Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN, et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation.
L’engagement, est une démarche par laquelle l’auteur offre des garanties confirmant qu’il est en capacité, et prêt à assumer ce à quoi il s’engage. Il revêt la forme soit d’un contrat soit d’une promesse. L’engagement au moyen de la promesse concerne les convictions sur le sens et la valeur de ce à quoi la personne s’engage.
L’engagement en éducation n’est ni la promesse de quelque chose, ni celle d’un résultat précis. C’est le témoignage que quelque chose de ce que l’enfant espère devenir est, pour lui, possible et vaut l’énergie qu’il va et que l’on va investir. C’est en même temps, l’annonce d’une exigence concernant l’effort de mise au travail qui lui sera demandé. Cet engagement découle de l’éducabilité qui stipule que chez un humain, une transformation, un progrès, est toujours possible au moyen d’un travail d’élaboration.
L’engagement éducatif est nécessairement à la fois personnel et professionnel. La question que pose un enfant au regard de l’engagement d’un adulte est celle de sa propre valeur dans le regard d’autrui : « Est-ce que je compte pour quelqu’un ? Est-ce que je compte pour toi, pour l’école, pour la société ? ».
Face à l’insistance d’une telle question, un enseignant témoin et co-acteur des difficultés et des joies traversées dans les apprentissages est personnellement touché. En même temps, il assume une fonction qui émane du collectif des humains. C’est le propre de la relation éducative d’être à la fois radicalement singulière et en même temps d’être universelle et sociale. Au-delà des apprentissages et des acquisitions de connaissance, ce sont les processus d’humanisation qui sont mis en travail dans l’engagement éducatif. C’est parce qu’un enfant trouve un jour sur son chemin quelqu’un à qui parler, quelqu’un de consistant et de fiable sur qui il peut compter et sur qui il peut s’appuyer, qu’il peut « faire son chemin », trouver sa voie et construire sa place parmi les humains. C’est là l’un des enjeux considérables de l’engagement.
Les professionnels « engagés », parce que sensibles aux enjeux de sens et de valeur, sont perméables aux discours idéaux et de ce fait, vulnérables à l’exploitation, l’engagement devant être assumé « en plus » de leurs obligations. A ce titre, l’engagement est le vecteur de nombre de pièges et de risques d’asservissement car les pouvoirs prônent l’engagement, tantôt afin de fédérer leurs agents autour d’une visée commune, tantôt en vue d’exploiter et de manipuler les personnes engagées.
Pour que l’engagement puisse être assumé, il faut qu’il soit compris comme inhérent à la mission, partagé par les différentes instances institutionnelles et reconnu en termes de moyens et de temps à disposition. Faute de quoi, le professionnel s’engage dans une place intenable. L’ignorance des responsables institutionnels, voire le déni de la complexité des situations réellement vécues par les professionnels, placent ces derniers dans des positions intenables. L’institution disqualifie et invalide alors ses propres professionnels en les soumettant à des objectifs irréalisables ou en leurs adressant des injonctions paradoxales
L’engagement est un acte de liberté. Dès qu’il devient contraint il bascule dans le rapport de force et d’asservissement. C’est pourquoi un engagement contractuel doit être réglementé, régulé et arbitré car les intérêts divergent et sont rarement équilibrés.
Peut-on réussir sans aucun engagement ?
C’est quoi réussir ? Si c’est réussir une relation humaine, ma réponse est clairement non. On ne peut pas être en relation, d’ectoplasme à ectoplasme, d’anonyme à anonyme. On est obligé de se découvrir. Il faut rentrer dans la relation et y perdre quelque chose. En revanche, si réussir, c’est accumuler de l’argent, alors, il ne faut pas s’engager dans de l’humain.
Et pour sa scolarité d’enfant ?
Un jeune, qui réussit sa scolarité sans être en relation avec d’autres jeunes, m’inquiète dans ce qu’il va devenir en tant qu’humain. Il va réussir l’absolue désincarnation du savoir par rapport à l’humain.
La réussite, tel qu’on en parle actuellement, c’est typiquement le projet néolibéral. L’école d’aujourd’hui travaille à l’employabilité. C’est le système de l’exploitation. Mais l’écoledoit-elle préparer à l’employabilité ou à la vie ?
Et ce même enfant qui va réussir professionnellement, comment va-t-il réussir dans sa vie relationnelle d’adolescent amoureux et de couple ?
Ce serait quoi une pédagogie de l’engagement ?
Ce serait une expérience des conséquences de l’acte que l’on pose, dans différents domaines, et en particulier auprès des autres. C’est à mon sens le cœur du travail éducatif d’être à la fois auteur de ses actes et capable d’en répondre en choisissant ce qu’il y a de meilleur. C’est la question à la fois du choix, apprendre à énoncer ce qu’il y a comme valeurs supérieures, et aussi apprendre à renoncer, au nom de quelque chose qui parfois est le bien collectif plutôt que mon profit personnel.
C’est donc une pédagogie éminemment politique.
Un propos de Jacques Marpeau recueilli par Daniel Gostain