Quelles sont les bonnes idées pédagogiques à piocher en post-bac ? Comment les questions écologiques sont-elles abordées dans le supérieur ? Justine Renard, professeure en écologie à l’IUT de Perpignan, prône une transition écologique à l’échelle du territoire. Auparavant professeure de SVT au lycée, Justine Renard « expérimente des conditions qui faisaient cruellement défaut dans le secondaire pour outiller les jeunes faces aux défis actuels ». Au lycée, l’enseignante dénonce « le calendrier serré au cycle terminal » et la « suppression du groupe classe » qui privent les lycéens de véritables situations d’apprentissage et d’interdisciplinarité.
En quoi est-il important d’éduquer à la transition écologique au niveau du territoire ?
Les territoires sont les espaces que nous habitons et dans lesquels nous remplissons nos différents besoins : logement, transports, alimentation, éducation, travail, loisirs…
Ces territoires sont la résultante de siècles d’aménagements et ils portent en eux la trace de différents héritages parmi lesquels :
Une culture naturaliste (au sens où l’entend Philippe Descola). Dans le monde occidental, la « nature » est perçue comme une entité extérieure caractérisée par l’absence d’humains. Cette théorisation de la séparation entre humains et non humains date du 17ème siècle. En conséquence, dans le monde occidental moderne, la « nature » est perçue comme un objet d’enquête scientifique, une ressource d’approvisionnement pour les sociétés, un espace permettant d’échapper à la vie urbaine… Nous avons pensé les espaces avec une vision assez binaire : d’un côté des espaces aménagés et exploités, de l’autre des espaces protégés où la nature est mise sous cloche.
Cette vision n’est pas généralisable à l’ensemble des sociétés humaines. Par exemple les Achuars, peuple amérindien d’Amérique du Sud, sont animistes et les autres êtres vivants sont vus comme de véritables partenaires sociaux avec lesquels il est possible de nouer des liens et de cohabiter. Nombre des communautés amérindiennes ont également façonné leur environnement mais en y maintenant un degré de biodiversité élevé.
Une culture capitaliste : la théorisation de la séparation entre la nature et la culture créé un contexte favorable à l’appropriation de territoires et à la commercialisation de ressources qui étaient partagées et gérées collectivement par les populations locales. Actuellement, le modèle économique repose sur une utilisation du vivant, humain et non humain, au service d’une accumulation de capital sans limite qui ne profite qu’à une minorité et qui compromet actuellement la survie de tous.
Une abondance énergétique : l’extraction de ressources énergétiques fossiles et la révolution industrielle a permis de développer des techniques et de lever différentes contraintes spatio-temporelles. Les territoires ont été façonnés par l’illusion de ressources matérielles et énergétiques inépuisables. Au quotidien, nous parcourons parfois des kilomètres pour pouvoir aller travailler, acheter nos produits, ou pour aller chercher un cadre agréable le temps d’un weekend ou de vacances. L’approvisionnement de nos magasins repose sur des régions agricoles et industrielles spécialisées situées à des centaines voire des milliers de kilomètres.
Sauf que…. La résilience des territoires, la sécurité des populations sont désormais mises à rude épreuve par les limites planétaires qui sont franchies les unes après les autres. Le pic pétrolier et le risque d’emballement climatique nous impose de trouver (très) rapidement une stratégie pour ne plus dépendre du pétrole. La chute de la biodiversité et des services écosystémiques associés nous montrent que la réponse technologique n’est pas suffisante. Les inégalités socio-économiques renforcent l’amertume et le sentiment d’impuissance alors que les moins responsables des désordres environnementaux sont également les plus vulnérables. Un changement s’impose donc si nous voulons éviter les pertes humaines dans les décennies à venir et tout ceci réinterroge profondément notre façon d’habiter le monde.
Ça parait terrifiant, contraignant, démotivant ? Et si nous le vivions comme un challenge : celui de faire mieux avec moins ? Et si c’était l’opportunité de faire preuve d’audace et de créativité ? Et si c’était l’occasion de réinventer le territoire dans lequel nous aimerions habiter ? Produire une alimentation locale en s’appuyant sur les services écosystémiques et non en s’y substituant, arrêter la bétonisation et désimperméabiliser les surfaces, ré-ensauvager nos rues, rendre le moindre espace comestible, relocaliser les services et privilégier la mobilité douce pour les relier, créer des lieux de convivialité, développer l’entraide, réutiliser et réparer au maximum nos objets, réinterroger la gestion des ressources… en réalité, les solutions sont bien identifiées et beaucoup d’initiatives très inspirantes émergent ci et là ! Elles ne demandent qu’à être généralisées et à s’ancrer dans la réalité propre de chaque territoire.
Ainsi, entre des changements à une échelle globale sur laquelle nous n’avons pas de prise ou individuels, nécessaires mais insuffisants, les territoires sont des lieux d’expérimentation privilégiés où nous avons tous la place d’impulser un changement : en tant qu’habitant d’un quartier, via notre métier, en tant qu’élève ou étudiant, membre d’une association, élu d’une collectivité… C’est une opportunité de rassembler les différentes connaissances, compétences, sensibilités au service du plus gros défi que l’humanité n’ait jamais connu et d’apprendre à prendre soin de nos espaces du quotidien. Mais c’est aussi une occasion d’ancrer les apprentissages dans le réel et de développer des compétences et des connaissances utiles au changement de société, de mettre l’éducation (mais aussi les arts, les médias, la littérature…) au service d’un changement culturel profond et nécessaire.
Pourquoi est-ce plus facile dans le supérieur ? Quelles sont les principales différences que vous faites entre le lycée et le supérieur dans l’enseignement des sciences ?
Actuellement, j’enseigne en IUT, au département Génie Biologique de Perpignan qui a deux parcours : Sciences de l’Environnement et Ecotechnologie et Agronomie. Je ne pense pas pouvoir généraliser les spécificités de cette formation à l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur. Mais j’y expérimente des conditions qui me faisaient cruellement défaut dans le secondaire pour outiller les jeunes faces aux défis actuels et leur élargir des horizons désirables. En quoi cela est-il particulier ?
C’est une formation qui a des formats classiques de cours magistraux, TD et TP qui permettent de transmettre des connaissances, des savoirs techniques. Mais depuis la réforme du BUT, elle fait également la place à des Situations d’Apprentissage et d’Evaluation. Au cours de ces SAE, les étudiants ont à la fois des cours et des temps d’autonomie pour répondre à une problématique particulière. Il y a donc un changement de posture : il ne s’agit plus seulement d’acquérir des méthodes ou des connaissances mais également de les relier et les remobiliser pour répondre à un problème particulier, d’être force de proposition et porteur d’initiatives. Cela permet un « encapacitement » : on amorce le passage d’une position de récepteur, d’exécutant à acteur, créateur.
C’est une formation qui croise apports théoriques et application pratique. C’est une formation qui est profondément ancrée dans le territoire. Les cours sont dispensés par des enseignants du secondaire, des maîtres de conférence et professeurs d’université mais aussi par des professionnels. Des sorties permettent d’aller voir ce qui se passe autour de l’IUT. Par ailleurs, ils font des projets avec différentes structures où ils sont co-tutorés par un enseignant et un professionnel autour d’un besoin identifié.
Nous ne sommes pas contraints par des examens nationaux et cela ménage un espace précieux de liberté et d’inventivité pédagogique.
Tout n’est pas simple et idyllique mais il y a là des conditions qui permettent de dépasser le simple constat des problèmes. Les étudiants, et nombre de personnes de manière générale, se sentent dépassées par ce qui se passe et verbalisent l’envie de savoir quoi faire et comment. Pour ma part, j’ai eu la chance par mes études d’acquérir des connaissances qui me permettent de comprendre l’ampleur du défi et d’avoir une culture du vivant. Mais au cours de césures, j’ai eu également la possibilité de m’immerger dans des projets, des cultures différentes qui m’ont montré à quoi pourrait ressembler une autre manière d’habiter le monde et m’ont éveillée une envie d’agir. Mais c’était un privilège et je me pose désormais la question de comment amener un tel cheminement dans le cadre d’une formation universitaire ou même dans le secondaire.
Quels sont les exemples mis en œuvre cette année ? Quelle est l’importance de l’interdisciplinarité ?
Mes cours sont une ébauche et vont sans aucun doute encore évoluer, notamment vers davantage de pédagogie active. Ils sont disponibles sur enseignerleclimat. Voici ce qui a été imaginé :
Comprendre les défis environnementaux et sociaux : changement climatique, défis énergétiques, ressources non énergétiques, biodiversité, dégradation des sols, inégalités sociales et environnementales. Il s’agit ici de fournir un état des lieux lucide de la situation à travers différents aspects. Oui les défis environnementaux et sociaux risquent de provoquer la mort de millions voire milliards de personnes d’ici à la fin du siècle, oui la société à mettre en place est très différente de celle que nous connaissons, oui la situation est grave et urgente.
Même si peu agréable, je considère cette partie indispensable pour faire un deuil définitif du monde dans lequel nous nous sommes construits et avoir une idée du « calendrier » que l’on devrait respecter. J’essaie néanmoins de mettre les formes pour accompagner au mieux les étudiants dans ce constat. A titre personnel, la prise de conscience des échéances si brèves a provoqué chez moi un choc émotionnel que j’ai dû apprendre à gérer. Au départ en en mettant à distance l’actualité anxiogène, en me désensibilisant face au manque de réponse satisfaisante. Puis j’ai accepté que nous sommes une expérience de société probablement éphémère mais que ça n’empêche pas de croire qu’un basculement est possible et d’agir pour y parvenir. Et désormais j’essaie d’endosser ma responsabilité d’adulte et d’enseignante pour accompagner les étudiants dans un changement franc. Ce passage à l’action m’a clairement aidée à dépasser mon anxiété. Il est donc important pour moi d’y amener les étudiants pour ne pas les laisser désœuvrés.
Comment transformer la société ? Nous partons sur une base commune, celle que le changement se fera dans un cadre démocratique, respectueux des libertés individuelles en essayant de limiter au maximum les pertes humaines. A partir de là : prêts à relever le défi ? C’est parti ! On convoque les arts, la littérature, les solutions fondées sur la nature, l’anthropologie, la science pour imaginer les contours d’une société durable qui se prépare efficacement à ces défis. Les étudiants sont mis dans la peau de spécialistes du logement, du transport, de l’agriculture… et partent en quête de données, de rapports, de lois, de documents techniques ou encore d’exemples d’initiatives pour voir quelles réponses ils pourraient amener dans leur domaine. Nous allons également à la rencontre d’acteurs passionnés et engagés qui s’activent sur le territoire : déploiement de l’agroécologie, de jardins partagés, associations de récupération alimentaire et solidaire, de réparation de vélo….
Ici, j’aimerais aller plus loin, les faire élaborer un projet soumis à l’université pour faire évoluer le campus et leur permettre de concrétiser leurs idées.
Territoire, te prépares tu aux changements à venir ? Les étudiants se placent à l’échelle d’une communauté de communes et dressent un bilan à l’aide d’outils de diagnostic disponibles en ligne : caractéristiques géographiques, géologiques, climatiques, écologiques, consommation énergétique, artificialisation des sols, émissions de gaz à effet de serre, analyse socio-économique, résilience alimentaire, risques liés au changement climatique, acteurs du territoire… Ils apprennent à lire le territoire sous différents angles, à en comprendre les spécificités et les contraintes, à mettre en lumière ses points forts et les points faibles et proposent des axes d’amélioration. Ils découvrent également divers outils déjà existants qui peuvent être utilisés pour amorcer le changements (outils de planification, de financement…)
L’interdisciplinarité est donc présente à chaque étape et est indispensable pour comprendre l’historique qui nous a fait arriver à cette situation, convoquer toutes les disciplines pour mettre en œuvre des solutions et ne pas négliger certains aspects dans la réponse à apporter. Elle permet également de sortir de notre « occidentalo-centrisme » où notre héritage culturel nous a appris à accorder de l’importance à certains aspects en négligeant d’autres points de vue – celui d’autres sociétés, d’autres êtres vivants par exemple, de minorités (genre, classes sociales, ethnies…)
Quels changements préconisez-vous pour le lycée ? En quoi le calendrier proposé aux lycéens n’est pas propice à la démarche de projet ?
Je suis partie du lycée il y a 3 ans, suite à quoi j’ai fait une année de collège avant de prendre mon poste en IUT. J’ai donc vécu seulement la première année de mise en place de la réforme Blanquer mais j’en suis encore l’évolution par les retours d’amis et d’étudiants.
Le premier point qui frappe, c’est la place que prend la préparation du bac et du dossier pour Parcoursup au point que les élèves n’apprennent plus qu’à une seule fin : celle d’avoir des bonnes notes pour assurer leur passage dans l’enseignement supérieur sans réellement savoir encore ce qui leur plait et retardant leur ancrage au monde. Avec l’ajout du contrôle continu, chaque devoir devient un enjeu qui parasite la relation avec l’enseignant et le rapport à l’apprentissage des premières et des terminales. Les calendriers très serrés, avec des épreuves de spécialité en mars placent le personnel éducatif et les élèves dans une course qui ressemble plus à un sprint qu’à une course de fond.
La deuxième c’est le cadre dans lequel se font les cours : les classes sont surchargées et le « groupe classe » n’existent plus vraiment dans le cadre des enseignements de spécialités, délitant les liens entre les jeunes.
La troisième, c’est la façon dont sont traités les enseignants et notamment les plus jeunes qui entrent dans le métier. Mesures de carte scolaire, position de remplaçant, service effectué à cheval sur plusieurs établissements, changements de niveaux, prise en charge précoce de responsabilité de classe, mise en compétition des enseignants pour faire des heures supplémentaires au détriment de la pérennisation d’un poste, espoir de mutation bien lointain…. Les jeunes enseignants, pourtant souvent très motivés, sont les variables d’ajustement du système de mutation au détriment de leur vie personnelle mais aussi de la possibilité de mettre en place de vrais projets d’établissement qui nécessitent un travail et un ancrage sur plusieurs années et dans de bonnes conditions. Heureusement, certains collègues font preuve de solidarité en partageant leur cours, en diminuant leur service, en les accompagnant au mieux mais une réponse politique serait nécessaire pour ne pas décourager les nouveaux enseignants.
Pour finir, je tiens à souligner l’énorme décalage entre ce qu’on trouve dans la littérature scientifique et technique et le contenu de formation des professeurs. Pour ma part j’ai pris ce poste avec la volonté première d’acquérir de nouvelles compétences et connaissances mais je suis très clairement sortie de mon champ disciplinaire et ça a été un travail colossal qu’on ne peut pas se permettre d’ajouter à l’initiative et à la charge seules des enseignants qui ont déjà beaucoup à faire. Il faut cependant veiller à le faire dans de bonnes conditions pour ne pas braquer davantage le corps enseignant car le moral des troupes n’est pas au plus haut.
De façon générale, la réponse aux enjeux actuels peut se faire par une double approche. Une approche top down ou descendante : les ordres émanent d’en haut pour être appliqués à un échelon inférieur. Une approche bottom up : les idées et innovations émergent de la base. Actuellement, les réformes et notamment de l’éducation se font selon une approche très « top down », très contrôlante mais les mesures mises en place sont hors sol et touchent aux limites physiques et psychologiques de l’humain, brident toute créativité et échouent à atteindre leur objectif final. Pour moi, il faut imaginer un lycée laissant la place à une approche plus bottom up où on accorde de la confiance au personnel éducatif et aux élèves, où on respecte les rythmes biologiques et l’humain, et où on ménage un espace temporel et des conditions matérielles leur permettant de mener leur expérimentation et de prendre plaisir à apprendre, transmettre, créer, transformer leur établissement et environnement.
Quelques mots sur le site enseignerleclimat ?
C’est une plateforme collaborative créée par le Shift Project qui permet à chacun de proposer des activités, cours et permettre à un enseignant qui souhaiterait de se former ou mettre en place des activités de ne pas partir de zéro car c’est très chronophage et beaucoup de choses existent déjà.
Entretien par Julien Cabioch
Site Enseignerleclimat
Site Territoires au futur
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