La fin de l’enseignement à distance devait-elle nécessairement sonner la fin des classes dites « virtuelles » ? C’est la question à laquelle s’est trouvée confrontée Céline Maaz. Professeure de lettres modernes, référente école inclusive, formatrice pour la Mission Laïque Française, elle enseigne le français en collège dans le groupe scolaire Majorelle de Marrakech, au Maroc. A la rentrée scolaire 2020-2021, les cours reprennent de façon hybride, articulant enseignement distanciel et présentiel synchrone et asynchrone. Elle crée une classe virtuelle Bitmoji afin « d’accompagner et motiver tous les élèves », mais une fois l’année terminée, ses classes plébiscitent unanimement le dispositif et demandent sa reconduction ! Céline Maaz revient sur les différentes étapes et enjeux de ces nouvelles modalités de travail, qui constituent pour elle « un outil formidable pour un enseignement inclusif ».
Vous avez présenté au 12ème Forum des Enseignantes et Enseignants Innovants un projet de classe virtuelle Bitmoji. Comment est né ce projet ?
Au Maroc, le confinement et la pandémie du COVID se sont fait durement sentir, avec des restrictions dues au contexte sanitaire plus longues qu’en France. J’ai dû inventer une nouvelle façon d’enseigner et utiliser des outils numériques en raison des nouvelles modalités d’enseignement qui se sont imposées : enseignement à distance de mars 2020 à juin 2020, enseignement présentiel hybride et à distance en 2020- 2021.
Ma formation de Master 2 MEEF « Pratiques et ingénierie de la formation » à l’Université Paris Est Créteil m’a donné quelques outils pour faire face à ce défi et nous avons la chance dans mon établissement, le groupe scolaire Jacques Majorelle de Marrakech, de disposer de Google Suite for Education depuis l’année scolaire 2019-2020. J’avais donc commencé à utiliser Classroom avant le confinement de mars 2020 mais l’obligation de l’enseignement à distance m’a poussée à l’utiliser davantage car Pronote ne me semblait pas suffisant avec son environnement ergonomique austère et peu fonctionnel (critères de l’utilisabilité et de l’acceptabilité pour évaluer un dispositif de formation à distance selon André Tricot).
Pendant le confinement de mars à juin 2020, j’ai mis à disposition un programme hebdomadaire de travail dans Classroom pour chacune de mes classes. Il s’agissait d’un Google doc avec des liens hypertextes comprenant le lien vers leur manuel numérique ainsi qu’un tableau présentant pour chaque jour la séance prévue, les contenus et les supports de travail, les consignes et le travail à faire dans le classeur, et enfin dans une dernière colonne le travail à rendre dans Classroom. Chaque semaine, je leur accordais un jour de répit avec une pause culturelle grâce à des liens vers des films, des court-métrages à regarder, des chansons à écouter pour les distraire. J’insérais aussi une image motivante et des mots d’encouragement dans cette période difficile. J’ai également préparé un Google doc qui constituait le document d’autocorrection /correction pour les élèves. Je renvoyais à ce document de correction par lien hypertexte dans le programme de la semaine.
Pendant l’été 2020, j’ai découvert un groupe Facebook d’enseignants américains, « Bimoji Craze for Educators », qui proposait pour l’enseignement à distance un outil numérique encore plus pratique et convivial que le mien : une classe virtuelle élaborée avec Google Slide comprenant un avatar du professeur créé à l’aide de l’application Bitmoji. Cette classe virtuelle était une salle de classe idéale, belle et accueillante. L’avatar Bitmoji apportait de la convivialité et de la bienveillance tandis que l’insertion de liens interactifs sur les images des objets de la classe (tableau blanc, classeurs, livres, transistor…) permettait de renvoyer à des documents hébergés dans Google Drive ou sur le web (images, fichiers audio ou vidéo, Google Doc, pdf…) et donc de centraliser en un seul endroit, dans cette classe virtuelle, tous les documents pédagogiques de façon claire et pratique. De plus, les membres de ce groupe de professeurs américains mettaient généreusement leurs modèles de classes virtuelles gratuitement en partage.
La classe Bitmoji m’a donc paru l’outil le plus efficace pour enseigner et pour motiver mes élèves à la rentrée 2020-2021 quand les autorités marocaines ont limité l’enseignement présentiel pour freiner la propagation de la pandémie du Coronavirus. L’enseignement distanciel a été privilégié par les autorités mais les parents qui le souhaitaient pouvaient demander l’enseignement présentiel. La majorité des parents ont opté pour le présentiel, mais certains élèves sont restés en distanciel toute l’année scolaire. Par ailleurs, l’enseignement présentiel proposé était hybride : les classes étaient coupées en deux groupes de 12 à 15 élèves, et nous accueillions en alternance un seul groupe, un jour sur deux, pour respecter les distances sanitaires du protocole. Nous devions donc mener de front enseignement distanciel, enseignement présentiel en synchrone et en asynchrone pour le groupe d’élèves resté ce jour-là à la maison.
Pour enseigner à tous les élèves quelle que soit la modalité d’enseignement, j’ai adopté une classe Bitmoji hebdomadaire. Le décor changeait à chaque séquence et je réactualisais le plan de travail hebdomadaire chaque semaine. Il y avait des petits bonus dans la classe virtuelle comme des liens vers des chansons françaises ou des musiques relaxantes ou encore les principes de ma classe bienveillante.
Le projet s’est toutefois prolongé au-delà de la rentrée 2020-2021. Pourquoi avez-vous décidé de continuer sur votre lancée, alors que les conditions d’enseignement ne le nécessitaient plus et comment a-t-il peu à peu évolué ?
A la fin de l’année 2020-2021, j’ai envoyé un sondage « Ma classe Bitmoji et vous » à tous mes élèves. Les réponses dans le Google form ont été unanimes : les élèves plébiscitaient la classe Bitmoji. Selon eux, elle aidait les élèves en difficulté, elle leur permettait de réviser pour leurs évaluations ou de revoir une leçon non comprise, et elle les encourageait à travailler tout en leur donnant les moyens de s’organiser à la maison. J’ai décidé de continuer à l’utiliser mais en élaborant une seule classe virtuelle par séquence et par niveau de classe, au lieu d’une classe virtuelle hebdomadaire.
Dans la mise en place du projet, avez-vous rencontré des difficultés matérielles, celui-ci nécessitant que les élèves disposent tous et toutes de connexion et d’ordinateurs, ou des freins venant des familles ? Celles-ci ont-elles adhéré facilement au dispositif ?
Les élèves utilisent cette classe Bitmoji en dehors de l’école. Tous les élèves sont équipés de téléphones portables. La classe Bitmoji est accessible avec l’application Classroom installée sur leur téléphone, voire même par un simple lien URL à joindre dans Pronote. Quelques parents, peut-être 2 ou 3, m’ont dit ne pas avoir de compétences numériques et ne pas pouvoir comprendre la Classe Bitmoji. Mais en fait, nous utilisons un classeur et tous les cours ou presque sont sous format papier dans le classeur des élèves, tout comme le sommaire de la séquence que je photocopie pour tous les élèves ou les corrections que je photocopie pour les élèves à besoins particuliers. J’explique donc aux parents qu’en se référant au classeur, ils retrouveront le sommaire de la séquence, les cours, mais que la classe Bitmoji, qui ne requiert aucune compétence numérique pour être consultée ou utilisée, offre plus de possibilités que le classeur : les cours et corrections y sont plus lisibles et y sont complets, les cours sont enrichis par des liens vers différents supports pour revoir la leçon sous forme de fichiers audio, de capsules vidéo, de cartes mentales et de schémas etc. Le mémento numérique de mon cours de français y est accessible et permet par exemple d’accéder à un Padlet avec des sites pour travailler en toute autonomie le français à la maison. La classe Bitmoji n’offre donc que des bonus pour les élèves comme pour les parents. C’est un complément au classeur format papier !
Je présente en 5 minutes la Classe Bitmoji à la rentrée lors de la réunion parents-professeurs et j’incite les parents à installer l’application Classroom sur leurs téléphones portables avec les identifiants de leurs enfants pour pouvoir avoir accès à ma classe Bitmoji.
Qu’apportent selon vous d’essentiel ces modalités de travail, aux élèves bien sûr, tout d’abord, mais aussi aux enseignantes et enseignants ?
La classe Bitmoji permet aux élèves de revoir leurs cours à la maison et de leur apporter des ressources pour travailler en autonomie tout en soutenant leurs efforts. Il s’agit de rendre les élèves maîtres de leurs apprentissages en favorisant leur engagement, leur organisation et leur autonomie. Depuis que j’ai obtenu un diplôme universitaire (D.U.) « école inclusive dans les lycées français de l’étranger » de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation inclusive (I.N.S.H.E.A.) en 2022, j’ai découvert la conception universelle des apprentissages et je suis sensible au fait qu’il faut fournir des ressources et des outils pédagogiques accessibles à tous les élèves. La classe Bitmoji s’avère très utile pour les élèves en difficulté avec l’écriture ou qui ont des besoins particuliers comme les élèves dyslexiques, c’est un outil formidable pour un enseignement inclusif. Ainsi, chaque extrait littéraire étudié en classe est disponible sous format audio (lu par moi si je ne trouve pas un extrait sur le web) et je fais attention à ce que chaque œuvre littéraire étudiée soit disponible en audio livre que je mets à disposition de tous mes élèves. Pour les leçons de langue, je multiplie les supports (tableau, carte mentale, schéma, capsule vidéo, texte…) pour répondre à la diversité des apprenants.
La classe Bitmoji me donne l’opportunité d’organiser mes scénarios pédagogiques de façon rigoureuse et planifiée, puisque je livre l’ensemble de ma séquence pédagogique avec ses supports, ses objectifs, les consignes à l’avance aux élèves, dès le début de la séquence d’apprentissage. En outre, j’accueille mes élèves en classe tous les jours, à chaque cours, en leur projetant la classe Bitmoji qui les immerge dans la thématique de la séquence. La classe Bimoji contient toutes les ressources et les consignes ainsi que les corrections et le manuel numérique, donc c’est un outil que j’utilise sans cesse en classe pour mener mes cours.
Pour les enseignants, la classe virtuelle constitue ainsi un outil numérique permettant de planifier et expliciter son enseignement, de partager les ressources utiles, de les rendre accessibles à tous et de les communiquer aux élèves comme aux parents. Les avantages sont qu’une classe virtuelle centralise l’accès à des documents dans votre Drive ou en ligne sur le web que vous partagez avec vos élèves et qu’elle permet de délivrer un enseignement explicite pour favoriser la réussite de tous les élèves, y compris les élèves à besoins particuliers
C’est un outil transférable car il est possible d’utiliser Genial.ly pour faire une classe virtuelle Bimoji. On peut aussi se passer de l’avatar Bitmoji si on ne l’apprécie pas ou si on le trouve trop enfantin. Et si votre établissement n’utilise pas Google Suite for Education et Classroom, vous pouvez créer une classe virtuelle avec un simple Google slide et partager l’URL pour donner accès à cette classe virtuelle à vos élèves, voire à leurs parents.
Cette classe virtuelle est complétée, en particulier en 4ème, par différentes rituels : pouvez-vous nous en dire davantage sur les principes et enjeux de ceux-ci ?
Depuis 2022-2023 le rituel quotidien « L’assistant du professeur » est mis en place : grâce au site Classroomscreen, je tire au hasard un élève qui doit poser 3 questions sur les cours ou l’ouvrage de littérature que les élèves sont en train de lire, et donner un conseil de travail à ses camarades. L’élève tiré au sort vient au tableau devant un beau fond d’écran de Classroomscreen pour poser ses questions. En 4ème, l’élève doit en plus poser 2 questions sur la vidéo ou le podcast de la semaine pour le rituel « Le petit crack en culture générale ». J’ai créé ce rituel supplémentaire cette année en 2023-2024 à la demande de mes élèves de 5ème en fin d’année scolaire 2022-2023. J’ai préparé un programme de 31 vidéos ou podcasts de moins de 7-8 minutes à regarder ou écouter chaque semaine et issus de médias de référence comme France culture, Arte, TV5 monde, France TV ou des chaînes Youtube de Jamy Gourmaud, « Jamy-Epicurieux » ou « Culture G ».
L’élève tiré au sort, s’il réussit le défi, gagne un badge numérique qu’il choisit parmi les 3 planches de 10 badges possibles, des badges avec des GIFS animés, ceux avec des coupes et médailles ou encore ceux arborant mon avatar Bitmoji. Je place enfin le badge dans le casier à badges numériques. Chaque élève a sa rangée avec son nom dans ce casier à badges numériques.
J’ai institué ces rituels après des lectures d’articles de chercheurs en sciences de l’éducation montrant que les rituels contribuent à l’estime de soi des élèves, et que les encouragements sont plus motivants et ont plus d’impact que les punitions. En outre, je constate que ces rituels améliorent l’oral, et qu’en accord avec les principes des neurosciences, ils permettent de mémoriser et de réactiver des connaissances sans compter que c’est une façon agréable et efficace pour donner envie d’apprendre ses leçons !
Un tel dispositif pourrait apparaitre bien chronophage et donc faire peur : que diriez-vous à ceux et celles qui souhaiteraient se lancer pour les rassurer, notamment en termes de surcharge de travail ?
La classe virtuelle n’est qu’une présentation interactive. Ce support interactif ne prend pas plus de 15 minutes à élaborer. Il suffit de réutiliser les classes virtuelles généreusement partagées par des collègues comme celles du groupe Bitmoji Craze for Educators qui contient des centaines de classes gratuites, et d’y insérer votre propre avatar Bitmoji, ou encore de remanier facilement les modèles offerts selon vos besoins en supprimant ou en ajoutant des images d’objets.
Ce qui prend du temps, c’est de créer votre scénario pédagogique, de sélectionner les ressources pour vos cours, d’élaborer vos Google Doc ou ensuite d’insérer des liens interactifs dans la présentation.
Au début, ne soyez pas ambitieux, petit à petit vous pourrez enrichir votre classe Bitmoji avec des éléments ou des documents plus élaborés.
On peut aussi alléger le travail : pour le document de correction des exercices que je propose à mes élèves, je copie-colle les corrections du livre du professeur des manuels en usage dans mes classes. Pour le sommaire numérique de mes séquences, je réutilise souvent les mêmes ressources pour mes leçons de langue (capsules vidéos, cartes mentales, schéma..). Et l’avantage est que vous pourrez réutiliser les classes virtuelles et les documents créés les années suivantes. Tout est déjà prêt dans votre ordinateur ou dans votre Drive !
Propos recueillis par Claire Berest