Dans la brousse du Sénégal ou du Kenya, il y a des classes Montessori ; en Thaïlande, l’Association Montessori Internationale forme les enseignant(e)s du secteur public. A Zurich, à Moscou et à Singapour, comme en zone d’éducation prioritaire en banlieue de Paris… il y a des écoles Montessori. Benoît Dubuc (1) a fondé l’école Montessori de Québec en 1987. Il est aujourd’hui formateur AMI pour l’éducation auprès des enfants du primaire. Il vient de préfacer le livre de Donna Bryant Goertz Quand l’école s’adapte aux enfants.
Le fondateur de Wikipédia, les créateurs de Google … sont des anciens élèves d’établissements Montessori… Voyez-vous une relation de cause à effet avec leur réussite mondialement connue ?
Le romancier Gabriel Garcia-Lorca et le psychologue Erik Erikson devraient être ajoutés à cette liste de personnes célèbres. Ce qui est surtout intéressant chez les trois individus auquel vous vous référez c’est de constater l’effort qu’ils ont mis à rendre accessible à tous ceux et celles qui ont un accès internet, le savoir total de l’humanité, la géographie, le fond des mers, la voute céleste, … Il s’agit là ni plus ni moins du projet éducatif du primaire Montessori, certainement des traces de leur éducation primaire Montessori. Mais ce n’est pas la recherche de célébrité qui anime cette pédagogie mais le cadre à offrir à l’enfance pour son développement optimal. Le reste, l’individu y verra et la société l’intégrera.
Pourquoi la pédagogie de Montessori est-elle encore efficiente un siècle après son invention ?
Elle a été efficiente pendant plus d’un siècle. Elle l’est dans de nombreuses cultures aujourd’hui et demeurera telle tant que la libre pensée et le développement optimal de l’enfant resteront une préoccupation de tout parent et de toute société. C’est parce qu’elle est fondée sur une observation systématique et scientifique de l’enfant qu’elle résiste au temps, tendances, modes, etc. On peut parler d’une approche anthropologique de la pédagogie, une des rares. C’est la découverte des conditions de concentration auto-générée chez l’enfant qui a permis son développement.
Pourquoi porter attention à aider l’enfant à développer un sentiment de gratitude au primaire ?
Dès que l’enfant se métamorphose en être d’imagination et de raison vers 6-7 ans, il est notable qu’il s’intéresse à plus large que le cercle restreint de sa famille et de son entourage immédiat. Tout l’intéresse c’est pourquoi il nous faut lui fournir les clés de la compréhension de l’univers qui l’entoure. Il refera la découverte du monde, découvertes que d’autres ont fait avant lui. Il côtoiera Euclide et sa géométrie, Wegener et la dérive des continents, les peintres de Lascaux, Sappho et sa poésie pour ne nommer que quelques uns des grands qui l’ont précédé. Ces femmes et ces hommes ont ouvert la voie de la connaissance et les découvertes qu’en font l’enfant leur sont redevables. L’enfant du primaire s’inscrira ainsi dans cet effort de civilisation et il pourra éprouver de la gratitude envers celles et ceux qui l’ont précédé.
Il est important pour l’enfant du primaire, obnubilé inconsciemment par la construction de sa personnalité sociale, de prendre connaissance et d’apprécier celles et ceux qui était là avec elle et qui ont apporté leur pierre à l’édifice de la civilisation. C’est un sentiment de gratitude qu’il est approprié de cultiver chez ces enfants pour les aider à se sentir partie prenante du projet éternel de l’humanité. La période du développement humain de 6 à 12 ans est celle pendant laquelle l’enfant commence à investir délibérément et activement la vie sociale, particulièrement celle qui l’entoure.
Vous avez observé que l’enfant entre 6 à 12 ans développait sa personnalité sociale et que durant cette période il se conduisait de façon particulièrement grégaire. Comment définissez-vous cette personnalité sociale ?
L’anthropologie contemporaine a montré que l’enfant appartenant à des cultures pré-modernes commence à se faire remarquer vers 6 ans parce qu’il se met à avoir des comportements que les adultes qui l’entourent reconnaissent comme nécessaires à la vie de la communauté. C’est très clair dans le numéro de Human Nature(2011), #22dédié à la période de développement humain de 6 à 12 ans. Elle serait inscrite dans les gènes de l’espèce cette propension à s’engager avec des ami(e)s dans des activités socialement reconnues et acceptées. C’est une observation qu’a faite Maria Montessori et qui lui a permis de transformer sa pédagogie à partir du moment où l’enfant arrive à l’âge de raison. C’est aussi ce que démontre avec beaucoup de finesse Donna Goertz dans son ouvrage : Quand l’école s’adapte aux enfants.
Donnez-nous un exemple de ce grégarisme des 6-12 ans? S’agit-il d’acquis ou d’inné ?
Il y a quelque chose d’inscrit dans les gènes de l’espèce qui font agir les enfants de cette façon puisque ces mêmes comportements sont observés partout quand arrive ce second plan de développement. Cet esprit grégaire est évident quand on constate combien les enfants du primaire s’empressent de retrouver leurs amis presqu’en tout temps, comment ils aiment organiser leur travail en discutant en groupe, combien ils apprécient être aidé à trouver les moyens d’inclure un nouvel enfant dans leur groupe. La propension à l’esprit grégaire serait innée mais la façon de le faire sera culturelle, donc acquise. On peut lire de beaux exemples dans la littérature comme le héros de Mark Twain, Huckleberry Finn, ou encore dans les Signes de piste de mon enfance ou les Harry Potter qui ont enthousiasmé les enfants avec qui je travaillais dans ma classe. Les Quatre Cent Coups du cinéaste français Truffaut sont combien instructifs à cet égard. Cet esprit de corps, de groupe, communautaire prend racine au cours de cette période de développement de 6 à 12 ans et l’éducation ne peut que s’y adapter.
L’ennui des enfants pendant le temps passé en classe est en France une réalité constatée, parfois admise comme un mal nécessaire… Comment l’école peut être intéressante pour les élèves ?
Il est difficile de ne pas être intéressé à quelque chose si l’on a non seulement le loisir de s’y investir, mais une incitation à le faire. Pour que l’école soit intéressante, il faut simplement qu’elle réponde à ce que cherche à faire tout enfant grandissant. C’est tout-à-fait réalisable et on sait comment s’y prendre. Le documentaire français « Être et Avoir » montre bien un milieu de vie où les enfants sont partie prenante au processus d’éducation. Il semble bien que les Finlandais y réussissent avec leur système scolaire. Quand j’avais fondé l’école à Québec, j’avais adopté l’approche Montessori après plusieurs années à chercher comme universitaire les causes de cet ennui. Je m’étais donné comme premier paramètre que chaque enfant devait être heureux de son expérience scolaire. Ça s’est bien passé, ça se passe toujours et les enfants ne sont pas moins intelligents ni moins cultivés.
Vos propos paraissent parfois théoriques, de temps à autre utopiques, idéalistes… Peuvent-ils débouchés sur une pratique pédagogique très concrète avec de véritables enfants?
Souvent des principes paraissent bien théoriques quand ils sont très peu implantés dans la culture. Les principes pédagogiques de cette approche fondée sur l’observation sont éminemment pratiques. Mais on voit bien combien ils sont révolutionnaires à la pensée de celles et ceux qui suivent une formation pour devenir enseignantes. Il faut un temps d’assimilation et ces principes deviennent parfaitement pratiques et observables au quotidien. La difficulté c’est d’être en relation avec les enfants différemment, ne plus prodiguer un enseignement mais aider à optimiser le développement de chacun chacune. Ça reste révolutionnaire mais c’est fondé scientifiquement. Il n’est pas très difficile d’être avec les enfants de cet âge si l’on respecte le plan de développement intrinsèque.
La foi catholique de Maria Montessori a-t-elle biaisé sa perception de l’enfant ? Pour être plus explicite, quelle est la part du religieux, voire du sacré dans l’approche Montessori?
Maria Montessori vivait sa spiritualité au plan personnel. En Indes, dans la phase avancée de sa carrière, on lui donnait le titre de « Guru », celle qui sait. Mais elle a surtout observé et mis en valeur le fait qu’une partie de ce qui fait notre humanité c’est la nécessité du sens. Nous sommes bel et bien Homo « Sapiens ». Ce sens, la religion l’offre à plusieurs, mais la spiritualité, tous en ont besoin pour vivre. Le psychologue Viktor Frankl l’a bien montré. Si l’enfant s’intéresse à tout au primaire, cette fille ou ce garçon a aussi des préoccupations et des questions spirituelles et philosophiques à résoudre et son milieu de vie devra l’aider à trouver des réponses.
Que répondre aux commentateurs qui disent qu’en France les établissements Montessori sont privés et concernent une minorité d’enfants parmi les couches moyennes supérieures et de ce fait entérinent les effets de la reproduction sociale et des inégalités ?
On a dit aussi que l’approche Montessori favorisait la créativité au détriment de la rigueur, et le contraire, qu’elle cadre beaucoup trop l’enfant au dépend de sa créativité. Depuis que cette découverte existe, beaucoup de choses ont été dites et pourtant les enfants continuent de bien se développer partout, d’apprendre le respect d’autrui, la gratitude envers l’humanité, et ce, pas seulement en France aujourd’hui. Dépendant du pays où vous voulez établir une école offrant cette approche, la structure sociale vous offre son cadre légal.
Les établissements qui ont un projet éducatif Montessori cherchent à répondre aux besoins de développement des enfants. Certains de ces établissements existent dans des milieux favorisés, d’autres dans des milieux moins favorisés. Certains sont sous contrat, une bonne partie ne l’est pas. Mais il faut d’abord exister pour être capable d’offrir une alternative et ça n’est pas facile en France. Ce qui existe pourra peut-être faire une différence dans le débat continuel devant exister dans une démocratie pour donner le plus de chances possible à chacun. Dans la brousse du Sénégal ou du Kenya, il y a des classes Montessori ; en Thaïlande, un pays en émergence, on a demandé à l’Association Montessori Internationale (AMI) de former les enseignant(e)s du secteur public. Des écoles Montessori, il y en a à Zurich, à Moscou et à Singapour, comme en zone d’éducation prioritaire en banlieue de Paris. J’ai reçu ma formation Montessori à Kansas city dans une école publique nouvellement dédiée aux enfants complètement défavorisée de la ville parce qu’on y a vu une façon d’aider ce milieu. C’est une approche scientifique d’éducation disponible à tous.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Quand l’école s’adapte aux enfants… de Donna Goertz
Pas de concurrence entre élèves dans les écoles Montessori. Les apprentissages se font dans un contexte de partage, de mutualisation, de collaboration, d’entraide… Pourquoi la réussite dans les études devrait être corrélée à l’esprit de compétition, aux rivalités, à la perception d’autrui comme un obstacle ou un adversaire ? La recherche de l’excellence et l’obtention de très bons résultats peut se libérer du modèle archaïque qui assimile l’éducation et l’instruction quasiment toujours à la concurrence voire au combat. En préfaçant l’ouvrage de Donna Goertz, Benoît Dubuc défend un processus de formation des enfants sans concurrence, néanmoins avec des niveaux d’apprentissage évaluables. Ce modèle coopératif propre à l’école apparaît dans de nombreux autres aspects de la vie sociétale dans la production, la vie communautaire, la création, la solidarité, la liberté d’expression… Il existe un immense territoire ou l’homme n’est pas un loup pour l’homme.
200 pages paru le 11/09/2014 chez Desclée De Brouwer (Collection Psycho)
ISBN 2220065669. EAN 978-2220065663
Note :
1 Benoit Dubuc, Directeur de Formation AMI
Mouvement Montessori