des premières mesures annoncées, l’équipe pédagogique de ce petit collège de l’éducation prioritaire (REP) se réjouit que le gouvernement se saisisse de la question de l’amélioration des apprentissages, pour ses élèves dont les résultats sont en moyenne alarmants, mais aussi pour elle-même dans la mesure où la satisfaction professionnelle des personnels est généralement en rapport avec les succès scolaires des élèves. Le public de cet établissement affecté par la précarité économique, peu familier de la culture écrite, particulièrement exposé donc à l’échec scolaire, aurait pu conduire les personnels à baisser les bras et se contenter de gérer le quotidien avec fatalisme. Or ils se mobilisent depuis des années pour résister au désenchantement.
L’équipe pédagogique, stable et soudée, n’a jamais abdiqué l’exigence scolaire. Les professeurs sont très soucieux de la qualité de leurs enseignements et cherchent sans cesse à faire évoluer leurs pratiques pour améliorer les acquisitions des élèves. Ils organisent tous les ans une formation sur site avec des universitaires pour répondre aux besoins professionnels des équipes. Ils réunissent chaque semaine un atelier didactique où ils testent sur eux-mêmes les activités qu’ils présentent ensuite aux élèves. Ils ont collectivement mis au point des outils élaborés de mémorisation active et d’explicitation des attentes en mathématiques, histoire-géographie, français. Ils s’engagent résolument dans des actions de liaison avec les écoles et lycées de secteur pour aider les élèves à donner du sens à leurs apprentissages. Ils accueillent chaque année de nombreux enseignants-stagiaires en formation initiale. Ils animent sur la pause méridienne une série d’ateliers de maths, de philosophie, d’EPS, de lecture, d’ouverture culturelle, de formation à l’argumentation et à l’éloquence. Malgré cet engagement résolu, les obstacles s’accumulent.
Parmi le public qu’accueille le collège la Durantière, on compte 10% d’élèves en situation de handicap, 10% d’élèves allophones, 15% d’élèves inscrits en Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA) et 60% d’élèves venant d’écoles classées en REP+, souvent les plus en difficulté puisque 70% des familles du secteur contournent le collège par dérogation ou par le recours au privé. Aux évaluations nationales de septembre 2023, 66% des élèves de sixième ont eu des résultats « fragiles » ou « à besoin » en français. Les 34% restant se situant pour la plupart dans la partie basse de la plage des résultats dits « satisfaisants ». En mathématiques, 71% des élèves de 6e ont des résultats « fragiles » ou « à besoin ». Seuls 4 élèves sur 90, soit moins de 5 % des élèves, valident tous les items avec un niveau « satisfaisant » à la fois en français et en mathématiques.
La pandémie de 2020-2021 et l’augmentation progressive de la part des élèves en difficulté accueillis6 ont fait basculer le collège dans une crise dont il ne se relève pas 3 ans après. Le nombre de cours supprimés7 et la désorganisation du service ont brisé les fragiles dynamiques d’engagement des élèves dans les apprentissages. Les nombreux retards et absences d’élèves réduisent considérablement un temps effectif d’exposition aux savoirs déjà amoindri par les difficultés habituelles en éducation prioritaire (manque d’autonomie dans le travail, oublis ou perte de matériel, leçons non apprises, incidents qui interrompent les séances). Cette situation n’est pas originale et d’autres établissements connaissent des réalités similaires. Mais le cumul des difficultés au collège la Durantière exaspère les tensions : une majorité d’élèves sont déçus de ne pas progresser et de ne pouvoir accéder aux poursuites d’études auxquelles ils aspirent avec leurs parents. Beaucoup le verbalisent. N’ayant plus l’école en tête, certains élèves en viennent à retourner leur amertume contre eux-mêmes ou contre les autres. Les incidents sont très nombreux, graves et quotidiens : 59 conseils de discipline ont été réunis en deux ans, ce qui représente plus de 15% de l’effectif global du collège. Les urgences prennent le pas sur l’essentiel dans tous les services de l’établissement. Les apprentissages ne sont plus la priorité quand il faut gérer les violences symboliques, verbales et physiques qui ponctuent le quotidien des élèves et des personnels. Cette inversion des priorités s’accompagne d’une perte de sens généralisée et pèse désormais fortement sur les résultats : aux évaluations nationales de septembre 2023, seuls 2 élèves de 4e sur 66, soit 3 % des élèves, valident tous les items avec un niveau « satisfaisant » en français et en mathématiques.
Les personnels et les parents d’élèves ont procédé à un diagnostic approfondi et documenté qui figure dans un dossier d’une quarantaine de pages dont les services du Ministère de l’Éducation nationale ont été destinataires. Ils en tirent la conclusion somme toute assez prévisible que le collège manque cruellement de moyens :
- divisions supplémentaires pour abaisser les effectifs par classe ;
- personnels en plus pour assurer la continuité des cours et la permanence du cadre d’apprentissage ;
- temps de concertation dans les services des enseignants pour renforcer le travail en équipe ;
- conditions de travail qui limitent les risques psychosociaux et les arrêts pour surmenage ;
- augmentation des crédits pédagogiques.
En résumé, ils demandent pour leur établissement le classement en REP+ qui procure la plupart de ces moyens.
Nous soussignés vous demandons instamment, Monsieur le Premier Ministre, d’entendre les demandes de cette équipe et de contribuer à ce qu’elle soit reçue rue de Grenelle, comme elle le demande depuis deux ans. Comment pourrait-on attendre que la communauté éducative nationale se mobilise pour la réussite du choc des savoirs requis si les établissements déjà engagés de longue date en ce sens n’obtiennent pas les moyens minimaux de poursuivre leur action ?
- Evelyne BARBIN, Professeure émérite à Nantes Université
- Stella BARUK, Professeure de Mathématiques, chercheuse en pédagogie, écrivaine
- Stéphane BONNERY, Professeur en Sciences de l’éducation, Université Paris 8
- Didier CARIOU, Maître de conférences HDR en Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Brest
- Sylvain DOUSSOT, Professeur des universités en Sciences de l’éducation et de la formation, Nantes Université
- Philippe MEIRIEU, Professeur des universités honoraire en Sciences de l’éducation
- Annick PETERS-CUSTOT, Professeure des universités en Histoire du Moyen Âge, directrice de l’UFR d’Histoire, Histoire de l’art et Archéologie de Nantes Université
- Patrick RAYOU, Professeur émérite en Sciences de l’éducation, Université Paris 8 (Circeft-Escol)
- Jean-Yves ROCHEX, Professeur émérite en Sciences de l’éducation, Université Paris 8 (Circeft-Escol)
- Jean-Pierre TERRAIL, Professeur des universités honoraire
Lien vers la pétition en ligne : https://chng.it/TtMB9CVwsR