Annoncé à grands bruits depuis des mois par le ministre de l’Éducation nationale lui-même, le Plan mixité tarde à être dévoilé. Les annonces prévues initialement en mars, ont été reportées à aujourd’hui. Pour autant au sein du cabinet ministériel, on indique que les annonces du jour n’évoqueront pas le protocole que l’Education Nationale devrait signer avec l’enseignement privé sous contrat pour plus de mixité dans leurs établissements. Un protocole très attendu qui finalement ne devrait pas être à la hauteur des enjeux. Pap Ndiaye, qui réunit ce matin les recteurs et Dasen, devrait brosser les grandes lignes de ce qu’il reste de son plan mixité dans la journée. En attendant ces annonces, le Café pédagogique interroge Jean-Paul Delahaye, inspecteur général et ancien DGESCO qui avait, en 2013, participé à l’inscription de la mixité sociale au sein de l’École comme impératif national dans la loi de Refondation.
Quels enjeux de la mixité sociale à l’Ecole ?
La mixité sociale à l’École est un enjeu d’intérêt général. Les enfants de milieux populaires sont plus sensibles à leur environnement social que les élèves de milieux favorisés, qui de toutes façons vont réussir où qu’ils soient scolarisés. Il s’agit donc d’un enjeu essentiel pour la réussite de tous les élèves. C’est la raison pour laquelle, nous avions inscrit la mixité sociale et scolaire comme impératif national dans la loi de Refondation de 2013. Cet objectif politique a été initié par Vincent Peillon, et déployé avec beaucoup de courage et de volontarisme par Najat Vallaud Belkacem de 2015 à 2017. Il est assez désolant de constater que de depuis 2017, il ne s’est pratiquement rien passé au niveau national. Heureusement que, localement, les équipes engagées dans des expérimentations ont continué le travail, pris des initiatives, comme à Toulouse ou à Paris.
La reprise en main, au niveau national, par le ministre de l’Éducation Nationale actuel, est un signal positif, une bonne nouvelle. Enfin, on reprend une politique qui n’aurait jamais dû être abandonnée.
Mais le ministre, dont il faut saluer le courage car le sujet est épineux, semble bien seul sur ce sujet majeur. Pour l’instant, on ne voit pas de relai sur un sujet aussi important alors que le Président ne se prive pas de porter une parole nationale sur la question éducative. Sur la mixité scolaire, ce silence est-il lié au fait que la mixité scolaire pourrait aller à l’encontre de certains intérêts particuliers ? L’absence de mixité sociale et scolaire ne nuit pas à tout le monde dans notre pays.
Souvent montré du doigt, l’enseignement privé nie être un facteur aggravant du manque de mixité. Qu’en est-il ?
Avant tout, je tiens à rappeler que « l’enseignement privé » n’existe pas, en tant qu’entité. La loi Debré de 1959 ne reconnaît que des établissements privés. Michel Debré ne voulait pas que se constitue, à côté de l’enseignement public, un système éducatif avec une organisation parallèle. Cette loi reconnaît des établissements privés car la France a érigé la liberté d’enseignement au rang des libertés constitutionnelles – et il ne s’agit aucunement de toucher à cette liberté.
Le séparatisme social est accentué par l’action des établissements privés, c’est incontestable. Et ceux qui niaient cette évidence, ne le peuvent plus depuis la parution des IPS (Indices de Position Sociale). En France, avec l’Irlande et les Pays-Bas, nous avons le financement public des établissements privés sous contrat le plus important en Europe. Ce financement concourt donc à la concurrence privée de notre école publique, avec en retour très peu d’obligations. Par exemple, les établissements privés financés à 73% par des fonds publics ont pu s’abstenir d’appliquer le décret de 2013 sur les rythmes scolaires. Ce qu’on ne sait pas suffisamment, c’est que le financement public a été accru par la loi dite « Pour une école de la confiance » de 2019 qui fait commencer l’obligation scolaire à trois ans avec un effet quasiment nul au niveau de la fréquentation scolaire à trois ans, qui était déjà maximale à cet âge (sauf à Mayotte et en Guyane), mais avec une seule conséquence visible, sous couvert d’égalité, c’est un financement supplémentaire des écoles maternelles privées, essentiellement catholiques. Et ce, à travers de nouvelles dépenses des communes compensées par l’État, dépenses provisionnées par la loi de finance 2022, à hauteur de 100 millions d’euros.
Demander des contreparties à un financement très important est donc bien le moins que l’on puisse faire.
Dans mon rapport sur la grande pauvreté de 2015, je fais deux propositions qui rejoignent d’ailleurs les propositions faites par la sénatrice Françoise Cartron en 2012. Demander au rectorat de différencier les dotations aux établissements privés sous contrat en prenant en compte leur degré de mixité sociale, tout en veillant bien sûr à ce qu’ils aient une dotation plancher garantie pour chacun. A partir de ce plancher, on peut aussi faire varier la dotation aux établissements privés en donnant un peu plus de moyens à ceux qui ont le souci de garder tous leurs élèves tout au long de leur scolarité, et un peu moins aux autres, c’est à dire les établissements qui demandent aux élèves en difficulté d’aller voir ailleurs pour pouvoir continuer à afficher des taux de réussite flatteurs.
Quelles politiques publiques pour favoriser cette mixité ?
D’abord, donner une priorité absolue à l’école publique. Ne jamais oublier ce que disait Jean Jaurès : « Le vrai moyen de combattre les écoles cléricales, c’est de mieux aménager nos écoles publiques ; c’est de leur assurer un nombre suffisant de maîtres pour que l’enseignement y soit partout efficace et pour que les œuvres postscolaires puissent être fortifiées et étendues ».
La question est politique et pédagogique. Politique car peut-on préparer au vivre ensemble si l’on ne scolarise pas ensemble ? Si un pays comme le nôtre qui affiche la devise « Liberté, égalité, fraternité » au fronton de ses édifices publics n’est pas capable de scolariser ensemble toutes les composantes de la jeunesse, au moins pendant le temps de la scolarité obligatoire, alors on continuera d’avoir, par exemple, des élites qui nous gouvernent, de droite comme de gauche d’ailleurs, qui n’auront jamais vu de près des enfants de pauvres ou d’origine modeste qu’ils prétendent ensuite gouverner. C’est une question de cohésion nationale : veut-on promouvoir la coopération, le commun, la mixité qui réunissent ou laisser faire la compétition, la sélection précoce et le séparatisme qui divisent ?
Il y a aussi des impératifs pédagogiques. Toutes les expérimentations menées montrent qu’il existe des leviers, des marges de manœuvre, à condition qu’il existe une forte impulsion nationale et que tous les partenaires prennent le temps de bâtir ensemble un projet qui fasse consensus et qui garantisse une égalité dans la qualité de l’offre de formation sur le territoire quels que soient les écoles et établissements. Par exemple, on aura beaucoup de difficulté à faire accepter à des parents de scolariser leurs enfants dans un collège où il y a beaucoup de contractuels, pas toujours remplacés quand ils sont absents alors que dans le collège voisin, les enseignants sont tous titulaires et expérimentés. Écoutons Condorcet qui nous disait que l’instruction publique ne doit pas être « une espèce de loterie pour les citoyens ».
Pour autant, une politique nationale volontariste d’éducation pour davantage de mixité sociale et scolaire ne pourra pas résoudre la totalité de la question. La carte scolaire, la manière dont sont répartis aujourd’hui les enfants sur le territoire, c’est la partie visible à l’école de clivages sociaux très importants qui existent dans la société. C’est parce qu’il y a eu une politique de l’habitat, lors des décennies précédentes, qui a conduit à séparer de fait les populations que se pose aujourd’hui la question de la mixité sociale et scolaire à l’Ecole.
Tout ce qu’il faut faire à l’Ecole n’aura de sens que si cela porté par une autre politique d’urbanisme. Tant que l’on autorisera des communes à payer des amendes plutôt que d’avoir leur quota de logements sociaux, on n’aura pas une politique d’ensemble d’intérêt général, et osons le dire, une politique plus fraternelle.
Qu’attendez-vous des annonces de ce jour ?
Que la question de la mixité sociale et scolaire redevienne une question d’intérêt national après le passage à vide de 2017 à 2022. On attend aussi un soutien politique auprès du ministre car, encore une fois, il devra affronter de fortes résistances, comme cela a été le cas de 2013 à 2017 – puisqu’une partie de nos concitoyens vivent bien avec ce séparatisme scolaire et n’ont pas forcément envie que les choses changent.
Il est urgent d’agir contre ce séparatisme social, d’agir pour que le côte à côte ne devienne pas un face à face mortifère pour notre pacte républicain.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
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