Pour Yannick Trigance, les annonces du Ministre ne répondent pas aux besoins de l’école. Pire, elles vont à contre sens des préconisations scientifiques et de l’OCDE. « Une école élitiste qui écarte les plus faibles, aux antipodes d’une école humaniste qui ne laisse personne au bord du chemin : Monsieur le Ministre, votre école n’est pas la nôtre » écrit le conseiller régional dans cette tribune.
A grand renfort de communication comme il en a pris l’habitude et le même jour que la publication de l’édition 2022 des résultats du Programme international pour le suivi des acquis des élèves – PISA –, le Ministre de l’éducation Gabriel ATTAL a délivré ce mardi 5 décembre toute une série de mesures tirées de son « choc des savoirs ».
On notera avec un certain intérêt que les conclusions tirées de cette mission « du choc des savoirs » – menée au pas de charge en huit semaines – fait étrangement écho aux résultats de ce PISA 2022. L’instrumentalisation des résultats au service d’une politique de plus en plus conservatrice et passéiste consiste pour une grande part à naviguer dans le sens de l’opinion publique sur au moins deux sujets : le redoublement et les « groupes de niveau ».
Supprimé en 2014, rétabli partiellement en 2018, le Ministre a gaillardement présenté le redoublement comme le remède à la « baisse du niveau », bien décidé à revoir cette question « tabou » dont il sait pertinemment qu’elle recueille l’assentiment de nos concitoyens.
Peu lui importe que ce redoublement frappe d’abord et avant tout les élèves des milieux défavorisés – 57% des élèves de seconde professionnelle redoublent contre 20% des élèves de seconde générale et technologique -, les enfants des familles monoparentales – 37% de risques de plus de redoubler une classe avec un seul parent – ou ceux issus de familles ouvrières.
La démotivation, le sentiment d’infériorité, la perte de confiance et d’estime de soi ressentis par les élèves lors d’un redoublement ne pèsent rien face à une stratégie politique qui fleure bon la nostalgie d’une école qui dès le plus jeune âge triait sans vergogne les élèves.
Et plutôt que de mettre en place des politiques pédagogiques de re-motivation et de différenciation pour une prise en compte personnalisée des difficultés des élèves – enseignants spécialisés, tutorat, baisse des effectifs, éducation à l’orientation, formation des enseignants, maîtres surnuméraires …- , le ministre persiste à dilapider les 2 milliards annuels que coûte le redoublement, invoquant la nécessité de « relever le niveau » des élèves alors même que les experts de l’OCDE soulignent que la baisse du redoublement n’a pas aggravé les inégalités.
A ce retour en grâce du redoublement, le ministre ajoute celui des « groupes de niveau » qui à l’évidence sonne le glas du collège unique, vieille revendication de toute une frange réactionnaire.
En déclarant : « quand vous avez des élèves qui ont un niveau tellement diffèrent dans une même classe vous finissez par tirer tout le monde vers le bas », Gabriel ATTAL se heurte aux très nombreuses études qui infirment cette assertion et qui montrent que la gestion de l’hétérogénéité par des logiques de séparation selon le niveau non seulement ne fonctionne pas mais à l’inverse génère un creusement des inégalités, une perte de motivation, une stigmatisation des élèves les plus faibles – facteur de décrochage- et du côté des enseignants un abaissement du niveau d’exigence inhérent à une concentration maximale de la difficulté scolaire dans une même classe.
La répartition des élèves en groupe de « besoins », dispositif temporaire de renforcement de compétences particulières, présenterait l’immense avantage de maintenir une hétérogénéité indispensable à l’apprentissage du vivre-ensemble tout en traitant la difficulté de manière adaptée et personnalisée.
Mais là encore, l’affichage politique d’un pseudo retour à « l’exigence » – aurait-elle disparue ? – l’emporte sur la prise en compte réfléchie et raisonnée du traitement de la difficulté scolaire.
Sans un mot pour la mixité sociale, pour la formation des enseignants, la pénurie des candidats aux concours de recrutement, la suppression de 2500 postes prévus au budget 2024 – plus de 6000 suppressions depuis 2017 – ou encore le lien entre le statut socio-économique et la réussite scolaire – les élèves issus de milieux favorisés obtiennent des résultats en mathématiques supérieurs de 113 points à leurs camarades de milieux plus modestes, soit un écart parmi les plus importants des pays de l’OCDE –, le ministre Gabriel ATTAL déplore sans état d’âme un modèle d’école fondé sur la compétition, le séparatisme et l’entre soi au détriment d’une école de l’altérité, de la coopération et de l’émancipation.
Une école élitiste qui écarte les plus faibles, aux antipodes d’une école humaniste qui ne laisse personne au bord du chemin : Monsieur le Ministre, votre école n’est pas la nôtre.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France