Christian Sauce, enseignant en lycée professionnel pendant plus de trente ans, se voit comme un « lanceur d’alerte ». Depuis plusieurs années, il interpelle les enseignants sur ce qui se joue dans l’enseignement professionnel et l’apprentissage. Il livre aux lecteurs du Café pédagogique son analyse de l’impact de la réforme du lycée professionnel. Il s’interroge sur le discours du Président qui évoque un « système mal fichu » qui n’est autre que le résultat de la réforme Blanquer qui a eu lieu sous sa mandature. Pour Christian Sauce, le Pacte du lycée professionnel est « l’arme ultime pour démanteler l’enseignement professionnel sous statut scolaire ».
Le 4 mai 2023, au Lycée Bernard Palissy de Saintes, Emmanuel Macron a présenté sa deuxième réforme du lycée professionnel en 5 ans ! En prononçant, une fois encore, des mots forts : « Ce n’est pas simplement d’une réforme dont je suis venu parler aujourd’hui. Je dirais que pour moi c’est une cause nationale. Parce que je crois que les élèves qui sont là ont toutes les raisons d’être fiers d’être dans ces voies. Mais je dis que c’est une cause parce que malgré l’investissement de la nation, le dévouement des enseignants, nous ne sommes pas au rendez-vous que nous devons à ces élèves. Le système est mal fichu » !
La seconde réforme du lycée professionnel d’Emmanuel Macron
Mais ce préambule avait de quoi surprendre les spécialistes du lycée professionnel. Le Président de la République avouait en effet l’échec de sa première réforme, avec Jean-Michel Blanquer comme ministre de l’Éducation nationale ! Elle avait déjà pour but, selon Éduscol, « d’engager les élèves dans des parcours d’excellence, véritables tremplins vers une insertion professionnelle immédiate ou une poursuite d’études réussie ». Si le système est donc « mal fichu », à qui la faute ?
Pour les pédagogues, la réforme Blanquer de 2018, venant après celle de 2008 qui réduisait d’un an la formation des élèves de Bac Professionnel, abimait une nouvelle fois l’enseignement en lycée pro. Sous prétexte d’adapter les parcours de formation aux spécificités professionnelles, elle supprimait des centaines d’heures de cours en enseignement général et professionnel sans que personne n’y trouve son compte : ni les élèves, ni les enseignants. Le lycée professionnel, chargé à l’origine de former l’homme le travailleur et le citoyen, y perdait son âme !
Mais comme à son habitude, ne tirant aucune leçon de l’échec de sa réforme précédente, le Président annonçait à Saintes vouloir poursuivre sa politique de rapprochement du LP avec les entreprises suivant le modèle de l’apprentissage patronal : « Ce qu’on a su faire collectivement avec la réforme de l’apprentissage, il n’y a aucune raison qu’on ne sache pas le faire pour le lycée professionnel ».
Il énuméra alors tout ce qu’il fallait – encore – changer pour arriver à ses fins : épreuves écrites en mars afin d’augmenter de 50 % le nombre de semaines de stages en entreprises en terminale pour les élèves qui ne souhaitent pas poursuivre leurs études après le bac pro – étroitement lié à la gratification de ces stages par l’État, évolution de la carte des formations en fonction des besoins locaux des entreprises, mise en place d’un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel, développement du mentorat d’entreprises, cours d’entreprenariat par des intervenants extérieurs…L’entreprise, l’entreprise, l’entreprise ! En résumé, le lycée professionnel devait devenir pour Emmanuel Macron le pourvoyeur officiel d’une main d’œuvre rapidement employable et rentable pour les employeurs. À l’instar de la formation par apprentissage.
Après avoir exprimé ce qu’il voulait pour les LP et leurs élèves, il s’est adressé aux enseignants : « Dès la rentrée, on va expérimenter, avec des enseignants qui seront volontaires pour s’engager, un accompagnement qui va permettre à des enseignants volontaires du lycée pro d’aller accompagner (sic) des élèves durant leur première année en enseignement supérieur pour éviter le décrochage…Ensuite au titre du Pacte pour le lycée pro, les enseignants auront toute une palette de missions nouvelles. En contrepartie, chaque professeur engagé et volontaire pourra prétendre à avoir une augmentation jusqu’à 7500 euros bruts annuels ».
Voilà donc une « cause nationale » pour mettre fin collectivement à « un système mal fichu » qui reposera essentiellement sur des enseignants « volontaires », ceux qui s’engageront dans « la logique » du Pacte. C’est-à-dire seulement la moitié d’entre-deux d’après leurs prévisions. Il y a là vraiment de quoi s’interroger sur la réelle volonté du Président : ou la réforme est une cause nationale dans l’intérêt de la nation et de l’ensemble des élèves de l’enseignement professionnel et ce sont tous les personnels de l’éducation – j’allais écrire tous les fonctionnaires ! – qui doivent s’y consacrer – avec les moyens afférents bien évidemment, ou la réforme poursuit un autre but, bien inavouable, celui d’achever la casse du lycée professionnel et concomitamment celle du statut des Professeurs de Lycée Professionnel (PLP) !
Le Pacte pour le lycée pro, arme de destruction du LP
Regardons dans le détail. Le Pacte lycée pro est non sécable, avec obligatoirement six missions pour chaque enseignant volontaire. On y trouve le remplacement de courte durée, l’intervention dans le cadre de la découverte des métiers en collèges, le renforcement des « fondamentaux » – c’est-à-dire seulement du français et des maths, en groupes réduits – sans aucune heure supplémentaire dans les dotations, l’accompagnement postbac professionnel, l’accompagnement vers l’emploi…Ces intentions pourraient paraître louables.
Mais là où le bât blesse, c’est que ce Pacte s’inscrit dans le cadre d’une réforme qui poursuit la même logique que les précédentes, c’est-à-dire la réduction drastique du temps de formation générale et technique des élèves du lycée professionnel en même temps que celle du nombre d’enseignants. Elle ne redonne pas des heures d’enseignement pour tous mais propose de prendre sur les moyens horaires existants pour accompagner un « certain » nombre d’élèves. Exactement la même politique que celle menée dans d’autres services publics par nos politiciens libéraux. Dans les entreprises, on définirait cela comme un plan social.
N’oublions jamais qu’on parle là d’éducation et que le LP reçoit des jeunes qui ont tous ou presque des difficultés scolaires. Le Pacte lycée pro est donc l’arme ultime pour démanteler l’enseignement professionnel sous statut scolaire. Il a tout de pervers. Il minimise l’enseignement général et technique en établissement scolaire au profit de l’accompagnement vers l’emploi, rôle normalement dévolu à Pôle emploi et aux missions locales. Il accroit considérablement la charge de travail des enseignants « volontaires », accréditant l’idée qu’on peut augmenter d’un quart le temps de travail sans incidence sur la qualité des enseignements. Il va faire exploser les inégalités salariales femmes/hommes. Il participe à la destruction du statut en annualisant les services. Il rapproche les horaires des PLP de celui des formateurs contractuels de Centres de Formation d’Apprentis – 25 heures annualisées. Il donne aux enseignants de LP le bâton pour se faire battre en les transformant en VRP multicarte de l’apprentissage patronal. Enfin, il va semer la discorde entre les enseignants, ce qui n’est pas innocent. Tout ce que les PLP avaient combattu dans les années 2000 !
« Le Pacte lycée pro est le bras armé de la réforme » écrit le Snuep-Fsu dans un communiqué. Cette formule me semble résumer parfaitement ce qui est en train de se passer : ce sont les enseignants eux-mêmes qui vont participer au démantèlement du lycée professionnel, cet incomparable moyen d’émancipation pour les jeunes issus majoritairement des classes populaires. Par ailleurs, il va générer des souffrances comme dans tous les services publics où le système libéral diminue le nombre d’emplois et accroît la charge de travail individuelle. Il est quand même paradoxal voire insupportable d’augmenter la charge de travail des uns et supprimer en même temps des centaines de postes générées par les fermetures de sections envisagées dans le tertiaire. Que des collègues acceptent cela sans sourciller montre le désarroi dans lequel est plongé le monde enseignant.
Mais cela dit, parlons des élèves : que va leur apporter cette réforme ? Un peu d’argent grâce à la gratification des stages et peut-être, pour une poignée, un accompagnement plus soutenu. Mais personne ne peut s’engager sur ce que l’Éducation nationale leur réservera à la rentrée prochaine : les uns auront un peu plus de cours, les autres un peu moins. Certains auront un professeur en mission pour les conseiller, d’autres pas. Un nombre conséquent d’entre-deux n’auront plus la formation qu’ils souhaitaient intégrer dans leur environnement proche. D’autres se verront obligés de faire des dizaines de kilomètres supplémentaires pour suivre les études de leur choix. Désespérant !
Des pédagogues, des sociologues, des chercheurs, des syndicats d’enseignants, des femmes et des hommes politiques, des médias, tentent bien d’alerter l’opinion publique sur la casse du lycée professionnel et la mainmise du patronat et du Medef sur la formation professionnelle. Mais peu nombreux sont ceux qui s’intéressent vraiment au devenir de l’enseignement professionnel sous statut scolaire car les élèves qu’il accueille sont bien souvent les enfants des autres. Comme le soulignait Jean-Paul Delahaye, ancien DGESCO, à la rentrée 2022, en s’adressant aux décideurs et aux parents des classes moyennes et favorisées : « Pour vos enfants, vous vous montrez particulièrement attentifs à la culture générale qui doit être celle des citoyens d’aujourd’hui. Qui peut vous donner tort ? Mais alors pourquoi ce silence quand il s’agit des enseignements dispensés au lycée professionnel ? » .
Christian Sauce