Alors que la commission mixte paritaire votait, sans surprise, la réforme des retraites et la mesure phare du texte : le recul de l’âge légal de départ, des centaines de milliers de français et françaises étaient dans la rue pour la huitième journée de mobilisation. Moins nombreux que le 7 mars dernier, les manifestants n’en étaient pas moins déterminés.
Mercredi 15 mars à Brest, plusieurs milliers de manifestants et manifestantes ont pour la huitième fois envahi les rues de la ville pour exprimer leur opposition, massive et déterminée, à la réforme des retraites. Les visages sont plus graves, les slogans sont plus politiques, les actions se diversifient (blocage du dépôt pétrolier, distribution de tracts à plusieurs ronds-points…), les jeunes prennent la tête de la manifestation, les opérations envisagées comme le boycott des surveillances des épreuves du bac à venir sont plus radicales et peut-être plus désespérées. « Les poubelles seront ramassées quand le projet de loi sera dedans », proclame un manifestant. « Macron destitution », demande une banderole. Pour l’intersyndicale, « la situation est explosive ».
Des actions de blocage
Aux alentours de Rennes, l’intersyndicale a organisé des « blocages » de ronds-points. Dans la petite ville de Redon, en Ille et Vilaine, Emmanuelle Maray, secrétaire départementale du SNUipp-FSU a participé à sa première action de ce type. « Ce n’est pas un blocage à proprement parler, nous nous sommes positionnés sur des ronds-points stratégiques – celui-ci est une intersection entre trois départements – pour aller à la rencontre de la population , pour distribuer des tracts et expliquer les enjeux de notre mobilisation ». Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, peu de conducteurs perdent patience. « Ils sont à l’écoute et ont compris qu’il s’agissait de leur combat aussi. Beaucoup nous sont même encouragés à poursuivre et remerciés de mener cette lutte qu’ils ne peuvent pas se permettre de mener. Seul un conducteur a été désagréable ! »
À Rennes, à Brest, à Paris, comme ailleurs, les manifestants et manifestantes interrogées témoignent désormais d’un sentiment de « colère » face au « mépris » répété de la représentation nationale, du gouvernement ou du président de la République lui-même. Beaucoup expriment aussi une grande « inquiétude » quant à la suite des événements : si la « condescendance » et « l’obstination » du pouvoir perdurent, cela laisse entrevoir des lendemains qui déchantent, sur les plans personnels, collectifs et politiques.
Lassitude et radicalisation gagnent du terrain
« Il y a toujours autant de détermination », explique Olivier, professeur de physique-chimie en lycée qui bat le pavé brestois. « L’objectif aujourd’hui, c’est de montrer que face à la brutalité de la procédure dite démocratique, avec un débat accéléré à l’Assemblée nationale, un vote bloqué au Sénat, des députés de la majorité menacés d’exclusion s’ils ne votent pas pour le projet de loi, nous, on continue à dire qu’on est contre, qu’il y a une majorité de l’opinion publique qui est toujours contre, que les Français jugent cette réformé injuste et inutile. »
Concernant l’état d’esprit de la profession, pour Olivier, « il y a une forme de lassitude, d’épuisement financier, mais il n’y a toujours aucune adhésion au projet. La bagarre de l’opinion publique est perdue définitivement pour le gouvernement. Cette déconnexion entre la représentation parlementaire et la grande majorité des citoyens de notre pays est un problème majeur ».
Un constat partagé par Elena, jeune professeure des écoles qui défilait à Paris. « Honnêtement, faire grève n’est pas raisonnable du côté de mes finances, je vais vraiment avoir du mal à payer mon loyer. Mais je suis fatiguée. Fatiguée de ce gouvernement qui ne nous entend pas, qui nous ignore, qui fait fi de la rue. A-t-il oublié qu’il était notre représentant ? J’ai 23 ans, beaucoup de mes amis sont complétement dépolitisés et ne votent jamais. Aujourd’hui, je m’interroge : est-on vraiment dans une démocratie ? Est-ce vraiment utile de voter ? ».
Interrogés sur les actions possibles, on sent un durcissement du discours chez les manifestants. Certains appellent au blocage complet du pays, à la fermeture des écoles comme Elena. Sur le passage des épreuves de spécialité du bac la semaine prochaine, Olivier évoque la difficulté d’utiliser ce moyen de pression. « Il faudrait atteindre des taux de grévistes de 70% ces jours-là. Les éboueurs arrêtent de ramasser des poubelles, l’EDF coupe l’électricité ici ou là, et bien que les enseignants cessent de surveiller ces épreuves d’un bac avec lequel ils n’ont jamais été d’accord de toute façon ».
L’intersyndicale appelle d’ores et déjà à se mobiliser demain, jour du vote à l’assemblée. Elle « soutient et se félicite de la détermination des jeunes, des travailleuses et travailleurs de tous les secteurs professionnels mobilisés et les invite à poursuivre les actions demain 16 mars ».
Jean-Michel Le Baut et Lilia Ben Hamouda