« L’école ne peut pas tout faire ». Venu au collège Watteau de Nogent-sur-Marne (94) le 15 juin pour assister à une heure de « sensibilisation » au cyberharcèlement, Pap Ndiaye a bien du mal à justifier cette heure installée tout à coup en fin d’année. C’est aux parents qu’il renvoie la question du harcèlement. Après un quinquennat Blanquer qui a laissé tomber les efforts précédents, le gouvernement revient à la situation qui a précédé 2010. Il réagit à l’actualité, criminalise les situations de harcèlement et renvoie la responsabilité aux parents.
Une heure de sensibilisation sous pression
Réunir trente collégiens de 3ème, au mois de juin, dans une petite salle, pour leur parler du harcèlement en fin d’année scolaire, c’est courageux. Au collège Watteau de Nogent-sur-Marne (IPS 114), une professeure d’histoire-géographie accueille le 15 juin Pap Ndiaye.
La veille, en réunion interministérielle, la première ministre lui a donné quelques jours, jusqu’à début juillet, pour faire des propositions pour lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement. En réponse à une série de faits divers, le gouvernement veut faire du harcèlement scolaire « une priorité absolue » de la rentrée, quelque soit le ministre en poste à ce moment… Le ministre de l’Éducation nationale a décidé d’une heure de sensibilisation dans tous les collèges dans cette 3ème semaine de juin.
Harcèlement et moyens
Au collège Watteau, 30 collégiens sont entassés pour un travail de groupe, en ilots, sur des cas que les élèves trouvent « plausibles« . Par exemple, une élève est insultée sur les réseaux sociaux, que faire ? Une bonne élève est mise à l’écart sur Snapchat où elle fait l’objet de quolibets. Une élève trans est moquée. Les élèves apportent les réponses attendues. Ou presque. Parce que leur réflexe s’est d’appeler la police. Les numéros verts du ministère sont ignorés, comme le ministre le remarque.
La professeure n’hésite pas à souligner les mérites des élèves et la pauvreté de l’établissement. L’activité théâtre est maintenue mais maintenant sur les fonds propres du collège. Les classes sont à 30 parce qu’une 3ème a été fermée. Elle va certes rouvrir mais à 30 également.
Parler fermement aux parents
Pour Pap Ndiaye, « cette heure de sensibilisation au cyberharcèlement a lieu à la veille des vacances car le cyberharcèlement peut se prolonger pendant les vacances« . Mais « il n’a pas attendu pour se mobiliser sur la question », à preuve la généralisation du programme pHare. A la rentrée 2023, chaque collège devrait avoir un « référent harcèlement« .
Cependant, « l’école ne peut pas tout, il faut une mobilisation des parents… On a besoin qu’ils s’impliquent davantage« . « A la rentrée« , poursuit Pap Ndiaye, « on aura l’occasion de parler fermement aux parents d’élèves à propos de leurs droits mais aussi de leurs devoirs« . Le ministère a pourtant cédé à des demandes de parents qui se multiplient. Il prépare un décret permettant d’exclure les élèves « harceleurs » dès le primaire même si nombre de ces situations renvoient à la question de l’inclusion scolaire.
Que reste-il des années Debarbieux ?
« Votre réussite individuelle est liée à la réussite des autres« , dit pourtant Pap Ndiaye aux élèves. C’est la seule allusion qui peut donner à penser que les avancées sur la question du harcèlement ne sont pas totalement oubliées.
Car la question du harcèlement scolaire a déjà une assez longue histoire. En 2010, Luc Chatel et Éric Debarbieux arrivent à la faire sortir de celle de la violence scolaire où N Sarkozy voulait l’enfermer. S’ensuit une période exceptionnelle dans l’histoire de l’Ecole. Pendant cinq ans, Éric Debarbieux, d’abord chargé de mission de Luc Chatel puis délégué ministériel de V Peillon, fait avancer la réflexion sur le harcèlement scolaire. Un grand plan de formation est lancé qui se brisera sur les résistances de la machine éducative. E 2015, Debarbieux claque la porte.
Avec des études de victimation (encore maintenues irrégulièrement par la Depp), Debarbieux alimente la réflexion du système éducatif français et l’éclaire des travaux internationaux. Il en ressort que le harcèlement est un phénomène de groupe et non de harceleurs isolés. Il a à voir avec les sanctions scolaires et leur perception par les jeunes. E Debarbieux met aussi en évidence des choses plus dérangeantes encore. Le harcèlement est systémique dans l’éducation nationale. Il ne concerne pas que les élèves ou les parents. 20% des enseignants sont harcelés ou mis à l’écart par leurs collègues.
Autrement dit, faire baisser le niveau de harcèlement dans l’École passe par des changements profonds de la culture scolaire et des modes de fonctionnement du système éducatif. Il est probablement illusoire de vouloir le faire baisser dans un système qui broie ses agents et qui fabrique les inégalités.
Que reste-il de ces réflexions ? Une allusion ministérielle. Une approche interministérielle qui est sans doute nécessaire. Mais la loi contre le harcèlement, le signalement sans remise en question du fonctionnement du système, montrent qu’on s’oriente vers une approche sécuritaire. Celle qui va alimenter, par exemple avec la loi sur l’immigration, la machine à exclure et à harceler…
François Jarraud
Le BO de 2013 sur les sanctions
Debarbieux : déidéologiser (2010)
Harcèlement : le bilan de JM BLanquer
Debarbieux fait la leçon au Sénat