Emmanuel Macron retourne ce 1er septembre dans un lycée professionnel pour mettre en valeur sa réforme. Pour l’Elysée, c’est l’occasion de mettre en avant les premières applications d’une transformation en profondeur de la voie professionnelle. Mais beaucoup reste à faire. Et on sent l’embarras du président super ministre de l’Education nationale sur certains points. Une annonce : le report des épreuves de spécialités en juin ne concerne pas les lycées professionnels cette année.
Troisième visite du super ministre de l’Enseignement professionnel
Après Les Sables-d’Olonne, en septembre 2022, puis Saintes en mai 2023, le voici à Orange le 1er septembre au lycée professionnel L’Argensol. Selon l’Elysée, » le Président de la République échangera sur la mise en œuvre de la réforme. Il abordera avec les personnels de l’établissement ainsi que des chefs d’entreprises locales l’ensemble des leviers de la réforme dont l’évolution de la carte des formations, fondamentale pour l’insertion des élèves, l’amélioration des partenariats avec le tissu économique régional, la création d’une indemnisation allouée aux élèves stagiaires et la reconnaissance de l’engagement des enseignants au travers de la revalorisation inconditionnelle pour tous et du pacte applicables dès cette rentrée. Cette journée sera également l’occasion pour le Président de la République de s’adresser à l’ensemble des chefs d’établissement de lycées professionnels, réunis au cours d’un webinaire« .
A coup sûr, Emmanuel Macron ne va pas à Orange pour négocier avec les syndicats. Avec des grèves très suivies contre la réforme, tous les syndicats de la voie professionnelle ont marqué leur opposition au projet présidentiel. Si le bulldozer présidentiel avance, les syndicats ont réussi à le faire ralentir. A cette rentrée, bien des points de la réforme ne sont pas appliqués. Et il reste du flou sur des aspects importants comme le calendrier scolaire.
Ce qui change à cette rentrée en LP
Qu’est ce qui change à la rentrée ? D’abord la rémunération des lycéens professionnels lors de leurs périodes de stage. Ils toucheront de 50€ (en 1ère année de CAP ou en 2de pro) à 100€ (en terminale) par semaine de stage. Cela ne coutera rien aux entreprises. C’est l’Etat qui versera ces sommes. Pour l’Elysée, c’est un moyen de lutter contre le décrochage scolaire. Pour d’autres, c’est un moyen d’orienter les enfants les plus pauvres vers un diplôme qui paye.
Selon l’Elysée, tous les lycées professionnels (dorénavant LP) disposent d’un « bureau des entreprises« . Ce bureau est là pour chercher des stages pour les élèves et entretenir les relations avec les entreprises locales. On assure à l’Elysée qu’il n’a pas vocation à remplacer les chefs de travaux. Mais c’est déjà un point d’ouverture vers la privatisation de l’Education nationale au privé. Selon l’Elysée, la majorité des responsables de ces bureaux ne viennent pas de l’Education nationale. Ce sont des personnels venus de l’extérieur. L’Elysée affiche aussi vouloir recruter de nombreux « professeurs associés » venus du privé. Là dessus on manque d’information sur leur nombre. Mais leur recrutement ne peut se faire qu’aux dépens des professeurs de lycée professionnel (PLP).
Troisième réalisation de cette rentrée, l’Elysée souligne la mise en place de dispositifs nouveaux pour l’insertion professionnelle. Il s’agit d' »Avenir Pro » qui permettra aux élèves de terminale de disposer d’un accompagnement par des agents de Pôle Emploi pour les aider à définir leur projet. Dès cette rentrée aussi, les LP accueilleront leurs anciens élèves bacheliers mais sans emploi ou formation. Ils pourront bénéficier de stages ou d’accompagnements ou encore de certificats de spécialisation. Cela pourrait concerner 20 000 jeunes environ.
Un Pacte qui va loin
Tout cela ne sera possible que si les enseignants entrent dans le Pacte. Durant l’été , le ministère a fait un geste en rendant sécable le Pacte des LP. Initialement il ne l’était pas. Les missions proposées en LP sont très variées. « Le Pacte des lycées professionnels est constitué jusqu’à six parts fonctionnelles conduisant à une rémunération pouvant aller jusqu’à 7 500 € bruts annuels « . Mais » il peut également comporter un nombre inférieur de missions« . Ces missions concernent de l’enseignement et accompagnement post-bac, de l’enseignement en petits groupes, de l’accompagnement des élèves en difficulté et de l’accompagnement vers l’emploi.
Mais certaines missions correspondent tout simplement à des emplois. Ainsi, la mission « accompagnement vers l’emploi » implique des coordinations avec France Travail et le suivi des jeunes. Une variante est l’accompagnement post terminale qui implique des connaissances très particulières comme « identifier les besoins des jeunes au regard de leur projet d’insertion ou de poursuite d’études ; définir des parcours personnalisés en fonction de ces besoins…; assurer la coordination et le suivi de ces parcours en partenariat avec les acteurs locaux de l’emploi et de la formation ». Une autre variante revient à remplacer les chefs de travaux. Le missionné doit « faire vivre le lien établissement-entreprise » et pour cela « accompagner les tuteurs de stage à l’accueil et à l’évaluation d’un élève, notamment à travers la production de supports et documents en lien avec les professeurs référents du suivi de l’élève en PFMP (rôle et missions du tuteur, fiche de présentation du référentiel d’activités professionnelles, nature des activités pouvant être conduites en fonction de l’année de formation), l’organisation ‘de temps dédiés aux tuteurs dans l’établissement », veiller à la pérennisation des partenariats avec les entreprises (formalisation et le suivi des partenariats engagés ; développement de nouveaux partenariats ; participation de partenaires professionnels à la vie de l’établissement : événement, intervention, etc.). C’est un vrai travail, demandant des compétences particulières qui n’est rémunéré que par une prestation annuelle minime !
Pour l’Elysée, ces missions sont nécessaires pour une réforme qui doit se dessiner localement. « On ne supprime pas des heures. Au contraire on met en place des formations plus adaptées aux besoins« , affirme l’Elysée. Il est bien prévu des enseignements en petits groupes, par exemple. Ou encore un accompagnement vers l’emploi ou un approfondissement pour les élèves qui veulent aller en BTS. Mais ces heures d’enseignement ne sont pas inscrites à la DHG. Elles résultent des engagements locaux dans le Pacte. Avec la réforme il n’y a plus qu’un cadre minimal national d’enseignement pour les lycéens professionnels. Tout le reste est localisé.
Quel calendrier après l’annonce du report des épreuves de spécialité ?
Et aussi improvisé. Un bel exemple d’improvisation est donné par le calendrier de terminale. Initialement les épreuves de spécialité du bac pro devaient avoir lieu comme celles des lycéens généraux et technologiques en mars. Après les lycéens pros sont en stages doublés (pour ceux qui visent l’insertion) ou en approfondissement (pour ceux qui visent le BTS et qui sont dans un lycée qui a les heures). Mais voilà que G Attal repousse les épreuves de spécialité des lycées en juin !
Embarras à l’Elysée. « L’annonce faite pour le report des épreuves de spécialité ne concerne que les lycées généraux et technologiques« , annonce l’Elysée. « Le bac pro fera l’objet de modifications dans des mesures qui seront annoncées après des concertations. Ce qui a été dit par E Macron en mai dernier c’est que la réforme du bac pro ne concernera que les élèves entrés en première cette année« . Il faudra donc attendre 2025 pour savoir ce qu’il en est. En même temps, l’Elysée semble tenir à des épreuves anticipées. « Les élèves après avoir passé les épreuves écrites à un moment de l’année seront libérés pour aller en stage avec le doublement de la durée du stage pour ceux en insertion. Ceux qui visent le BTS pourront revenir dans l’établissement pour 4 semaines d’approfondissement« . Entre Attal et Macron, il reste du flou…
Retard sur la carte des formations
Retard aussi sur la réforme de la carte des formations; L’Elysée considère que c’est un point central de la réforme. « C’est au plus près du bassin d’emploi que les équipes peuvent faire le diagnostic et faire évoluer la carte« , dit l’Elysée. Dès cette rentrée elles disposeront des taux d’insertion et d’indicateurs pour les pousser vers les branches en manque de salariés actuellement ou jugées d’avenir. L’Elysée ne craint pas l’adéquationisme.
Mais à cette rentrée le ministère n’ouvre que 80 nouvelles formations soit 1000 places, une poussière pour 621 000 lycéens professionnels. A cette rentrée également on enregistre 6000 places nouvelles et 2000 fermetures. Toute réforme de la carte engage les régions financièrement et politiquement. Elle a aussi un impact grave sur les enseignants avec des reconversions qui souvent se passent mal. C’est dire que cette clé de voute de la réforme nécessitera un temps long.
« La réforme va progressivement entrer en vigueur« , dit-on à l’Elysée. « Ce n’est pas une formation a minima par l’Education nationale et a maxima par les entreprises. C’est la formation la meilleure possible« . Il reste à convaincre les enseignants. Emmanuel Macron rencontre aujourd’hui l’équipe pédagogique du lycée L’Argensol d’Orange. Il n’entend pas y rencontrer les syndicats.
François Jarraud
Journée de grève en novembre 2022
La réforme analysée par un enseignant