Pour Gabriel Attal, c’est à l’École de lutter contre la surexposition aux écrans des enfants en offrant des alternatives. Yannick Trigance, conseiller régional spécialiste des questions éducatives et Mathilde*, enseignante, réagissent à cette énième déclaration.
Dans l’édition d’un quotidien national paru le 14 novembre dernier, le Ministre de l’Éducation nationale Gabriel ATTAL explique la baisse du niveau de nos élèves en mettant notamment en avant la responsabilité des écrans, appelant dans le même temps à « un sursaut collectif » et soulignant que « l’Éducation nationale doit proposer des alternatives aux familles ».
Or aucun homme politique et a fortiori le « ministre de l’école » ne peut ignorer les alertes lancées depuis plus de 10 ans par des spécialistes du sujet –professionnels du corps médical, chercheurs, associations, enseignants- qui travaillent sans relâche à alerter sur ce phénomène particulièrement inquiétant.
Pourtant, les réponses avancées à ce jour restent très en deçà du danger réel et la situation s’aggrave avec des chiffres édifiants : 832 heures annuelles d’écran pour les enfants entre 1 et 6 ans -tablettes, internet, jeux vidéo, smartphone, télévision…- quand dans le même temps en dix ans les troubles cognitifs ont augmenté de 24 %, les troubles psychiques de 54 % et les troubles du langage de 94 %.
On peut bien évidemment apprécier que le Ministre en appelle à un « sursaut collectif », encore faudrait-il que ses propositions prennent en compte les réalités de terrain.
Ainsi, demander à l’école et aux enseignants de mettre en garde les parents contre le danger des écrans pour leurs enfants, c’est faire fi de l’empilement incessant des problématiques que l’école et les enseignant.es doivent traiter au fil de l’actualité : violences sexistes et sexuelles, harcèlement scolaire, équilibre alimentaire pour lutter contre le surpoids et l’obésité, hygiène bucco-dentaire…
C’est également oublier qu’à ce jour très peu de formations sur la question des écrans sont proposées aux enseignant·es. C’est aussi faire abstraction du fait que sur le terrain le manque de médecins et d’infirmier·es scolaires empêche le développement d’une politique de prévention, de détection et de traitement de cette question des écrans, de leur impact sur les apprentissages et sur la réussite scolaire des élèves.
De même, conseiller de proposer des livres à emporter à la maison traduit une méconnaissance du travail des équipes éducatives qui, dans de nombreuses écoles et depuis longtemps, ont mis en place un tel dispositif dans des conditions parfois difficiles.
Plutôt que de se reposer exclusivement sur l’école pour prévenir et sensibiliser les parents, ne serait-il pas plus judicieux d’engager parallèlement ce travail d’information bien en amont en donnant par exemple les moyens matériels et humains aux PMI, aux services de la petite enfance des collectivités et des associations qui sont en lien avec les familles ?
Ne conviendrait-il pas d’engager par ailleurs, en lien avec les collectivités locales, un vaste plan national d’actions en faveur du développement de l’éveil musical, d’initiation à la lecture d’histoires mais également d’activités sportives, de plein air et de loisirs auxquelles des milliers d’enfants n’ont pas accès car payantes ou inexistantes sur leur lieu de vie ?
Démocratiser l’accès aux pratiques artistiques, culturelles et sportives, c’est aussi permettre à notre jeunesse de trouver d’autres centres d’intérêts qui permettent de développer des capacités, des compétences et des connaissances qui permettent d’entrer avec succès dans les apprentissages.
Enfin ne faudrait-il pas en finir une bonne fois pour toutes avec les théories selon lesquelles les parents seraient « démissionnaires » et à contrario multiplier les lieux et dispositifs de formations et d’informations comme ceux des maisons des parents et autres structures qui de près ou de loin accueillent les familles ?
Bien des parents sont perdus quant à l’éducation de leurs enfants et aux conduites à adopter pour parvenir à maîtriser l’utilisation des écrans : oui, être parent est un « métier », sans doute plus difficile aujourd’hui qu’hier et il y a urgence à réunir les conditions d’une prise de conscience parentale de l’impérieuse nécessité qu’il y a réduire le temps d’exposition aux écrans de nos enfants comme de nos adolescents. Ce travail doit être mené dans une relation de confiance, de bienveillance et non de culpabilisation et de stigmatisation.
Face à cette question brûlante de l’addiction aux écrans de notre jeunesse, la responsabilité des décideurs politiques et donc du ministre de l’éducation nationale consiste à dépasser « l’inquiétude », à cesser les incantations sur le mode d’un appel à « un sursaut collectif » pour engager des mesures qui permettent non seulement aux écoles d’appréhender efficacement cette situation mais bien au-delà, à mobiliser tous les acteurs hors milieu scolaire.
Il n’est que temps.
Yannick TRIGANCE, Conseiller régional Ile-de-France et Mathilde*
*Pseudonyme