Alors que le taux de grévistes dans l’éducation affiche son plus faible niveau – 5% selon le ministère – pour cette douzième journée, la colère et la détermination des enseignants manifestants ne semble pas faiblir. Malgré la pluie et le vent en début de manifestation parisienne, des irréductibles étaient présents. Et pour eux, s’ils sont peu nombreux, c’est avant tout, voire seulement, parce que le coût financier commence à en angoisser plus d’un. D’ailleurs les manifestants rencontrés ont déjà commencé à changer leurs habitudes de consommation afin d’anticiper les pertes de salaire.
L’argent, le nœud de la mobilisation des enseignants
Dans les rangs du cortège parisien, peu de professeurs. Seuls les irréductibles sont là dont Aude et Léon qui sont venus en couple. Aude est professeure des écoles spécialisée à Paris, c’est sa seizième journée de grève, « si je compte bien » dit-elle. Son compagnon Léon est professeur en lycée professionnel, pour lui c’est la douzième journée. « On ne peut pas s’arrêter maintenant. C’est tout bonnement impossible, on s’est trop investis » raconte Aude. « Dans les écoles où j’interviens, au tout début nous étions une très grande majorité en grève. Aujourd’hui, nous sommes trois – sur une trentaine d’enseignants et enseignantes. Les collègues craignent la perte financière. Beaucoup évoquent leur emprunt immobilier ou leur loyer. Ce n’est pas pour les fioritures. Ils ont vraiment peur de ne pas pouvoir régler les charges incompressibles ». « On a la chance d’être deux, de ne pas avoir d’enfants » ajoute Léon. « On avait prévu d’aller voir les copains en Bretagne à Pâques, on a dû annuler pour éviter les dépenses superflues. Mais ce n’est pas grave, ce qui compte, c’est d’être là. De montrer que nous ne nous avouons pas vaincus ».
Déjà des restrictions de budget pour anticiper la perte de salaire
Près d’eux, plusieurs enseignants, banderole du SNES-FSU à la main confirment. « Lorsque je fais mes courses, je prends plus garde aux prix qu’avant » lâche Nadia, professeure d’économie-droit en Seine-et-Marne. « Je n’achète plus de chocolat et je fais attention à tous mes postes de dépenses même pour les enfants ». « Moi qui adore le théâtre, je limite les sorties. Je n’en ai fait qu’un seul en trois mois. Et encore, j’ai eu un tarif réduit ! » complète Omar qui l’accompagne. Tous les enseignants rencontrés et interrogés ne se sont pourtant pas vu retirer de jour de grève. « C’est par précaution » explique Nadia. « On sait que cela va tomber sous peu, on espère juste qu’ils étaleront cela sur plusieurs mois ».
À quelques mètres, ces enseignantes d’une petite école maternelle dans les Hauts-de-Seine sont venues manifester ensemble. « C’est notre cinquième journée de grève » explique Léa, directrice de l’école. « On ne les a pas toutes faites, c’était trop compliqué financièrement et parce qu’on avait pas mal de projets en cours ». Dans cette école de huit classes, on décide collectivement de faire grève ou pas. Ainsi, depuis le début du mouvement, les portes de l’école sont restées closes cinq jours. « Mais les parents nous comprennent et nous soutiennent » affirme Léa. « On a même eu quelques mots sympathiques, des mots d’encouragement ».
Malgré tout, aucun regret
Malgré les restrictions budgétaires que leur impose leur mobilisation, aucun enseignant interrogé ne regrette de s’être mobilisé. « On n’a pas le choix. On ne peut pas être enseignant et ne pas s’engager, ne pas se battre pour nos droits, les droits de nos élèves, les droits de tous et toutes » s’exclame Aude. « Cela va plus loin que la réforme des retraites, c’est un enjeu de société, de démocratie. Lorsque les syndicats évoquent une crise démocratique, ce ne sont pas des mots en l’air. C’est justifié. Comment peut-on vivre en démocratie et avoir un gouvernement qui reste complétement sourd à la rue ». « Et les violences policières contre les manifestants et contre la jeunesse, ce n’est pas acceptable » ajoute Léon. « On a un ministre de l’Intérieur effrayant. On se doutait avec toutes les casseroles qu’il traîne qu’il n’était pas un enfant de cœur mais ses menaces contre la LIDH sont tout simplement inadmissibles ».
Aucun des enseignants, sauf Nadia, n’espère une issue de la part du Conseil constitutionnel. « Ils ne désavoueront jamais le gouvernement » pense Aude. « Et puis, les neuf sages ne sont pas réputés pour être de gauche… ». Pour autant, ils estiment les chances d’obtenir le droit d’organiser un referendum d’initiative partagée « plutôt bonnes ». Et s’il est acté, tous s’investiront pour que 10% des électeurs signent la pétition. « Ce serait une belle victoire » souligne Aude.
Rassemblement et manifestations devant le Conseil constitutionnel
Aude et Léon manifesteront demain, quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel et ce, malgré les demandes d’interdiction de Gérald Darmanin. Ils rejoindront les cortèges d’étudiants et lycéens qui ont déjà prévu de manifester de Saint Lazare en direction du Conseil constitutionnel et de se rassembler cour Napoléon à 17 heures. Du côté lycéen, la FIDL – qui appelle aussi au rassemblement devant le Conseil constitutionnel- revendique 200 lycées bloqués – chiffre qui paraît en baisse mais « c’est dû en grande partie au fait que la Zone A est actuellement en vacances » écrit le syndicat de lycéens dans un communiqué.
Lilia Ben Hamouda