Clément Reversé est sociologue, il a récemment étudié l’orientation des lycéens de milieux ruraux. Des lycéens, qui « contrairement à ce que l’on croit souvent, n’ont pas de retard scolaire ou culturel, et cela malgré une composition socioéconomique plus modeste qu’en ville ». Le chercheur, qui démontre que ces lycéens font souvent le choix de filières courtes et professionnalisantes, explique qu’ils ont bien souvent « un rapport plus concret et plus direct avec le marché de l’emploi » et que « l’urbanocentrisme dans la formation supérieure a tendance jouer en défaveur des ruraux ». Il répond aux questions du Café pédagogique.
L’orientation des lycéens ruraux se distingue-t-elle de celle de ceux plus urbains ?
S’il ne faut pas essentialiser la différence entre les espaces urbains et les espaces ruraux, il est certain que des différences persistent notamment pour ce qui est de l’éducation et de l’orientation. Les jeunes ruraux, contrairement à ce que l’on croit souvent, n’ont pas de retard scolaire ou culturel, et cela malgré une composition socioéconomique plus modeste qu’en ville. À l’entrée au collège, leurs résultats en français et en mathématiques sont d’ailleurs supérieurs à leurs homologues urbains. Ces différences s’expliquent notamment avec des classes plus petites qui permettent un meilleur apprentissage, mais aussi par une meilleure interconnaissance entre les parents et les enseignants qui facilite le travail pédagogique. Pourtant, on remarque bien que l’orientation des jeunes ruraux n’est pas tout à fait la même que celle des urbains. Si tous acceptent la prolongation de leur étude et le diplôme comme une norme, les roses se dirigent beaucoup plus vers des formations courtes et professionnalisantes.
Quelle est la spécificité de leurs choix ?
L’orientation des ruraux se fait donc beaucoup plus vers ce type de filière. Cela n’implique pas nécessairement — comme c’est souvent mis en avant — qu’ils ont des ambitions plus humbles ou qu’ils sont moins doués pour la chose scolaire, mais souvent qu’ils ont un rapport plus concret et plus direct avec le marché de l’emploi. À titre d’exemple à l’arrivée en 3e, 60 % des élèves ruraux imaginent faire des études supérieures contre 71 % des urbains.
Comment l’expliquez-vous ?
Il y a plusieurs éléments explicatifs que l’on peut mettre en lumière pour expliquer cette orientation particulière. En tout premier lieu, il faut penser le rapport entre emploi, territoire et formation. En clair l’orientation dans une filière puis dans un métier se fait fréquemment à l’aune du territoire dans lequel on vit. Là où la chose est plus compliquée encore c’est que partir faire des études supérieures signifie pour les ruraux s’éloigner très largement de là où ils vivent ce qui peut avoir un coût relationnel et émotionnel important. Bien entendu, tous les ruraux ne restent pas dans leur village d’origine, mais le fait pour les jeunes des villes de ne pas forcément avoir à faire ce déplacement est un atout dans la poursuite d’études supérieures. Plus que le coût affectif, il faut prendre en considération le fait que s’éloigner de chez ses parents a également un coût économique qui peut être important et qui limite — voire censure — le recours à des études supérieures dans des espaces urbains. Ce qu’il faut retenir c’est que l’orientation différée entre les ruraux et les urbains ne fait pas de ces deux réalités des mondes opposés où hiérarchisables, mais plutôt que l’urbanocentrisme dans la formation supérieure a tendance jouer en défaveur des ruraux.
Vous menez en ce moment une recherche comparative sur les politiques publiques en matière d’éducation en éducation prioritaire et en milieu rural. Quels en sont les premiers résultats ?
Ce que montre la recherche actuelle que nous sommes en train de mener, c’est tout d’abord le fait que les politiques publiques liées à la jeunesse et à l’éducation sont extrêmement urbanocentrées. Si on s’intéresse par exemple à la question du décrochage scolaire, les marqueurs permettant de repérer ce dernier ne fonctionnent pas réellement dans les espaces ruraux – notamment, car l’absentéisme y est plus faible. À côté de cela il y a également un rapport très différent à penser le continuum entre formation et emploi. Dans les espaces ruraux, celui-ci a un rapport très concret au travail avec une volonté de s’insérer professionnellement en général de manière plus précoce que dans les villes. Enfin il faut également noter qu’il y a un rapport très différent aux aides sociales et donc au non-recours. Par crainte de la stigmatisation comme un assisté ou un cas social, les ruraux ont tendance à avoir un non-recours beaucoup plus important, là où les urbains notamment des quartiers politiques de la ville, ou un rapport plus direct avec ces services.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda