Remplacement de Courte Durée, une fausse bonne idée selon Aurélie Badard, professeure de physique-chimie. Elle imagine trois situations lors desquelles un remplacement est envisageable. Et ô surprise, dans aucune d’entre elles le remplacement de courte durée n’est une bonne option.
J’ai été ravie d’entendre que le remplacement des professeurs absents allait enfin être pris en compte mais je m’interroge sur cet engagement du président qui du coup m’engage aussi un peu !
Étant maman de 3 grands enfants et professeure en lycée, je sais le nombre d’heures perdues par les élèves chaque année à cause du non-remplacement des collègues absents pour de courtes voire de plus longues périodes.
Les élèves se retrouvent parfois à venir au lycée de 8h30 à 9h30 puis « à rouiller » dans un couloir pour leur prochain cours à 16h et prennent un retard considérable dans certaines disciplines.
Je serais très heureuse de pouvoir me reposer sereinement en cas de maladie, de pouvoir m’inscrire à des formations sans culpabiliser mais pour être très factuelle, je ne vois pas comment nous allons pouvoir répondre, sur le terrain, à cette promesse présidentielle hors-sol faite aux familles. Nous allons prendre 3 « cas d’école » afin d’aborder ce sujet sérieux de façon claire.
Imaginons qu’un professeur de physique-chimie, ma discipline, soit absent
La meilleure option serait qu’un TZR (Titulaire d’une Zone de Remplacement) de ma discipline – espèce en voie de disparition – puisse le remplacer mais il ne faut pas trop rêver.
Alors, deuxième option, je suis disponible sur le créneau, je ne croule pas sous mes corrections ou préparations, je n’ai pas de réunion, je n’ai pas de rendez-vous famille, je ne suis pas trop fatiguée par les cours que je dois déjà assurer et je m’y colle.
Cela permet aux élèves une continuité pédagogique et c’est une très bonne chose.
Il faut noter que ces remplacements existent déjà ponctuellement mais sur les classes dites prioritaires – classes d’examen – car les personnels de direction ne savent pas toujours s’ils auront assez d’HSE (Heures Supplémentaires Effectives) pour nous payer ce qui est un peu gênant tout de même !
Imaginons qu’un professeur de français d’une classe de 1ere (il a toute la classe) soit absent :
Les choses se compliquent légèrement (je pratique parfaitement l’art de l’euphémisme) car je ne suis pas professeure de français donc, même si j’adore m’adonner à la lecture, je ne pourrai pas apporter ma contribution à la progression prévue par mon collègue.
Ce n’est pas grave, nous allons en profiter pour faire de la physique-chimie et je vais ainsi pouvoir avancer ma progression de spécialité bien dense … chouette alors !
Ah non, finalement, ça risque d’être ardu car dans cette classe de 1ere, grâce à la réforme du lycée, j’ai l’immense chance d’avoir 5 types d’élèves :
- Lucas que je ne connais pas et qui ne fait pas la spé physique au lycée ;
- Lisa que je connais car je l’ai en spé physique ;
- Anna que je ne connais pas car elle a un autre professeur que moi en spé physique (et oui, vous ne le saviez peut-être pas mais, au sein d’une même classe, 4 profs de spé physique interviennent … merci l’équité dans l’évaluation) ;
- Mathieu que je connais car je l’ai en spé physique et en enseignement scientifique ;
- Kylian (car il en faut un) que je n’ai qu’en enseignement scientifique.
Bon, et si je prenais uniquement les élèves que j’ai en spécialité physique-chimie ce serait l’occasion de faire du soutien en petit effectif mais que feront les autres élèves ?
Ou alors je prends tous ces élèves et je crée une séquence spécifique : histoire des sciences, travail sur l’esprit critique à partir d’un fait d’actualité mais ça demande beaucoup de préparation en amont ;
Ou bien je me mets en mode « devoirs faits » et j’aide les élèves dans leur travail personnel ;
Ou, l’option la moins coûteuse en énergie, je fais « garderie » au moins ils seront au chaud au lieu de traîner dans un couloir.
Imaginons qu’un prof de langue soit absent – à noter qu’en classe de 2de, nous avons des groupes de compétences donc, en langues vivantes, les élèves sont mélangés :
Je ne vais pas faire de l’anglais, au regard de mon niveau malgré 10 ans d’anglais du collège à l’université, cela risque d’être épineux.
Pas de souci, j’ai la 2de4 donc certains élèves de ce groupe, je vais ainsi pouvoir faire du soutien car j’ai déjà identifié des difficultés pour certains élèves. Bonne idée mais les autres que je ne connais pas, j’en fais quoi ?
Comme le montrent ces 3 hypothèses qui ne sortent de mon imaginaire fécond mais de la réalité du fonctionnement d’un lycée lambda, ce n’est pas « gagné gagné » cette histoire de remplacement systématique !
Et une autre difficulté qui n’a pas encore été abordée : comment anticiper mon absence afin qu’une professeur volontaire puisse s’inscrire pour prendre en charge mes élèves ? Comment savoir que mon petit papa malade va partir demain, que ma voiture ne va pas démarrer, que j’aurai 40 de fièvre au réveil ?
Je ne suis pas très à l’aise aujourd’hui car je sais bien que « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » et les parents, qui ont écouté et entendu, vont être dans une attente à laquelle je sais déjà ne pas pouvoir répondre, cela me navre par avance.
Je suis d’accord sur le fait qu’il faille repenser le remplacement courte durée car, pour être transparente, il n’existe plus mais il faudrait peut-être imaginer d’autres options que de s’appuyer sur les forces vives déjà au bout de la roulette !
Comme j’aime bien être force de proposition, je me lance : Si le vivier des TZR était plus important ? Si on déchargeait d’une heure de cours les collègues volontaires pour une heure de présence au lycée sur laquelle pourraient être prévus des remplacements ?
Concrètement, une partie de mes collègues et moi-même allons assurer les remplacements ponctuels car cela mettra du beurre dans les épinards mais il ne faut pas penser que ce sera la solution miracle.
Nous ferons au mieux, comme d’habitude, mais je connais déjà la fin de l’histoire et je demande l’indulgence des familles pour les équipes enseignantes car la promesse du remplacement « systématique » ne se sera pas tenue.
Aurélie badard (professeure de physique chimie -Lycée Jean Lurçat de Martigues)