Transformer des messages d’identité personnels en œuvres d’art publiques sera au cœur du projet « Culture, vous avez dit [Kultur] ?! » lancé par Magalie Albeny. Enseignante et directrice de maternelle, elle interroge la transmission auprès des familles de son école villeurbannaise et rend hommage aux diversités du quartier.
« Et toi, c’est quoi ta culture ? » C’est la question que Magalie Albeny, directrice de l’école maternelle Lazare Gouzon à Villeurbanne (69), a posé aux 170 élèves de son école et à leur famille. « La question n’est pas anodine pour cette école REP. Le thème peut effrayer au départ alors l’aborder via un projet artistique, cela peut faciliter la parole » explique cette enseignante de Toute petite section. Alors que la ville a été pendant un an sous le feu des projecteurs suite à sa nomination comme première Capitale française de la culture en 2022, interroger ce concept pluriel de culture afin d’en faire des portraits géants affichés est un joli clin d’œil. « La culture, les cultures, notre culture… Réfléchir ensemble sur ce que cela représente pour chacun et chacune d’entre nous. Quels sont mes héritages, comment vivent-ils en moi aujourd’hui… Quelle culture je construis, quelle culture nous construisons ensemble ? » C’est ainsi que Magalie présente le sujet aux parents de l’école venus découvrir le projet.
Ce dernier est lancé dans le cadre de « Inside Out Project » de JR. Inspiré des collages que l’artiste effectue à travers le monde, « Inside Out Project » invite les participant.es à partager un message à travers des portraits-photos noir et blanc de 90 x 135cm collés dans l’espace public.
Ouvrir grand la porte de l’école
La première phase consiste à échanger avec les parents. Les questions portent d’abord sur leurs origines – terme qu’il a fallu déstigmatiser- et les manières possibles de les partager : la langue, les fêtes, les spécialités culinaires… La question des loisirs de l’enfant est ensuite abordée : les goûts, les passions… « C’était beau de voir des familles se redécouvrir, mieux se connaître » témoigne Magalie.
Un questionnaire papier vient appuyer la présentation, mais dans ces familles où le rapport à l’écrit ou la maîtrise du français ne vont pas de soi, la parole directe reste privilégiée. L’enseignante reçoit les parents par petits groupes, prend le temps d’expliciter le projet et répond aux questions des adultes et des élèves en même temps. « Il fallait à la fois rassurer les familles immigrées sur leur place, leur légitimité et les familles d’origine française qui trouvaient que leur parcours manquait d’exotisme. C’est une sorte de voyage dans l’intime qui se dévoilait. Les familles laissaient découvrir une part nouvelle d’elles-mêmes à leurs enfants » se souvient-elle, émue. « Je voulais vraiment éviter un choix artificiel, extérieur, dicté par l’enseignante. L’idée est vraiment de créer des temps d’échanges pour que les parents se sentent reconnus dans l’école. S’ils s’y sentent bien, l’enfant se sentira d’autant plus autorisé à l’investir. » Une démarche essentielle en éducation prioritaire pour cette directrice qui a participé au lancement des « cousettes » avec les parents d’élèves. Un temps où un père et des mères viennent coudre ensemble dans la salle des maîtres après avoir déposé leur enfant en classe. Avec des matériaux de seconde main, il et elles élaborent des livres en tissu, des bavoirs pour la cantine. Elles y tissent des liens entre elles, au sein de l’école, au-delà des langues et des classes sociales.
Portraits de parcours à ciel ouvert
La seconde phase consiste ensuite à déterminer un élément symbolisant sa culture avant de poser avec. Trouver les objets mais aussi travailler l’agencement, la posture, l’intention. Enthousiastes, deux parents se sont même portés volontaires pour jouer les photographes pour toute l’école. L’occasion pour les enseignantes de prendre une place de spectatrices le temps de la prise de vue. Puis les photos seront imprimées grand format grâce aux équipes « d’Inside Out Project » avant un affichage le 19 juin. Entre temps, le projet s’est amplifié. Le bouche à oreille a circulé de l’école maternelle au lycée, en passant par d’autres écoles du secteur ou encore le collège, la crèche, le centre social et les services périscolaires. Au total, treize établissements participent. Le cinéma associatif « Le Zola » s’est également emparé du projet et va diffuser le film « Visages villages » (réalisé par Agnès Varda et JR-2017) et tirer des portraits mettant en scène des habitant.es et leur culture cinématographique. Le projet devient une appropriation collective, un foisonnement d’idées, un projet de quartier. C’est ainsi 4 000 portraits qui sont attendus sur les façades, au sol, aux fenêtres… pour une exposition éphémère. « Un travail s’engagera sur le rôle de spectateur et sur l’acceptation de voir son portrait s’effacer avec le temps. Ce n’est pas évident mais c’est le principe du street art » indique l’enseignante. « L’absence d’explications accompagnant la plupart de ses collages permettent aux passants d’en faire leur propre interprétation. La réflexion autour de ces rencontres singulières entre les sujets des portraits et ceux qui les regardent constitue l’essence même du travail de JR » est-il précisé sur la plateforme recensant les actions.
Magalie ne cache pas son impatience de déambuler avec ses élèves et leurs familles dans les rues pour contempler les visages. « Rendre hommage aux « invisibles » sur les murs avant que le vent et la pluie ne les fassent disparaître… Être face à tous ces regards, à ces histoires inédites partagées, c’est très émouvant, très impressionnant. Faire en sorte que l’école leur donne une place et soit le lieu de création de cette culture commune, c’est ça mon métier ! »
Cerise Lenoir