Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation. Aujourd’hui, Daniel Gostain et Jacques Marpeau évoquent La Rencontre.
Pour qu’il y ait rencontre, il faut que deux personnes prennent le risque de s’apprivoiser dans la découverte progressive de ce qui les constitue dans leur singularité.
C’est parce que l’on sait que chez tout enfant il existe des ressources cachées, que l’on s’intéresse à lui, que l’on s’adresse à lui dans une parole vraie et qu’il y a échange. C’est parce qu’il y a authenticité que se crée ce qui fait lien et relation, au-delà du prétexte et de l’éphémère du moment.
Mais si le terme apprivoiser signifie instaurer une relation de confiance, il signifie aussi dompter, domestiquer et mettre en cage. Apprivoiser et se laisser apprivoiser oblige donc à la plus grande vigilance, quant aux intentions qui président à une telle approche.
La rencontre est un moment où des personnes uniques ajustent leurs places réciproques, leurs perceptions, leurs connaissances et s’ouvrent à la complexité de ce qui est vécu et éprouvé dans des chemins de vie. Un tel ajustement demande du temps et ce temps est la condition de la levée de la défiance face au risque de se laisser apprivoiser, afin d’être domestiqué.
« Faire rencontre », c’est pour l’enfant, se sentir accueilli, accepté, tel qu’il est, au-delà des apparences, reconnu digne de l’attention et de l’intérêt qu’on lui porte. La rencontre est pour lui le moment de la promesse que quelque chose de nouveau est possible, grâce à la compréhension et à l’appui d’autrui, dans une confiance réciproque.
Parce se nouant entre deux sujets uniques et singuliers, la rencontre est interpersonnelle et intersubjective. Elle est « rencontre pleine », quand l’expression authentique de chacun permet de « croire » en l’autre et en soi. Trouver la façon de s’adresser à un enfant singulier ne peut résulter de l’application d’un protocole ou d’un référentiel par des agents interchangeables et anonymes. Rencontrer, c’est aller vers, se déporter, emprunter le chemin où l’autre évolue. C’est être attentif et accueillir l’inattendu et la surprise.
Pour un enseignant, rencontrer un enfant, c’est accepter d’être atteint, d’être touché par ce que l’enfant vit. Il ne peut y avoir de rencontre s’il y a anonymat et indifférence.
Une attitude d’empathie nécessite un temps d’ajustement car le point juste de la communication faisant une place aux émotions n’est ni la fusion/confusion de soi et de l’autre, ni l‘état de résonance. L’accueil bienveillant d’autrui, de son histoire et des émotions qui y sont liées nécessite de rester soi, en tant que personne, et autre, en tant que professionnel en charge d’une fonction.
Les enjeux d’une rencontre « pleine » sont considérables, bien que passant souvent inaperçus : Se sentir reconnu et accueilli en humanité avec ses ressources singulières, sa vulnérabilité et ses failles est la source de l’élan pour grandir. Une rencontre authentique en est souvent le commencement.
La lettre d’Albert Camus à son instituteur après sa remise du prix Nobel de littérature témoigne de l’ampleur d’un tel enjeu :
« […] Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé… »
Et la couleur de la réponse de Monsieur Germain l’est tout autant :
« […] Le pédagogue qui veut faire consciencieusement son métier ne néglige aucune occasion de connaître ses élèves, ses enfants, et il s’en présente sans cesse. Une réponse, un geste, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais, et l’enfant, bien souvent, contient en germe l’homme qu’il deviendra.
Dans quelle mesure l’enseignant doit-il être « rencontré » par ses élèves ?
L’enseignant qui reste neutre et constamment neutre, qui n’est qu’un rétroprojecteur de ce qu’il a à dire, qui ne s’investit pas dans ce qu’il dit – ce n’est pas lui parle, c’est le programme – ne peut pas faire rencontre, car on n’a pas en face de soi un humain mais plutôt un fonctionnaire. C’est la question de l’implication.
En quoi une rencontre influe sur les apprentissages ?
Elle ne joue pas directement sur les apprentissages mais sur l’estime de soi et sur la confiance en soi. C’est le principe d’éducabilité : l’enfant a des ressources, mais il rentre dans un monde étrange et étranger dont il n’a pas les clés. Il doit pour cela entrer dans une confiance dans l’adulte en charge de l’aider et découvrir peu à peu que ça devient un jeu et une richesse. Nous sommes là loin de la pensée procédurale qui a envahi le monde de l’enseignement. La confiance en soi et l’estime de soi sont totalement arrimés au rapport à l’autre que l’on découvre capable de vous soutenir et vous étayer.
Est-ce que chercher les ressources cachées de l’enfant fait vraiment partie du travail de l’enseignant ?
On peut demander à un enseignant d’avoir cette vigilance à ce qui fait signe chez l’enfant, à tenter de percevoir qui il est et les promesses potentielles de sa vie. C’est ce que dit l’instituteur de Camus.
Ne pas chercher et forcer un passage chez l’enfant, bien sûr, mais être en contact, car il y a plus de bénéfices à l’ouvert qu’à la clôture.
Une parole de Jacques Marpeau transcrite par Daniel Gostain