La 9ème journée de mobilisation contre la réforme des retraites devrait retrouver le niveau du 19 janvier. L’utilisation du 49.3 pour faire passer en force une réforme très impopulaire a remobilisé les enseignants. Le 22 mars, les propos du président de la République, assimilant ses opposants à des « factieux » ou des paresseux et assurant que « le texte va poursuivre son chemin », augmentent encore l’exaspération. Ses propos sur l’École, où il veut maintenir des réformes largement rejetées, mobilisent aussi les enseignants. L’unité syndicale reste sans faille. Et deux nouveaux éléments de mobilisation arrivent. La proposition de loi sénatoriale ultra libérale déposée par Les Républicains sur l’École pourrait construire début avril le glissement à droite de la majorité présidentielle. Une autre inconnue est l’attitude des lycéens, qui viennent de passer leurs épreuves du bac. Les reculades démocratiques pourraient les faire descendre dans la rue.
Une forte mobilisation des enseignants
« Le mouvement sera important« . Interrogé par le Café pédagogique le 22 mars, Stéphane Crochet, secrétaire général du Se Unsa, attendait 60% de grévistes dans le premier degré, soit le niveau du 19 janvier. « La mobilisation sera importante car la colère est plus générale et globale. L’utilisation du 49.3 la nourrit« , nous dit-il. Même prévision à la FSU. Pour Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, « le mouvement sera de même ampleur que le 19 janvier. C’est une journée déterminante contre la réforme et pour savoir de quoi on sera capable pour la suite« . Pour lui, « les enseignants sont particulièrement attachés aux formes démocratiques et le 49.3 a choqué des professeurs qui enseignent la citoyenneté. Il n’est pas possible qu’un tel mouvement soit méprisé avec un président de la République qui parle de la foule comme d’une masse de gens qui ne comprennent pas l’intérêt général« .
Le discours dangereux d’E Macron
Les propos d’E Macron n’ont rien arrangé. Le président de la République a assuré que « le texte va poursuivre son chemin » et qu’il va « continuer d’avancer« . « On respecte, on écoute. Mais on ne peut accepter ni les factieux ni les factions » a-t-il dit visant les manifestants. E Macron n’a ouvert aucune porte de négociation sur sa réforme mais souhaite rencontrer les syndicats sur les bas salaires. Dans ses propos il a argumenté sur le thème du travail et des grévistes paresseux. « Il y a des manifestants pour dire « je veux plus travailler » car pendant plusieurs mois on a payé sans travailler« . Il a annoncé vouloir « responsabiliser » les gens au RSA, c’est à dire les mettre au travail.
Le président de la République a aussi parlé de l’École comme une de ses 3 priorités. « Je veux que dès la rentrée prochaine on puisse remplacer les professeurs du jour au lendemain » a t-il dit. Il fait ainsi allusion au « nouveau pacte » qui prévoit une augmentation de salaire pour les enseignants en échange de davantage de travail. Il a aussi rappelé sa volonté de réformer le lycée professionnel, alors que tous les syndicats y sont opposés.
« Globalement le président est hors sol et continue la tension« , nous dit Stéphane Crochet. « Il renforce les lignes les plus à droite et sur l’École il a des mots superficiels. Il rabâche sur les remplacements sans dire un mot sur la crise du recrutement qui est le défi majeur. Il ne donne pas de perspective sur l’Ecole. Il n’a pas de vision haute, pas d’ambition large pour l’École« . Pour Benoît Teste, les propos du président de la République sur l’École sont hors sol. « Dans le contexte de suppressions de postes , imposer le remplacement aux enseignants alors qu’on sait déjà que ça ne fonctionne pas c’est savoureux. E Macron réaffirme une réforme de la voie professionnelle qui est contestée et qui ne répond pas aux objectifs. Rien ne change ! » Plus globalement, Benoît Teste marque son inquiétude. « Emmanuel Macron ne prend absolument pas en compte ce qui se passe dans le pays. Il est dans l’autosatisfaction et c’est inquiétant. C’est dangereux pour le pays et de nature à renforcer la colère« .
La droite attend l’Ecole au tournant
Pour les enseignants, B Teste et S Crochet marquent aussi leur crainte du rapprochement entre Les Républicains et les Macronistes alors que la droite a déposé une proposition de loi sur l’Ecole qui sera discutée , et probablement adoptée, au Sénat le 11 avril. »Les sénateurs sont allés très loin dans un projet de transformation libérale de l’Ecole. On est habitué à ce que la majorité de droite du Sénat pose ses marqueurs en sachant que c’est sans débouché. Mais on va surveiller les compromis actuels et la façon dont E Macron va chercher une nouvelle majorité« , nous confie S Crochet. « Cette proposition de loi aggraverait la logique actuelle en faveur de l’autonomie des établissements, du renforcement de la hiérarchie et des inégalités », pense Benoît Teste. « On est inquiet dans le contexte actuel. Si la majorité repenche à droite il y a une possibilité que la loi soit adoptée surtout s’il y a un nouveau ministre. On est très vigilant. Si on ne gagne pas sur le terrain des retraites, d’autres projets funestes peuvent s’avancer. Gagner sur les retraites c’est peser sur d’autres sujets comme la revalorisation enseignante« .
Gagner est-il possible ?
Gagner est-il possible ? « Macron peut toujours ne pas promulguer la loi. Il y a des précédents« , rappellent S Crochet et B Teste. Ce dernier rappelle aussi que le Conseil constitutionnel devra se prononcer et qu’il y aura un référendum d’initiative populaire. « On a plusieurs cordes à notre arc. Mais il faut que la décrédibilisation de la réforme continue. Cela grâce aux grévistes. Cela influera aussi sur le Conseil constitutionnel« .
Dans ce conflit, les syndicats comptent sur la mobilisation des salariés qui va rester très élevée. L’usage du 49.3 a donné un nouvel élan dans l’opinion publique. Des renforts sont attendus dans la jeunesse. « Les lycéens ont terminé leurs épreuves de spécialité. Ils sont sensibles aux questions de démocratie. Il y a une possibilité qu’ils se mobilisent« , estime S Crochet.
François Jarraud