La vie scolaire est un des piliers du fonctionnement des établissements du second degré. Le Café pédagogique vous propose de partager quelques instants du quotidien d’un CPE – Conseiller Principal d’Éducation – dans cette rubrique. « J’ai un peu l’impression de retrouver un vieux navire endormi qu’il va falloir remettre en ordre de marche » écrit Nicolas Grannec*, CPE, pour décrire sa rentrée à lui, le 28 août dernier. « Très vite une partie de l’équipage, constitué des chefs d’établissement, des CPE, des assistants d’éducation, personnels administratifs et agents techniques, reprend le travail qu’il avait laissé au mois de juillet. L’objectif est d’être prêt pour le jour de la pré-rentrée qui lancera officiellement le début de la longue traversée vers des terres inconnue ».
Depuis quelques années, au moment de reprendre le chemin de mon établissement scolaire en cette dernière semaine du mois d’août, me revient à l’esprit le premier couplet de la chanson « Septembre » du groupe La Femme : « Le mois de Septembre va commencer, un peu de spleen c’est la fin de l’été. Mais pourquoi mon ventre se serre à la rentrée. Dans les yeux me poussent des orgelets comme chaque année. Je sens le stress qui me prend et qui m’empêche de profiter de la fin, de la fin de l’été ». Il s’opère en moi un cocktail de sentiments contradictoires, un mélange d’excitation, d’envie, de stress, de nostalgie et peut-être de peur de ne pas ou de ne plus y arriver.
En tant que CPE, ma rentrée a eu lieu le lundi 28 août, soit une semaine avant l’arrivée des élèves. Ce court laps de temps qui nous sépare de l’arrivée des collègues enseignants (lors de la pré-rentrée) et des élèves est un moment qui ne me déplaît pas. J’ai un peu l’impression de retrouver un vieux navire endormi qu’il va falloir remettre en ordre de marche. Très vite une partie de l’équipage, constitué des chefs d’établissement, des CPE, des assistants d’éducation, personnels administratifs et agents techniques, reprend le travail qu’il avait laissé au mois de juillet. L’objectif est d’être prêt pour le jour de la pré-rentrée qui lancera officiellement le début de la longue traversée vers des terres inconnues.
Pour nous CPE, l’important est de vérifier si nous avons bien notre équipe au complet. Il n’est pas rare, en effet, que les assistants d’éducation recrutés à la fin de l’année se désistent au tout dernier moment pour différentes raisons. Cette situation n’est jamais confortable pour un CPE et il faut rapidement reprendre la recherche de nouveaux membres pouvant s’intégrer à l’équipe. Nous sommes malheureusement peu formés à cette épreuve du recrutement. Réussir à constituer une équipe qui parviendra à rester soudée dans les moments compliqués est un véritable challenge. Quel profil privilégier ? Des étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement ? Des animateurs de centres sociaux ? Des personnes connaissant les réalités du quartier dans lequel se trouve le collège ? Dans cette phase de recrutement, je garde à l’esprit les réflexions de Fernand Deligny lorsqu’il a dû constituer, en 1945, son équipe au Centre d’observation et de triage de Lille qui recevait des adolescents en attente de jugement : « Si Deligny ne peut choisir son espace, il va du moins choisir son monde : on lui envoie des éducateurs passés par les filières de recrutement, soucieux d’autorité et de savoir psychologique. Il va s’en débarrasser, et les remplacer par d’anciens ouvriers. Ils sont issus du même milieu que ceux qu’ils doivent encadrer » écrit Pierre-François Moreau dans Fernand Deligny et les idéologies de l’enfance. Il ajoute, citant Deligny : « La première (condition) consiste dans leur appartenance au même milieu, j’entends le milieu social qui est à peu près nécessairement le même milieu d’idées. Elle permettra seule de rétablir ces contacts affectifs, ce courant de confiance réciproque, cet accord fondamental entre l’enfant et son éducateur ».
Nous essayons donc de recruter des personnes qui ne sont pas totalement déconnectées des réalités vécues par nos élèves pour réussir à établir « ces contacts affectifs », « ce courant de confiance réciproque » qui permettra de mener un réel travail éducatif auprès des jeunes collégiens. Car même si l’une de leur mission principale est d’assurer la sécurité des élèves, ils devront aussi gérer des conflits, se montrer à l’écoute d’élèves en souffrance, faire face à des parents mécontents, transmettre des informations, etc. La fonction d’assistant d’éducation tend à se complexifier, c’est pourquoi nous prenons du temps en début d’année pour expliquer nos attentes et le fonctionnement du service. Même si certains rectorats proposent des temps de formations aux assistants d’éducation, il serait, à mon sens, souhaitable de les développer pour permettre une pleine professionnalisation de ce métier au côté des CPE.
Autre élément et non des moindres que le CPE peut être amené à travailler en cette période qui précède la rentrée est l’ajustement des listes de classe. Si celles-ci ont été travaillées en fin d’année avec les équipes enseignantes, il arrive souvent que des élèves doivent changer de classe pour un problème d’option ou parfois pour éviter de rallumer un conflit qu’il y avait eu l’année précédente. Je n’aime pas ce travail d’ajustement car intervertir deux élèves de classe peut avoir des conséquences sur leur destin scolaire. L’attente que les professeurs ont pour leurs élèves est parfois très différente. Comme l’explique Audrey Murillo dans son livre Prendre un bon départ avec ses classes, cette attente se construit sur plusieurs critères : « les attentes que les enseignants ont pour leurs élèves se construisent à partir de différentes informations : les résultats scolaires antérieurs, les premières performances, le comportement en classe, les professions des parents, la place de l’élève en classe ». Avoir un enseignant qui croit en la réussite possible de tous ces élèves peut donc avoir un impact positif. Je pense ici à cette professeure d’histoire-géo, Madame Gueguen, jouée par Ariane Ascaride dans le film Les Héritiers, qui a cru en ses élèves, pourtant jugés difficiles par la plupart des membres de l’équipe enseignante. Elle parvient à les amener sur le chemin de la réussite car elle croit en la force de l’éducabilité. C’est pourquoi intervertir deux élèves de classe est loin d’être anodin. Comment établir ce choix ? Sur quels critères ? Comment vont réagir les collègues enseignants, d’autant plus que la constitution des classes est un véritable enjeu de pouvoir ? Certains aimeraient, par exemple, mettre fin à l’hétérogénéité des classes pour ne pas pénaliser les bons élèves. Il faut donc constamment veiller à un bon équilibrage des groupes pour donner une chance à chacun, et éviter de constituer des classes ghettos regroupant tous les élèves en difficulté. Ce qui est inquiétant, c’est que cela est un souhait exprimé régulièrement lors des conseils de classe par des professeurs, parfois jeunes, se retrouvant en échec avec une classe. La constitution des classes est loin d’être une science exacte et nous verrons au cours de l’année si nos choix ont été judicieux.
Enfin, ce temps de rentrée du CPE est aussi celui de la réflexion, pour mettre en place différents projets. Il s’agit, par exemple, de préparer les futures séances de formation des délégués de classe ou de penser à quelles actions mener avec les élèves du conseil de la vie collégienne. Comment, par exemple, former les élèves à la citoyenneté en leur donnant des occasions de l’expérimenter ? Comment faire comprendre aux élèves la nécessité des règles qui nous permettent de faire du commun ? Il est important de donner du sens, car comme le souligne Philippe Meirieu dans son dernier ouvrage, Qui veut encore des professeurs : « Inculquées sans être intériorisées, les normes ne survivent pas à la disparition de la menace de sanction. Découvertes dans des activités qui permettent d’en mesurer la fécondité, elles deviennent un formidable outil de formation du citoyen ». Il est à noter que ce temps de réflexion est crucial, car je sais qu’une fois que le navire aura pris son rythme de croisière, je n’aurai plus le luxe d’en profiter. Il est donc important de se prévoir un cap vers lequel tendre pour ne pas se retrouver dépassé au moment où les vents contraires seront les plus forts.
Nicolas Grannec
*Pseudonyme