Dans son rapport sur l’état des services publics, le collectif « Nos services publics » dresse un bilan alarmant. Dans le paysage social, et notamment éducatif, des fissures importantes se sont formées, laissant apparaître un système en proie à des inégalités grandissantes. « Les moyens des services publics augmentent depuis vingt ans moins rapidement que les besoins sociaux, et l’écart entre les premiers et les seconds tend à s’aggraver » rapporte le collectif.
Si ce rapport a un objectif, il n’est rien de moins que celui de démentir l’idée que « les services publics seraient une idée démodée ou un luxe que la France ne pourrait plus se permettre ». Il affirme que « le pays a plus que jamais besoin de services publics, et propose des pistes pour renouer le lien avec les besoins de la société. Loin d’être un plaidoyer pour la défense du statu quo, ce rapport est ainsi l’occasion de rouvrir les débats – sans prétendre les régler – sur la signification que devraient aujourd’hui revêtir les principes qui fondent l’ambition du service public : démocratie, égalité, émancipation, universalité ».
Santé, éducation, transports, justice et sécurité, fonctionnement et financement des services publics sont passés au crible. Il en ressort des alertes mais aussi des préconisations sous forme de « messages clés ».
Un chapitre dédié à l’éducation
« L’éducation occupe une place toute particulière dans l’histoire et la symbolique de la société française et de ses services publics. Affirmée comme priorité nationale” par le code de l’éducation, elle se donne pour objectif de transmettre à tous les élèves des connaissances, des valeurs et des compétences » introduisent les auteurs et autrices dans le chapitre Éducation. « Marquant fortement les premières années de la vie de dizaines de millions d’enfants, les débats et les – nombreuses – réformes qui la concernent sont d’autant plus passionnés qu’ils se traduisent par des visions plurielles du rôle de l’école dans une société en forte évolution ». L’uniforme, dont on parle beaucoup ces derniers mois, en est l’une des illustrations.
Massification scolaire : une promesse pas complétement tenue
Le collectif revient sur la massification scolaire dont il estime qu’elle ne s’est « pas traduite par une démocratisation à la hauteur des enjeux de réduction des inégalités » car opérée « à modèle pédagogique quasi constant ».
La promesse de 80% d’une classe d’âge bachelière ne s’est pas traduite par un recul des inégalités mais par un déplacement de celles-ci vis-à-vis des diplômes. « La possibilité de poursuivre des études est toujours inégalement répartie dans la population : alors qu’ils représentent de part et d’autre 30 % des étudiants en licence, les enfants de cadres représentent 40 % des étudiants au niveau du doctorat, quand les enfants d’ouvriers et d’employés n’en représentent plus que 15 % ».
Du côté du collège unique, les auteurs et autrices reconnaissent qu’il a conduit à « retarder la répartition des élèves entre filières générale et professionnelle, accroissant l’hétérogénéité des classes en termes d’origine sociale ou de rythmes de progression ». Pour autant, l’orientation en fin de troisième est très marquée socialement, « l’existence de trois baccalauréats différents conduit à une segmentation sociale horizontale au sein du système scolaire français : en 2022, les enfants de cadres représentaient 35 % des titulaires d’un baccalauréat général et 8 % des titulaires d’un baccalauréat professionnel, quand les enfants d’ouvriers représentaient 34 % des titulaires de baccalauréat professionnel et 16 % des titulaires d’un baccalauréat général ».
Sur la question des élèves en situation de handicap en milieu scolaire, le collectif note que leur nombre a été multiplié par trois depuis la loi de 2008 mais que le nombre d’enfants issus de milieu défavorisé y est surreprésenté.
Si la massification ne répond à toutes ses promesses, c’est la faute au modèle pédagogique soutient le collectif. « Marquée par le modèle du cours magistral, la pédagogie conduit à penser la classe et non les élèves. La différenciation pédagogique concernant l’apprentissage de la lecture en primaire est ainsi deux fois moins répandue en France que dans la moyenne des pays de l’Union européenne ».
La faute au manque de mixité sociale
Mais pas seulement. Le manque de mixité sociale et l’enseignement privé – qui a bénéficié de 8,5 Md€ de fonds publics en 2020 – y ont aussi une grande responsabilité explique-t-il. « Les pratiques d’évitement des familles dotées d’un fort capital culturel se sont intensifiées, à la fois par le recours au secteur privé sous contrat et du fait du développement important des cours particuliers, renforçant la mécanique de reproduction des inégalités sociales par l’école. Les pratiques de contournement concernent des publics assez identifiés socialement. Alors que la mixité au sein des établissements scolaires publics connaît une légère amélioration, les enfants de familles à fort capital culturel et/ou économique se concentrent de plus en plus au sein de l’école privée sous contrat : entre 2003 et 2021, au sein des collèges privés sous contrat, le taux d’élèves issus de milieux très favorisés passait de 29 % à 40 %, quand celui d’élèves issus de milieux défavorisés passait de 27 % à 19 % ». « Si les inégalités de réussite scolaire, selon le milieu d’origine, perdurent au sein même de l’enseignement public, la différenciation sociale croissante entre les élèves fréquentant l’école publique et ceux scolarisés au sein de l’école privée dans les vingt dernières années bouscule la notion même d’éducation nationale » concluent les auteurs et autrices évoquant une « polarisation des publics de l’école ».
Les besoins de l’enfant, un impensé de l’École
« Au-delà de la pédagogie, le temps de l’école est si déterminant que l’enjeu est véritablement le bien-être et l’épanouissement des enfants, condition même des apprentissages, qui doit être porté par toute la communauté éducative » écrit le collectif qui estime que la « qualité de vie à l’école reste un impensé dans la politique d’éducation nationale ».
Le sujet du harcèlement scolaire nécessite une prise de conscience des besoins des élèves hors enseignement au sens strict soutiennent les auteurs et autrices. Ils et elles rappellent que selon l’OMS – organisation mondiale de la santé – « à peine 50 % des enfants de 13 et 15 ans en France se sentent très soutenus par leurs enseignants, seuls 20 % d’entre eux disent “beaucoup aimer l’école” et une fille sur trois et un garçon sur cinq de 15 ans se sent sous pression par ses devoirs ». Santé mentale, temps de l’enfant ou encore rythme de la journée devraient être pris en charge par l’institution scolaire affirment-ils. « Ce refus de prendre au sérieux la qualité de vie des élèves dans l’enceinte scolaire a un effet sur l’ensemble de la communauté éducative. Il s’accompagne d’une perte de sens généralisée ressentie par des agents, mis dans l’incapacité de réaliser leur mission au contact quotidien des enfants ».
Et quant au manque d’attractivité des métiers du professorat- qui a perdu la moitié du nombre de candidats entre 1995 et 2005, il est dû à « la stagnation de la rémunération, la précarisation croissante du corps enseignant comme des personnels d’accompagnement, l’augmentation de la taille des classes ». « Derrière l’idée de « vocation » des professeurs, l’école n’a pas investi l’ensemble de ses agents d’une mission au services des publics, dont le délitement du lien entre les personnels, les élèves et leurs parents n’est qu’un symptôme » conclut le collectif Nos services publics.
Lilia Ben Hamouda
Pour lire le rapport, c’est par ici