Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN, et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation.
La confiance est un état de sécurité et d’équilibre ressenti, dans une situation ou dans une relation. Cet état découle du sentiment qu’il ne peut y avoir de mauvaises surprises liées à un accident prévisible, une incompétence, une tromperie ou une trahison. La confiance en soi repose, elle, sur une connaissance de soi et de ses ressources, étayée sur les expériences antérieures de dépassement des difficultés précédemment affrontées.
Faire confiance c’est se fier à quelqu’un, estimé comme étant sûr, fiable. La confiance ne se décrète pas, elle ne se donne pas. Elle se construit dans et par la double expérience de la fiabilité d’autrui, comme de sa possible trahison. Faire une « confiance aveugle » met un enfant en situation de danger, à la merci de la possible malveillance ou trahison d’autrui. Faire confiance, ou être en confiance, suppose l’accès à la conscience des éléments constitutifs d’une situation, comme de ses différents enjeux de bénéfices ou de pertes, de risque ou de danger réel. La confiance suppose une connaissance ou une estimation sereine de la fiabilité des acteurs en situation. C’est pourquoi, avant l’élaboration de ces capacités de jugement, un enfant est vulnérable et a besoin de protection.
L’organisation d’une relation de confiance est paradoxale, car elle nécessite la capacité de doute et de mise à l’épreuve de la consistance et de l’engagement du partenaire de la relation. Pour un enseignant, faire confiance à un élève nécessite d’assumer les risques de l’incertitude de ce qu’il va faire et être. Il s’agit d’accepter et de saisir le surgissement de possibilités inconnues se révélant dans ce qui va se passer. En tant que professionnel, il s’agit aussi de faire confiance à la capacité de contenance des différents cadres dans lesquels l’enseignement s’inscrit. C’est aussi et surtout se faire confiance, en se sachant capable de vigilance et de recours aux différents appuis à disposition.
Les difficultés de l’instauration de la confiance
La confiance en l’adulte repose chez un enfant sur son expérience d’une relation aux autres où il n’a été ni trahi, ni abandonné, quelles qu’aient été les difficultés rencontrées. Un enfant qui a vécu dans la précarité affective et relationnelle, abandonné à lui-même et confronté à des promesses non-tenues, s’est structuré dans un rapport de défiance vis à vis des adultes, des autorités et des institutions.
Faire confiance provoque chez lui un état de crise qui le renvoie à la violence de son vécu d’insécurité et de doute. C’est pour lui prendre le risque d’être à nouveau blessé, trahi et rejeté. La restauration d’une relation de confiance dans un adulte représente, pour un élève hors de son milieu, un cheminement incertain qui nécessite un accompagnement consistant. Les progressions sont suivies de régressions soudaines et de transgressions parfois massives. Les tentatives d’approche alternent entre méfiances et confiances, voire des rejets, permettant à l’élève de tester la fiabilité de ses appuis possibles dans le monde scolaire.
Pour l’élève, l’expérience de l’attention d’autrui à son égard nécessite le maintien des exigences et de la rigueur du cadre et des interdits en tant que contenant. C’est la référence au cadre scolaire qui lui permet de percevoir l’instauration de rapports bienveillants, ne visant ni la séduction, ni la complicité, ni la domination ou la soumission, mais sa propre sécurité, dans une mise au travail lui permettant de grandir.
Les enjeux de l’accès à et de l’instauration de la confiance
Un enfant qui vit dans la défiance et qui ne peut ni faire confiance ni se faire confiance vit une situation de précarité et d’insécurité absolue. Il ne peut ni expérimenter ni s’aventurer dans le moindre inconnu. Il y a pour lui sidération de la pensée. L’adulte représentant l’autorité, son impossibilité de confiance dans l’adulte, le renvoie à une défiance de toute autorité appréhendée comme non fiable et potentiellement source de danger. Quand sur un territoire, toute une tranche d’âge vit dans la défiance de l’autorité à force de promesses non tenues et d’espoirs trahis, c’est l’accès à la citoyenneté qui est compromis.
Comment concilier la mise en confiance de l’enfant et le caractère obligatoire de l’école qui lui est imposé ?
La confiance n’est pas corrélée au choix, et en rien corrélée à l’obligation. Par exemple, un enfant, quand il a faim, il n’a pas le choix. On va créer une confiance à l’adulte qui dit que quand tu as faim, tu vas un peu attendre, parce que la réalité fait qu’il va falloir d’abord préparer de quoi manger.
Comment faire percevoir que l’adulte n’oblige pas l’enfant de son chef ? Il oblige l’enfant à rentrer dans un système parce que c’est nécessaire à tout humain. C’est en ce sens qu’on devient un parmi les autres. Non pas un exceptionnel, mais un qui a la nécessité, par exemple d’apprendre, par exemple de se libérer de son immédiateté, mais aussi de ses a priori de penser, parce qu’il n’a pas encore élaboré les outils. La confiance, c’est un construit, aussi par rapport au pulsionnel, et là, on est en plein dans l’éducatif, qui est justement l’« à côté » de l’enseignement.
Si on ne déborde pas l’enseignement pour entrer dans l’éducatif, on va à la catastrophe. Quand l’enfant dit « Je suis libre » ou « Je fais ce que j’ai envie », il est aliéné à sa pulsion. Devenir libre, c’est prendre pouvoir sur soi.
Faire confiance demande du temps. C’est en opposition avec le temps de l’école contraint, où tout doit aller vite : vite les programmes, vite les évaluations répétées, etc. Comment faire ?
Pour moi, les programmes qui veulent gagner du temps sont des organisations du gaspillage du temps.
La notion d’évaluation est une fausse notion, car on ne prend pas le temps de permettre à un enfant d’évaluer. On lui assigne des contrôles à partir de critères qui lui échappent. Ce n’est pas de l’évaluation.
Le temps de l’évaluation, c’est celui de la réflexion sur ce qui pour l’enfant a une valeur supérieure, et ça, ça se met au travail dans le groupe. Le plus important, c’est qu’est-ce qu’il est capable de faire de ses acquis et ce que ça lui ouvre comme perspective, et qui a valeur. On gaspille du temps dans les contrôles, tout simplement parce qu’on est dans un système borné de compétition où les écoles vont être notées quant à leur performance.
C’est absurde ! Pour des enfants ayant de très grandes difficultés sociales, je ne peux pas avoir la même rapidité d’intégration, et surtout, je ne vais pas créer les mêmes intelligences de la société. Et, de plus ils vont vouloir avoir des garanties avant d’accorder leur confiance.
Est-ce que la confiance à un adulte va faciliter la confiance à un autre adulte ?
Si l’enfant transfère la confiance à un adulte vers un autre adulte, il est en danger parce que cet autre adulte n’est pas nécessairement fiable.
Ce n’est pas la confiance qui est transférable, c’est la capacité à évaluer la fiabilité d’un adulte et du dispositif dans lequel fonctionne un adulte.
C’est toute la différence entre la capacité et la compétence. La compétence a été inventée par le système pour faire de bons « petits soldats » qui feront les choses tel que c’est prévu. La capacité suppose de l’intelligence, c’est-à-dire de la pensée. L’asservissement au système des compétences est effrayant.
Un propos de Jacques Marpeau recueilli par Daniel Gostain