Serge Pouts-Lajus, spécialiste de l’accompagnement des collectivités territoriales du point de vue de l’éducation, propose aux lecteurs et lectrices du café pédagogique une analyse de la dimension matérielle en éducation. L’Etat et les collectivités sont co-responsables du fonctionnement du système éducatif mais la responsabilité de son caractère inégalitaire semble très nettement se situer du côté de l’Etat.
La dimension matérielle de l’éducation est souvent placée à l’arrière-plan des analyses sur le fonctionnement du système éducatif. C’est dommage. Les établissements scolaires sont d’abord en effet des bâtiments, des choses donc, aménagés et équipés de multiples autres choses pour accueillir et permettre l’éducation. Rien ne justifie que cette indispensable matérialité soit ignorée ou négligée, en particulier par celles et ceux qui en ont la responsabilité. On peut pourtant citer plusieurs exemples qui illustrent ce que l’on pourrait considérer comme un signe de désintérêt des responsables politiques pour cette question. En 1933, Célestin Freinet se bat contre un maire pour que les élèves de son école soient accueillis dans des conditions décentes. Le 6 février 1973, seize enfants trouvent la mort dans l’incendie du collège Pailleron dans le XIXème arrondissement de Paris. Aujourd’hui, c’est l’état désastreux des écoles de Marseille ou celui du lycée Voillaume à Aulnay-sous-Bois qui semblent confirmer ce constat.
La question matérielle en éducation est toujours bel et bien une question politique mais elle se pose à présent au niveau local, ce qui la distingue radicalement des autres composantes de l’éducation, sous responsabilité de l’Etat. La colère de Freinet contre un maire d’extrême droite, celle des professeurs marseillais contre l’incurie de leur municipalité et des professeurs du lycée Voillaume contre la présidente du Conseil Régional d’Ile de France en témoignent. Dans ce paysage, le cas du collège Pailleron se distingue car c’est alors bien contre un gouvernement, contre l’Etat alors responsable de la construction des collèges et des lycées, que la colère s’est dirigée. Et c’est à la suite de ce drame que le gouvernement de Pierre Mauroy a abandonné au début des années 80 ce qui lui restait de responsabilité sur la question matérielle en éducation, désengagement parachevé en 2005 avec le transfert des missions techniques d’accueil, d’entretien et d’hébergement.
Des collectivités engagées, responsables devant leurs électeurs
Ce sont les maires, depuis le XIXème siècle, les présidentes et présidents des conseils départementaux et régionaux depuis les années 80 qui répondent des conditions matérielles de l’éducation dans les écoles, les collèges et les lycées. Ces élus du peuple manifestent-ils un désintérêt quelconque pour la matérialité dont ils ont la responsabilité, la seule qu’ils aient à ce niveau ? Bien sûr que non ! L’engagement des collectivités n’est évidemment pas le même partout mais tous ceux qui suivent attentivement l’évolution du système éducatif français depuis le début des années 80, les équipes de direction et les enseignants peuvent en témoigner, avec des nuances bien sûr : les collectivités territoriales assument leurs responsabilités de façon globalement satisfaisante, quelques-unes très mal comme à Marseille, mais beaucoup de façon remarquable car tous ces élus doivent répondre de leurs décisions devant les électeurs ce qui n’est pas le cas des ministres. La décentralisation crée des différences mais elle ne creuse pas les inégalités. C’est bien l’État et sa gestion de l’immatériel qui est le principal responsable du caractère scandaleusement inégalitaire de notre système éducatif.
Serge Pouts-Lajus
Education & Territoires