Le documentaire « Les hauts de Hurlevent : amour, haine et vengeance », remarquable éclairage sur la genèse de ce ‘conte d’amour et de mort’, l’unique chef-d’œuvre d’Emily Brontë, nous embarque dans une exploration vertigineuse de l’univers (territorial, familial, social…), creuset dès l’enfance de la vocation littéraire des trois sœurs et des talents artistiques (gâchés) du frère, Branwell.
Guidés par la biographe anglaise des sœurs Brontë et la conservatrice du musée qui leur est consacré, reliés à l’imaginaire du paysage mental ici suggéré par un conteur en off à la voix profonde, nous voguons de la lande du Yorkshire natal et de la maison entre presbytère (où officie le père pasteur protecteur et amoureux des arts et des lettres) et cimetière (où reposent très tôt la mère et les deux autres sœurs aînées). Et nous pénétrons toujours plus profondément au cœur de cet étrange ‘collectif’ féminin de création, de Charlotte l’ambitieuse à Ann la discrète jusqu’à buter sur Emily l’énigmatique.
Carnets intimes et collectifs des sœurs apprenties poétesses, gravures et tableaux, cartes des royaumes imaginaires inventés par chacune (Emily en particulier), dessins d’animation en couleurs au graphisme délicat évoquant Emily sur la lande battue par le vent alternent avec les témoignages de chercheurs d’aujourd’hui. Surgissent aussi quelques séquences saisissantes du film de William Wyler avec Merle Oberon et Laurence Olivier, immense succès public dès sa sortie en 1939, apte à transformer en mythe le roman transgressif paru en 1847 sous le pseudonyme masculin d’Ellis Bell en 1847 peu de temps avant la mort de son autrice, âgée de 30 ans. Emily n’est pas la seule à avoir emprunté un nom d’homme pour publier, ses sœurs l’ont fait avant elle en usant du même patronyme. « Les Hauts de Hurlevent » acquiert cependant d’emblée un statut à part dans la littérature victorienne, et dans la littérature en général. Par sa démarche polyphonique, le documentaire d’une rare intelligence creuse sans cesse les des pistes nouvelles pour approcher les ressorts secrets de cette scandaleuse histoire d’une ‘passion maudite et d’une vengeance sans merci’.
Jusqu’à ce que nous bouleverse la force mythique d’un seul livre en rupture avec son temps, apte à briser les tabous familiaux et sociaux, apte à représenter le Mal, porté par le magnétique Heathcliff au teint sombre et au physique inquiétant, enfant adopté venu d’ailleurs, fils ‘bâtard’, amant maudit, se transformant en incarnation féroce d’une vengeance toujours relancée, sans fin. D’autres hypothèses liées à l’histoire de l’empire colonial britannique font résonner en nous le puissant pouvoir d’attraction et l’actualité sidérante de ce grand roman dérangeant.
Visible en replay sur artetv jusqu’au 7 mai 23