À Marseille depuis lundi, le Président sera dans une école de la cité phocéenne ce matin. Il devrait y dresser le bilan du volet éducation de « Marseille en grand » et annoncer sa généralisation par le biais du CNR. Mais c’est dès lundi soir, lors d’un débat avec des habitants marseillais, qu’Emmanuel Macron a multiplié les annonces. Ouverture de tous les collèges Rep de 8 à 18 heures, demie journée de découverte des métiers toutes les deux semaines en 5ème, baisse des effectifs en moyenne section et développement de la scolarisation des enfants de moins deux ans dans les quartiers sensibles… Des annonces que découvrent les syndicats, les enseignants mais aussi le ministère semble-t-il . Interrogé sur les horaires élargis des collèges par Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le cabinet du ministre de l’Éducation nationale, était bien en peine pour lui répondre lundi matin.
Premier Bilan de Marseille en Grand du côté des syndicats
Le 2 septembre 2021, Macron annonçait la transformation libérale de l’école. « Il faut qu’on ait des directeurs d’école à qui on permet d’avoir un peu plus d’encadrement. Il faut que ces directeurs d’école puissent choisir l’équipe pédagogique… On doit permettre d’avoir des aides en plus, des enseignants en plus, d’être doté de moyens, d’adapter les rythmes scolaires pour les enfants, de penser le temps sportif différemment grâce aux infrastructures, de penser le temps culturel à côté de l’école différemment et de permettre de le faire, et… de pouvoir d’abord choisir les enseignants qui y sont, être sûr qu’ils sont pleinement motivés, qu’ils adhèrent au projet », expliquait-il. Il promettait alors d’évaluer ces adaptations au terrain, ces adaptations qui permettaient « de repenser les projets d’aprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d’enseigner ». Il annonçait aussi que si ces évaluations étaient concluantes, elles seraient généralisées.
82 écoles sont engagées dans le volet pédagogique de l’expérimentation marseillaise, « des écoles innovantes » selon la rhétorique élyséenne. « On avait un budget de 2,5 millions d’euros. À la rentrée prochaine, 85% du budget sera consommé » explique-t-on dans l’entourage du Président. Du côté bâti scolaire, 188 reconstructions d’écoles sont engagées pour un coût de 400 millions d’euros du côté de l’État – une aide exceptionnelle de 250 millions d’euros et une aide de 150 millions dans le cadre de l’ANRU.
« Nous saluons l’engagement de l’État » a déclaré Caroline Chevé de la FSU. « Les services publics à Marseille, dans leur ensemble, ont besoin que les choses évoluent. C’est un enjeu d’égalité très fort ». Pour autant, la représentante syndicale voit dans l’expérimentation marseillaise « un laboratoire du libéralisme appliqué au service public, particulièrement au sein des écoles ». « On a remplacé la démarche initiale qui est de donner des moyens à tout le monde par une logique de contractualisation, avec des moyens alloués en fonction des projets proposés par les écoles. La ville avait besoin d’un plan d’urgence, nous le revendiquons depuis des années. Mais ce plan ne nous parait pas de nature à résoudre nos difficultés. On ne traite plus le problème à la racine, on le traite si des volontaires déposent un projet » dénonce la secrétaire départementale qui parle d’une rupture d’égalité des usages du service public. En effet, deux écoles situées à quelques centaines de mètres, aux IPS quasi-identiques, aux nombres de classes équivalents, ne bénéficient plus des mêmes conditions d’enseignement dans la cité phocéenne. Si dans l’une, l’équipe a déposé un projet, le directeur bénéficiera de plus de décharge – et s’il est déchargé à temps complet, c’est l’un de ses collègues qui en bénéficiera. Dans certaines écoles, il y a même des contractuels embauchés spécifiquement sur le projet, selon la FSU. Si dans l’autre, aucun projet n’a été soumis dans le cadre de l’expérimentation, il n’y a rien. De fait, deux enfants qui vivent dans les quartiers nord mais ne sont pas scolarisés dans les mêmes écoles n’auront pas accès aux mêmes dispositifs pédagogiques.
Une situation qui ne choque pas Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-Unsa, pour qui l’offre pédagogique a toujours varié en fonction des écoles, « on sait bien que dans certaines écoles, il y a beaucoup de projets et dans d’autres beaucoup moins. Et ce pour de multiples raisons ».
Des enseignants enfin entendus mais épuisés
Au SE-Unsa, on voit Marseille en grand comme une opportunité pour les équipes qui avaient déjà des projets de pouvoir être reconnues. Et pour celles qui hésitaient à franchir le pas, la possibilité d’être soutenues institutionnellement, en tout cas sur le plan financier. « Les collègues nous disent : enfin, on nous a entendus. Marseille avait besoin d’un plan ambitieux comme celui-ci ». Pour autant, pour la secrétaire générale, tout n’est pas rose. « Les équipes se sentent écrasées par la charge de travail. Les projets demandent un grand investissement personnel. Il aurait été bon que celui-ci soit reconnu aussi par une diminution des charges qui incombent aux enseignants. Par exemple, la possibilité de déduire les temps d’organisation de ces projets sur les 108 heures dues par tous les professeurs des écoles ».
Deux parades pour une expérimentation
« Le projet initial donnait un grand pouvoir aux directeurs d’école qui pouvaient recruter leurs enseignants, ce qui est contraire au code de l’éducation. Ils ont contourné le problème en créant des commissions dans lesquelles siègent les IEN mais aussi le directeur ou la directrice et un membre de l’équipe pédagogique. Première parade» énonce Virginie Akliouat, secrétaire départementale du SNUipp-FSU. « Les écoles ciblées étaient celles appartenant à l’éducation prioritaire. Mais il y avait une telle opposition qu’ils ont fini par accepter aussi celles hors REP. Seconde parade », ajoute-t-elle. Sur les 82 école, 30% n’appartiennent pas à l’éducation, prioritaire. La responsable syndicale dénonce par ailleurs l’opacité qu’il y a autour des subventions allouées, « qui a eu quoi ? comment est-ce que cet argent publique a été dépensé ? Il n’y a pas la moindre circulaire pour cadrer tout cela ». Sur la question du bâti scolaire, la secrétaire départementale expliquent que les choses avancent. « C’est un plan indispensable, tant pour la sécurité des élèves que pour la réussite de leur scolarité ».
Au niveau des collèges et lycées, 20 microstructures ont été créées pour accueillir des élèves en grande difficulté, en décrochage, aux profils particuliers. L’État a ainsi alloué 20 postes d’enseignants spécialisés, 20 AED et une assistante sociale. « Ces structures sont implantées là où les locaux le permettaient » explique Marion Chopinet, responsable locale du Snes-FSU. Là encore, ce qui gêne, c’est la question de la contractualisation. « Si un établissement monte un projet, il y a une subvention. On donne des moyens supplémentaires seulement si l’équipe se saisit d’un projet. Et le poste de coordinateur – responsable des microstructures – est très lourd. Il gère tout, les élèves et l’organisation. Dans certains établissements, il y a déjà eu un changement d’enseignant sur le poste ».
Expérimentation marseillaise et CNR, deux choses bien distinctes
Pour le SE-Unsa, la volonté de généraliser l’expérimentation marseillaise sans bilan est une aberration, un affichage politique de plus. « Lorsque le gouvernement évoque la généralisation, il mélange tout. Il parle de Marseille en grand et du CNR. Cela n’a rien à voir. On met dans le même paquet des choses entièrement différentes pour que ça les rendent plus cohérentes et visibles. Il existe depuis toujours des projets dans les écoles, le CNR permettra de les visibiliser, il n’offrira pas autant de moyens qu’à Marseille. Pas de décharge de directeur, pas de plan sur le bâti scolaire, pas de formations spécifiques… ». « La généralisation du CNR est précipitée. Autant Marseille était une urgence, autant la généralisation du CNR à toutes les écoles n’en est pas une » dénonce la secrétaire générale.
Des premières annonces qui surprennent tout le monde, même le cabinet du Ministre
Dès lundi soir, lors d’un débat avec les habitants du quartier de Busserine à Marseille, Macron annonçait que tous les collèges Rep seraient ouverts de 8 à 18 heures avant la fin de son mandat, que les demies-journées de découverte des métiers en 5ème auraient lieu toutes les deux semaines, que les effectifs seraient réduits en Moyenne section et qu’il y aurait une augmentation du nombre d’enfants scolarisés dès deux ans en éducation prioritaire (pour rappel, c’est sous son premier quinquennat que les dispositifs TPS ont été liquidés pour la plupart)… Des annonces que même le ministère semblait découvrir hier matin – au moins sur la question du collège de 8 à 18 heures – selon Sophie Vénétitay du Snes-FSU. «J’ai interrogé le cabinet du Ministre qui ne pouvait me préciser les informations entendues sur France Inter undi matin. Il devait se renseigner et revenir moi. Il est 22 heures et toujours pas de retour...».« Il s’agit encore d’une nouvelle annonce sans concertation qui vise à plaire plus qu’à être utile ou possible… » cingle de son côté Elisabeth Allain-Moreno.
Grand absent de ce déplacement, Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, a-t-il au moins été informé de ces annonces ? Nul doute que ce dernier affront aura fini de disqualifier le ministre auprès des enseignants et de l’opinion publique. Combien de temps restera-t-il encore à la rue de Grenelle?
Lilia Ben Hamouda