La parution récente de « Didactique et enseignement de l’histoire-géographie au collège et au lycée» de Yannick Mével et Nicole Tutiaux Guillon permet de faire le point sur la question de la problématisation et du problème en classe d’histoire.
Préalablement, l’ouvrage de Yannick Mével et Nicole Tutiaux-Guillon propose par chapitre d’aborder une question concrète d’enseignant tels que développer l’autonomie des élèves (chapitre 7) ou lire et écrire en histoire géographie (chapitre 8). Pour chaque chapitre, les auteurs croisent recherches en didactique et expériences en classes et offrent des réflexions, des pistes de travail et des exemples pratiques. Dans leur introduction à l’ouvrage [1], les auteurs identifient trois séries de problèmes posés aux enseignants de la discipline :
1. celle posée par les contenus : comment les choisir ? comment articuler ses savoirs avec les «représentations sociales» des élèves? que faire des questions sociales vives et des controverses dans les savoirs savants ?
2. celle en relation avec la manière d’apprendre à penser le monde: comment problématiser les savoirs ? comment apprendre à raisonner en histoire-géographie ?
3. celle posée par la mise au travail des élèves : comment les faire écrire? Quelles tâches, quelles consignes, quel questionnement, quel dialogue mettre en œuvre ?
En ce sens, l’ouvrage intéressera à la fois les futurs enseignants en formation et les enseignants ayant déjà de l’expérience.
«Problématiser» fait l’objet du chapitre 4 de l’ouvrage. Cette question de la problématique devrait être le premier choix didactique qui s’impose lors de la préparation d’une séquence ou d’une leçon. Souvent cependant question et problématique sont confondues et notamment en observant les questions posées dans les manuels scolaires. Il s’agit également de réfléchir aux relations entre les questions posées dans les manuels, les problématiques de recherche des historiens, les points de vue prescrits dans les programmes et les fils directeurs de nos séquences d’enseignement. Et au final, il y a la question suivante : « comment un problème conçu par l’enseignant peut-il devenir le problème des élèves ? » ou mieux encore « comment suivre le principe énoncé en 1916 par Dewey : toute leçon doit être une réponse à une question que les élèves se posent? ».
En observant les questions ou problématiques figurant en tête de chapitre, des doubles pages, des dossiers ou des aides à la préparation du baccalauréat des manuels, les auteurs indiquent que
« Toutefois la supposée problématique n’est souvent que la transformation formelle du libellé du sujet en interrogation […]. Quant au point de vue (scientifique, entendons-nous) il reste banni. Il y a là procédé rhétorique plus que réelle incitation à problématiser. »
En d’autres termes, toute question ne fait pas forcément problème pour les élèves et encore moins problème de nature historique. Par ailleurs, comment poser un problème à l’élève sans l’autoriser à avoir son point de vue sur la question et à en débattre ? En effet, en consultant le dictionnaire sous «problème» celui-ci est susceptible d’avoir plusieurs solutions et de prêter à discussion. Or, nos exercices scolaires sont construits, sauf exceptions, sous le principe de l’entonnoir conduisant à LA réponse qu’elle soit celle du manuel ou celle de l’enseignant. De plus, les problèmes sont de différentes natures et ne conduisent ni au même type de réponse, ni aux mêmes procédures de résolution.
Face à cette situation, Mével et Tutiaux-Guillon propose leur définition de la problématique en enseignement de l’histoire-géographie :
« la problématique est une question qui oriente l’organisation des faits historiques ou géographiques pour construire un discours qui fait sens. Elle se présente sous la forme d’une question ouverte (éventuellement une hypothèse) et ouvre sur un processus de recherche et de tri d’informations, puis sur leur interprétation. Cette démarche est dialetique : le traitement des informations contribue à la transformation de la problématique. C’est l’ensemble de ce processus que l’on nomme problématisation. Il ne saurait donc s’opérer sur la seule base d’un étonnement ou d’une curiosité. Le processus nécessite des connaissances en amont et permet la production de connaissances nouvelles (pour l’élève). » [3]
Après cette mise au point, les auteurs proposent ensuite des pistes de problématisation. C’est ainsi qu’ils présentent un exemple de problématique pour les Grandes Découvertes :
« Les Grandes découvertes, vues comme une succession de voyages au long cours ou d’exploration listent trop de dates ! Une problématique peut créer des liens entre ces faits : en 2de pour répondre à la question «les empires portugais et espagnols sont-ils le résultat d’un partage du monde entre les rois ou celui du hasard des voyages ?» il faut bien mettre en ordre les événements les uns par rapport aux autres. Cette construction de sens permet de mieux retenir les dates en les organisant par exemple entre un avant et un après Tordesillas. Ici problématiser aide à passer d’une liste à une structure chronologique. » [4] ou comme le mentionnait François Furet, passer d’une histoire-récit à une histoire-problème. [5]
Il s’agit également d’apprendre à problématiser le plutôt possible aux élèves. Les auteurs proposent notamment de donner une liste de questions à des élèves de 6e et de leur demander de les classer entre celles à laquelle une réponse factuelle suffit et celles qui incitent à réfléchir. On peut également leur demander, dès le primaire, d’argumenter le choix d’une question à laquelle ils devront répondre.
Dans le cadre d’un raisonnement hypothético-déductif, proposer aux élèves de formuler des hypothèses c’est aussi problématiser. Ainsi, pour notre part et concernant les civilisations pré-colombiennes, avons-nous proposé, après une mise en situation à nos élèves de 6e de formuler des hypothèses sur les raisons qui pouvaient conduire à la disparition d’une civilisation. Une fois, la liste des hypothèses validées par la classe, les élèves ont étudiés différentes civilisations précolombiennes. Au terme de leur travail de recherche d’information, ils devaient indiquer et argumenter à laquelles (ou auxquelles) de ces hypothèses initiales la fin de leur civilisation correspondait.
Enfin, il peut s’agir pour les élèves d’interroger les documents fournis dans nos cours en leur fournissant des documents convergents ou présentant des points de vue différents (sources ou textes d’historiens).
On peut notamment demander aux élèves de construire les questions auxquelles le/les document(s) permettent de répondre, leur demander de les classer en justifant/argumentant leur choix et en discutant entre/avec eux : quel document est le plus important pour la compréhension de notre sujet ou répond le mieux à notre question initiale? lequel apporte un point de vue différent/divergent ? quel est l’intru?, etc.
On peut aussi fournir des sources permettant d’organiser la classe en deux (ou plusieurs) groupes, l’un défendant l’idée que Napoléon est le continuateur de la Révolution française et l’autre celle qu’il en est le fossoyeur. Les élèves extraient des documents des éléments permettant de défendre leur point de vue dans le cadre d’un débat à ce propos. Au terme de celui-ci, un tableau synthétise les arguments utilisés à partir duquel les élèves rédigeront un texte de synthèse. Ce dernier pourra ensuite être comparé à un texte d’historien à ce propos.
Comme l’indiquent Mével et Tutiaux-Guillon de telles démarches ou énigmes intriguent les élèves et les incitent à réfléchir et « les conduit à en chercher une résolution, et, pour y arriver, à construire un problème qui n’apparaissait pas ». En problématisant, c’est également toute la question du rapport des élèves au savoir historique qui est mise en jeu et « c’est mobiliser des raisonnements spécifiques » à notre discipline..
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
[1] Mével, Y., Tutiaux-Guillon, N. (2013. Didactique et enseinement de l’histoire-géographie au collège et au lycée. Paris: Publibook, p. 9-10.
[2] op. cit., p. 100.
[3] op. cit., p. 105-106
[4] op. cit., p. 108
[5] Furet, F. (1982). L’atelier de l’histoire. Paris: Flammarion, pp. 76-77