» L’école a un rôle essentiel à jouer ». Professeure émérite de psychologie de l’enfant à l’université de Nantes, Agnès Florin est aussi co-présidente du Cnesco. Comme en 2015, elle partage ses conseils au moment où les communautés éducatives se retrouvent après l’assassinat de D. Bernard.
Cet attentat a lieu trois ans après celui de S Paty. C’est encore l’école qui est visée ?
Le contexte est différent des précédentes attaques terroristes. En 2015 on s’en est pris aux journalistes de Charlie. Aux policiers avec l’attentat de Magnanville. A la communauté juive avec l’attentat de l’Hyper Cacher. On s’en est pris aussi aux jeunes. Enfin avec S Paty c’est la communauté enseignante qui était ciblée. On attaquait sa liberté d’expliquer ce qu’est la laïcité. Mais là c’est un ancien élève qui revient dans son lycée, à la date anniversaire de l’assassinat de S Paty. Il s’en prend à des enseignants et cherche un professeur d’histoire, les plus à même de parler des aspects historiques de l’attaque du Hamas. On est dans cette horreur. On s’en prend à l’école dans sa fonction d’émancipation.
Lundi matin, enseignants et élèves se retrouvent. Les enseignants sont très touchés par l’attentat d’Arras. Quels conseils peut-on leur donner déjà pour eux ?
Il ne faut pas hésiter à manifester son effroi entre enseignants. Il ne faut pas hésiter à en parler avec les élèves. Il faut pouvoir dire à quel point on est bouleversé. La peur est légitime; Elle est ressentie aussi par les élèves. Dire qu’on a peur est nécessaire pour se protéger. Il faut aussi manifester son empathie pour les victimes et leurs familles. Mais en tant qu’enseignant il faut aussi aller au delà et analyser les choses en fonction de l’âge des élèves.
Il faut dire aux élèves que des mesures de protection sont prises pour les protéger. Il faut faire corps et dire aux élèves qu’on les protège. Et il faut parler de solidarité, de faire attention aux autres. Si les élèves ont été épargnés à Arras c’est grâce à l’attention des adultes.
Bien entendu il faudrait davantage de personnels médico-sociaux, de psychologues dans les établissements pour recueillir la parole des élèves et des adultes.
Comment les enseignants peuvent-ils accueillir les émotions des élèves ?
On est face à des élèves traumatisés. Il est donc important de leur permettre de parler. Il faut laisser les élèves dire ce qu’ils ressentent même quand on n’est pas d’accord avec les propos qu’ils tiennent. Ceux qui ne veulent pas exprimer leur angoisse ne doivent pas être obligés de le faire. Il y a des activités qui permettent de dépasser cela comme le dessin par exemple.
Avoir des élèves réunis devant plusieurs enseignants renforce le sentiment d’appartenance qui n’est pas partagé tant que cela dans nos écoles. Cela peut être l’occasion de réfléchir à la prise de parole des élèves pour favoriser leur droit d’expression qui, d’après le Défenseur des droits, est insuffisamment respecté.
Après il faut discuter de la situation et de son horreur qui ne peut pas être justifiée. Avec la guerre en Ukraine, le confinement, on est dans un enchainement de circonstances qui sont sources d’anxiété et de traumatisme.
Faut-il revenir vite à l’école ou prendre du temps ?
Dans les situations traumatisantes, les psychologues disent qu’il est essentiel de reprendre aussi tôt que possible les activités de la vie d’avant. Pour les enfants, on les remet le plus vite possible à l’école qui est aussi un lieu de socialisation.
L’école a un rôle essentiel à jouer car, malgré tous les reproches qu’on peut lui faire sur les inégalités sociales de réussite, c’est elle qui nous fait faire société. Elle a une parole particulière à apporter à la fois comme collectif d’éducateurs et par rapport à tous les enfants qu’elle accueille.
Propos recueillis par François Jarraud