11% des enseignants et enseignantes de lycée professionnel étaient en grève selon le ministère, près de quatre fois plus selon les syndicats – 40%. Plusieurs manifestations étaient organisées partout en France. À Paris, ils et elles étaient plusieurs centaines à battre le pavé. Parmi les manifestant·es, des enseignants, des enseignantes, des élu·es, des personnel·les de direction et d’inspection. Et si elles et ils étaient si mobilisés, c’est parce que cette réforme c’est celle de trop, c’est celle qui attaque une « partie conséquente de notre jeunesse, celle de la France populaire, celle de la France modeste, celle des enfants d’ouvriers et d’employés » nous a déclaré Alexis Corbières, député, qui était du rassemblement parisien.
Le lycée professionnel, c’est 630 000 élèves, l’équivalent d’un lycéen sur trois. Le projet de réforme qui fait l’unanimité syndicale contre lui prévoit moins de temps d’enseignement et plus de temps d’entreprise pour ces lycéens. « On demande à une partie de la jeunesse populaire de se taire, d’aller bosser sans jamais lui demander ce qu’elle veut faire de sa vie », nous dit Sophie Taillé-Polian, rencontrée place de la Sorbonne à Paris et qui ne mâche pas ses mots. Et elle rappelle que « les élèves de la voie professionnelle sont les seuls à ne jamais avoir eu de garantie de choix de filière. On les case où y a de la place ». « Cette réforme, c’est celle de trop. Elle dénote de la vision très utilitariste de cette partie de notre jeunesse, celle des plus défavorisés », dénonce la députée du Val-de-Marne.
La fin du chef-d’œuvre, la fin d’un projet qui rassemble et qui donne du sens aux savoirs
A quelques pas, Sylvie manifestait avec ses collègues. Sylvie est professeure de Lettres-Histoire en lycée professionnel depuis 35 ans, dont 34 ans au lycée Viollet le Duc à Villiers Saint-Frédéric dans l’académie de Versailles. Beaucoup de choses lui déplaisent dans ce projet de réforme. La fin programmée de l’épreuve du chef-d’œuvre l’accable tout particulièrement. « En co-intervention, on a réussi à embarquer nos élèves dans de superbes projets. On donne envie à nos élèves, les savoirs prennent du sens. Avec mes CAP, on est sur la création d’un bureau. Ils ont travaillé sur le plan, j’ai abordé l’histoire du bureau à travers le livre ‘’Ethnologie du bureau’’ de Pascal Dibie, on a étudié la description. Mes élèves travaillent et s’amusent ». Elle s’inquiète aussi pour ses Terminales qui feront le choix du stage. « Ils ne se souviendront pas de leurs cours, ils seront mal préparés aux épreuves et se ferment la porte à la poursuite d’étude ».
« 600 euros, c’est une sacrée somme pour nous, pour nos familles »
Gelliale et ses collègues ont préparé une belle banderole, ils et elles sont une quinzaine à être venu du Lycée polyvalent Darius Milhaud du Kremlin-Bicêtre. « Il y a aussi des collègues de la voie technologique et générale qui se sont mis en grève avec nous. Nous sommes 22% de grévistes », précise Gelliale. « Depuis la double tutelle – ministère de l’Éducation nationale et ministère du Travail, on se dirige vers une privatisation du lycée professionnel avec une perte d’heures considérable d’enseignements généraux et professionnels – après avoir déjà perdu énormément avec la réforme Blanquer. C’est une dégradation terrible des conditions d’enseignement pour ces élèves qui sont précaires, qui sont de milieux défavorisés, qui sont allophones et que l’on veut mettre au travail ». Elle dénonce aussi le choix laissé aux élèves de terminale : six semaines de stages valorisés 100 euros la semaine ou six semaines de cours avec à l’horizon, la poursuite de cours. « Nos élèves nous le disent, ‘’Madame, 600 euros, c’est une sacrée somme pour nous, pour nos familles’’. Ils sont dans une vision à court terme ».
Professeur en lycée professionnel, aujourd’hui député de Loire-Atlantique, Jean-Claude Raux était aussi du cortège parisien. « Je suis venu m’élever contre cette réforme du lycée professionnel qui est une des priorités du président de la République. On veut former une partie de notre jeunesse en fonction du bassin d’emploi ». Et il en va vu passer des réformes qui ont privé de « bases solides d’enseignement général » cette partie de la jeunesse issue des quartiers populaires « pour 95% », Jean-Claude Raux. « Je m’inquiète vraiment aujourd’hui. Pour leur scolarité mais aussi pour la suite de leur vie. Quelles seront leurs perspectives de carrière, leur mobilité professionnelle », interroge-t-il. « Alors quand Carole Grandjean parle de voie d’excellence, on voit bien à quel point son discours est creux », ajoute-t-il, amer. « La réforme qu’elle porte, c’est celle qui conduira nos jeunes à être des outils de production au service de l’entreprise ».
« La bourgeoisie n’accepterait pas que l’on supprime 170 heures à ses enfants »
« Ce n’est pas une question à part, minoritaire », déclare Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis. « Il s’agit d’une partie conséquente de notre jeunesse, une jeunesse issue de la France populaire, de la France modeste, une jeunesse composée d’enfants d’ouvriers et d’employés ». Cette réforme, « c’est celle du mythe d’une entreprise qui forme » selon lui. « Alors oui, l’entreprise apporte mais elle n’est pas formatrice. Nous, nous voulons former des élèves qui deviendront, certes, des travailleurs et travailleuses utiles à la Nation, mais aussi des élèves qui seront des citoyennes et citoyens émancipés, des citoyens et citoyennes qui ne maitriseront pas seulement les savoirs en lien avec leur métier, avec les besoins de l’entreprise ».
« Toute l’histoire de l’École, et de la République, c’est précisément d’arracher l’École aux intérêts privés, fussent-ils religieux ou patronaux », ajoute l’élu. « Et là, on est face à une logique, en particulier pour cette jeunesse issue des milieux populaires, où l’on fait rentrer les intérêts privés. La bourgeoisie n’accepterait pas que l’on supprime 170 heures à ses enfants, elle se dresserait ».
Lilia Ben Hamouda