Le 23 mai dernier, des centaines d’infirmières et infirmiers scolaires ont défilé dans le cadre d’une marche blanche afin d’alerter sur leur manque de moyens. « Si on appelle à sauver la santé à l’école et si on organise une mobilisation sous forme de marche blanche, c’est parce qu’on ne peut plus proposer aux élèves une consultation de qualité et ça, c’est inacceptable » explique Saphia Guereschi secrétaire générale du syndicat majoritaire des infirmières scolaires, le SNICS-FSU. Manque de personnels, rémunération en berne… Pourtant, ce que pointe le dernier rapport du député Robin Reda c’est le corporatisme. « C’est un faux débat, on pointe du doigt le corporatisme alors que le problème c’est le manque de moyens » cingle Gwenaëlle Durand, secrétaire générale du SNIES-UNSA.
Une infirmière scolaire travaille 44 heures par semaine pour un salaire médian de 1700 euros et un salaire moyen à 2040 euros. « On est près de 900 euros en dessous des catégories A et on n’augmente pas en proportion par rapport aux autres personnels infirmiers de la fonction publique, même après une partie du Ségur » explique Saphia Guereschi, secrétaire général du SNICS-FSU. En Groupe de Travail sur l’indemnitaire, jeudi 25, les syndicats d’infirmiers et infirmières scolaires se sont vu proposer une revalorisation de… 400 euros bruts annuels, soit 26 euros par mois. « On n’est même pas restés négocier… C’est d’un tel mépris, on a quitté la réunion » rapporte Gwenaëlle Durand qui dénonce aussi l’impossibilité pour ses collègues d’évoluer. « On a seulement 13% des collègues qui passeront à la hors en classe. Les engagements PPCR ne sont pas respectés, beaucoup de collègues partent à la retraite sans accéder au deuxième grade. À l’hôpital, c’est 40% qui y accèdent ».
« Quitte à souffrir et à être maltraiter au travail, autant gagner convenablement sa vie » ajoute la secrétaire générale du SNIES-UNSA. « Beaucoup de collègues font le choix de quitter l’éducation pour l’hôpital public où elles gagneront entre 500 et 1 000 euros de plus. L’engagement à l’éducation Nationale, c’était de se dire : ok on perd des sous mais on a un rythme de vie plus agréable avec l’absence d’horaires décalées. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous sont stressées à l’idée d’aller travailler. On est submergées. On est face à des choix terriblement difficiles : prendre en charge la crise suicidaire de tel élève ou gérer le risque de grossesse précoce d’une autre. C’est ça la réalité de notre métier, c’est notre quotidien. On doit hiérarchiser les urgences. C’est d’une violence inouïe, c’est dévastateur pour beaucoup d’entre nous ».
Un manque cruel de moyens
Outre les rémunérations insuffisantes, le manque de personnel met à mal les infirmières scolaires. « Le dernier plan massif, c’est le plan Fillon en 2005 lors duquel 1500 postes ont été créés » explique Gwenaelle Durand. « Depuis, rien. Il y a bien des postes aux concours mais ils ne comblent pas les départs en retraite, les disponibilités. La balance est négative, clairement. La part des contractuels augmente et celle des titulaires baisse. Dans certaines académies, comme Créteil, les postes ne sont pas tous pourvus ». « Si cela va mal, si le service rendu se dégrade, c’est la conséquence du maintien des infirmières à moyens constants, de cette formation statutaire qui n’existe toujours pas et qui ne nous permet pas de répondre aux besoins des élèves » complète Saphia Guereschi. « Il y a un éparpillement, une dérive – très marquée pendant le Covid – un détournement des missions des infirmières, de leur efficacité qui a entrainé, en plus du malaise antérieur, une perte d’espoir. Les textes ambitieux, bien que réaffirmés n’ont pas été appliqués et ne le sont toujours pas ! Aujourd’hui, sous couvert de rapports médico-centrés, au lieu d’appeler à renforcer la santé à l’école ou à appliquer les textes existants, on appelle à la réformer ».
« Qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage… personne n’est dupe » ajoute la secrétaire générale du SNICS-FSU. « Lorsque la cour des comptes est invitée par la commission des finances de l’Assemblée Nationale à ne regarder que le taux de visites médicales, personne n’est dupe de l’orientation de ce rapport ». Et sur le rapport du député Reda, là aussi la responsable syndicale pointe des manœuvres politiques. « Monsieur Reda, fraichement élu, proche de Mme Rist députée médecin – qui, sous couvert de progrès ou de « gain de temps médical » – enferme le développement de notre profession dans un lien de subordination médicale par le bais des IPA (Infirmière de Pratique Avancées) qui loin de la reconnaissance de la profession infirmière au service de l’usager, ne permet à l’infirmier de pratiquer que sous coordination médicale, et ce, même si le diagnostic ou l’expertise médicale n’est pas nécessaire ».
Pour les deux responsables syndicales, ces différents rapports et la politique menée sont « une véritable négation du rôle propre – et autonome – des infirmières pourtant reconnu depuis les années 1990. Ce recul est délétère pour les professionnelles et surtout pour l’usager qui n’a pas en face de lui un professionnel pleinement responsable de ses actes et dument formé à cet effet ». « Nous ne demandons pas d’actes ou de compétences supplémentaires, seulement d’être plus nombreuses, mieux formées et que nos missions actuelles et les compétences que nous sommes censées offrir aux élèves soient encadrées par une formation nationale d’un niveau master » explique la responsable du SNICS-FSU.
Un service unifié sous la tutelle d’un médecin scolaire : une fausse bonne idée
Concernant les préconisations de rapprochement avec la médecine de ville du député Reda, Gwenaëlle Durand ironise. « Depuis 2015, on a su s’adapter. On travaille avec les médecins de ville. On ne les a pas attendu. On orienterez plus aucun élève sinon ». Pour autant les infirmières scolaires sont attachées aux spécificités de chaque corps de métier. « Nous avons chacun nos compétences, notre expertise. Le manque de médecins fait que le ministère souhaiterait qu’on pallie cette pénurie en accomplissant certaines tâches, telles que les visites des 6 ans. On touche à tout, à tous les aspects de la santé. C’est notre force, on demande qu’elle soit reconnue. Ce n’est pas être corporatiste que de dire que ce n’est pas notre rôle. Nous ne saurions être une variable d’ajustement pour les visites non accomplies » conclut-elle.
« Sur la décentralisation, déconcentration ou structuration en service, le SNICS FSU refuse effectivement que, sous prétexte de difficultés statutaires ou d’organisation sur la base de volontés corporatistes, on utilise des moyens infirmiers en dehors de leurs expertises pour faire le travail qu’on ne peut ou ne veut pas faire » argumente Saphia Guereschi. « Quelle organisation serait plus pertinente que celle de réunir l’ensemble des acteurs sous la gouvernance d’un membre de la communauté éducative qui a autorité et peut agir sur les différents corps et les coordonner ? Qu’y a-t-il de plus efficace dans un établissement qu’un chef d’établissement qui a autorité sur ce qui s’y passe et sur l’ensemble des personnels qui y exercent et qui orchestre et organise la collaboration nécessaire ? Les diagnostics infirmiers que nous faisons à l’Éducation nationale n’appellent pas systématiquement l’expertise du médecin, ça a d’ailleurs fait l’objet de deux années de débat. C’est pourquoi le médecin est le référent pathologie, il adapte l’école aux problématiques de santé, et l’infirmière est la référente de santé. L’équipe pluriprofessionnelle existe, elle est, et doit rester placée au plus près des élèves et de leur famille, donc au sein des établissements scolaires et non dans des centres médico-scolaire. Les besoins des élèves et la lutte contre les inégalités scolaires appellent à la coordination de la communauté scolaire par le chef d’établissement dont c’est la mission. La santé ne doit pas redevenir le pré-carré d’experts agissant depuis la périphérie et diluant les responsabilités, comme les expertises, chacun le sait les fonctions de substitutions ne rendent service à personne et surtout pas à notre jeunesse ».
Lilia Ben Hamouda