Le mois dernier, Jacques André Méard nous a quitté. Sa disparition brutale a suscité un profond choc émotionnel dans le microcosme de l’EPS, et bien au-delà dans le monde de l’éducation. Enseignant, chercheur et formateur (notamment à Toulon, Nice puis Lausanne), il n’avait pris sa retraite que très récemment. Son travail était unanimement reconnu, tout comme son enthousiasme, sa bienveillance et son humanité. Nous n’étions pas des proches de Jacques André Méard, mais des lecteurs familiers de ses écrits. On invitera celles et ceux qui le souhaiteraient à (re)lire l’entretien qu’il avait accordé au café pédagogique, voilà près d’une décennie, en décembre 2014. Il y pointait notamment une idée forte : « [malheureusement] le rôle de l’enseignant est relégué à presque rien ». Nous sommes particulièrement sensibles à cette réflexion qui interroge directement l’exercice du métier et la formation des futurs professeurs. Ainsi, pour lui rendre hommage, et parce que la dénonciation de ce qu’il appela « l’invisibilité de l’enseignant » est une thématique qui apparaît en filigrane de son parcours, nous proposons ici de revenir sur quelques moments clés de son travail et de ses collaborations.
Dès la fin des années 1990, dans un ouvrage co-écrit avec Stéfano Bertone et intitulé « Le professeur d’EPS et les attitudes d’élèves. Analyse des dispositifs pédagogiques en France de 1984 à 1996 », Jacques André Méard constate que l’intervention de l’enseignant est un sujet de réflexion secondaire, éclipsé par la prédominance des modèles didactiques (alors centrés sur les savoirs et les tâches) et la valorisation de l’autonomie des élèves. Dans le corpus d’articles étudiés par les deux collaborateurs, les discours invitent plutôt l’enseignant d’EPS à se mettre en retrait, voire à disparaitre, éventuellement à négocier avec les élèves, jamais à imposer les fondements de la relation pédagogique. Opposé à cette conception silencieuse et non-directive de l’enseignement, Jacques André Méard dénonce les conséquences néfastes d’une discipline au sein de laquelle l’homme ou la femme de terrain peinerait à trouver « des repères intermédiaires entre l’autoritarisme et le laisser-faire » (p.93).
Dans un autre ouvrage devenu classique, et une nouvelle fois co-écrit avec Stéfano Bertone (« L’autonomie de l’élève et l’intégration des règles en éducation physique », 1998), Jacques André Méard défend le rôle décisif joué par l’enseignant pour accompagner les élèves dans les processus d’éducation et d’instruction. Plus précisément, il montre que l’autonomie des élèves en EPS se construit pas à pas, grâce à l’appropriation d’un système de règles qui est au cœur de la dynamique des interactions en classe. L’enseignant est le garant de cette construction, et à ce titre, il lui faut accorder de l’attention au sens que les élèves attribuent aux règles du travail scolaire, tout en veillant à réglementer les transactions à propos des tâches et des savoirs.
Cette même idée est développée dans une recherche conduite en 2009 et intitulée « Analyse des transactions professeur-élèves en éducation physique : étude de cas ». Elle repose sur la comparaison de l’activité de deux enseignants d’EPS, lors d’une séquence de badminton réalisée avec une classe de 3ème commune aux deux professeurs. Les résultats soulignent des différences d’efficacité entre une enseignante novice, qui engage les élèves dans un travail exploratoire à partir de situations à résolution de problèmes (SRP), et un enseignant expérimenté, qui propose un guidage beaucoup plus fort en prescrivant des règles et des contenus à intégrer. La première démarche est présentée comme pouvant entraver les apprentissages en contribuant à maintenir une « fausse négociation » avec les élèves, engendrant alors des attitudes non désirées, voire des comportements d’incivilité susceptibles de menacer la viabilité du cours. Au bout du compte, l’étude questionne la pertinence des SRP et pointe les dérives possibles d’une démarche qui consisterait à faire systématiquement découvrir aux élèves les solutions par eux-mêmes et à masquer les règles du travail scolaire.
Cette question est également transposée dans le domaine de la formation en 2004 par Jacques André Méard et Marc Durand, à l’occasion d’une communication intitulée « Masquer le savoir à des stagiaires qui réclament des recettes. Les dilemmes des formateurs ». La réflexion s’engage à partir d’un constat préoccupant : « du professeur d’université à l’enfant de petite section de maternelle, chacun est supposé découvrir des solutions, mettre à jour un savoir caché, chercher des réponses aux problèmes posés. (…) Le fait de ne pas donner de modèle devient une sorte de modèle exclusif ». Pour les auteurs, l’absence de modèle pose problème, notamment parce qu’elle génère de l’inconfort, de l’inquiétude, voire de la peur. En réaction, l’invisibilité du savoir et du formateur incite les stagiaires à formuler constamment des demandes d’aide, sous la forme de « recettes » ou de « solutions ».
Enfin en 2009, l’ouvrage de Jacques André Méard et de Françoise Bruno intitulé « Les règles du métier dans la formation des enseignants débutants » propose une réflexion similaire. Les auteurs s’interrogent sur la disparition de dispositifs de formation prescriptifs, au sein desquels il s’agissait « de régurgiter un prêt à porter professionnel », au profit d’une « formation basée sur des pratiques réflexives », selon lesquelles le stagiaire doit tout découvrir par lui-même. Cette migration est dénoncée par les auteurs qui ne se réclament ni d’un pôle, ni de l’autre. Au contraire, tous deux défendent une conception de la formation dans laquelle l’acquisition des règles et des compétences professionnelles est supervisé par un formateur qui introduit pas à pas, et en douceur, le futur enseignant dans l’univers de la classe.
Cette brève incursion dans le travail de Jacques André Méard, montre que les réflexions à propos de l’invisibilité de l’enseignant constituent un véritable fil rouge de son parcours. Elles s’inscrivent dans le prolongement des débats classiques entre les pédagogiques directives et non directives, mais sous une forme actualisée, tenant compte de la réalité des situations d’éducation et de formation. L’auteur n’appelait évidemment pas un retour aux pédagogies traditionnelles, mais il défendait le rôle déterminant joué par le professeur. Plus subtilement, il nous enjoignait à être prudent en ce qui concerne la propension actuelle à systématiser l’autonomie et la réflexivité, sans penser cette question de manière dialectique en référence au guidage de l’enseignant ou du formateur. Il nous laisse des écrits d’une grande richesse, qui peuvent inspirer le développement professionnel de chacun, mais également ouvrir la voie à de futurs travaux de recherche.
Jérôme Visioli, MCF, Université de Bretagne Occidentale (UBO), et Teddy Mayeko, MCF, Université Cergy Paris (CYU)
Dans le Café pédagogique
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