Vendredi dernier, Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et Emmanuel Constant, vice-président en charge des collèges, étaient reçus par le ministre de l’Éducation nationale à leur demande. L’objet de leur visite : une proposition « décoiffante » selon les propos du ministre : ils demandent que le département de la Seine-Saint-Denis rejoigne l’académie parisienne. Emmanuel Constant répond aux questions du Café pédagogique.
Vous avez fait une proposition « décoiffante » au ministre de l’éducation nationale, de quoi s’agit-il ?
Nous proposons le rattachement administratif de la Seine-Saint-Denis à l’académie de Paris. Une proposition qui fait suite à la publication des IPS.
Depuis plusieurs années on faisait beaucoup de choses pour rendre nos établissements plus mixtes socialement, la publication des indices de position sociale nous a mis fasse à un constat d’échec. Nous nous sommes donc dit qu’il était temps de passer à la vitesse supérieure. Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises au sein de l’administration départementale, l’idée d’une absorption de notre département par l’académie parisienne a émergé de ces échanges. On a eu des contacts avec des IG, des chercheurs, des organisations syndicales pour voir la viabilité d’un tel projet. Aujourd’hui, notre proposition est étayée, argumentée.
Comment ce rattachement permettrait plus de mixité ?
Face au constat que la ségrégation sociale continue d’exister dans les collèges de Seine-Saint-Denis malgré toutes nos actions, une des façons de lutter est de rendre nos établissements plus attractifs à la fois pour les élèves et pour les enseignants. Indépendamment des mesures que l’on pourrait prendre ici ou là, y compris sur des proportions importantes de collèges – comme les 40 collèges les plus évités,
Mélanger élèves et professeurs des académies de Paris et de Seine-Saint-Denis permettrait qu’un élève de La Courneuve soit scolarisé dans un lycée du centre parisien et qu’un élève parisien soit scolarisé dans un lycée de La Courneuve car il y aurait, par exemple, une section internationale ou une offre de spécialité spécifique. Nous savons que ce que nous proposons est un « Big Bang administratif ». Mais un Big Bang au service d’une mixité ambitieuse.
N’avez-vous pas peur d’une fuite des élèves vers Paris ?
Non, c’est tout l’inverse. On veut mélanger les offres de formations, les académies, les enseignants… Ce n’est surtout pas dépeupler les établissements de la Seine-Saint-Denis au profit des établissements parisiens. Un phénomène qui existe déjà, par ailleurs et qui est anarchique, absolument pas régulé et parfois frauduleux.Il ne faut donc pas s’arrêter qu’à la question de la sectorisation.
Si le Ministre réduit notre proposition à un travail de sectorisation commune entre Paris et nous, en nous renvoyant vers nos partenaires parisiens pour y travailler, cela dénoterait un manque de courage. Cela signifierait que ce gouvernement rate l’occasion de prendre une décision forte et audacieuse. Tout cela concerne l’école, l’école de la République, c’est donc de la responsabilité de l’État.
Cette proposition coïncide avec les annonces attendues par le Ministre sur la mixité sociale. J’imagine qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence.
En effet, en ce moment, il y a des opportunités d’écoute. La première opportunité, c’est en effet les déclarations du ministre qui souhaite travailler à plus de mixité. La seconde opportunité, c’est la baisse des effectifs dans l’académie parisienne. Cette baisse démographique est une opportunité historique. Nos effectifs sont en constante évolution, ceux de la capitale, en constante réduction – on le voit d’ailleurs avec la perte de moyens colossale qui y prévue dès la prochaine rentrée. Notre département et le département parisien pourraient donc y trouver un intérêt. C’est la raison de notre rencontre avec le Ministre.
Comment a réagi le Ministre ?
Il ne semblait pas complètement fermé à la possibilité de fusion. On le sent sincèrement sensible à la question de la mixité sociale et à la question de la mixité scolaire. Il a d’ailleurs qualifié notre proposition de « décoiffante ».Pap Ndiaye a peu de pouvoir sur l’enseignement privé, on lui offre un autre levier d’action. Je pense donc qu’on lui rend service, qu’on lui propose une solution pour contribuer à plus de mixité.
Les recteurs des académies de Paris et Créteil ont été avisés de cette proposition ?
Nous les avons prévenus de notre démarche mais ne les avons pas concertés. Nous avons l’habitude de travailler avec le recteur Auverlot qui était Dasen de la Seine-Saint-Denis. Pour lui, la mixité est un beau et grand sujet, il est très engagé sur ces questions. Mais sur ce dossier, nous n’avons pas eu d’échanges, je ne sais donc ce qu’il en pense.
Au niveau des enseignants, cela risque de chambouler les règles du mouvement, non ?
Le mouvement est national, on ne demande pas de dérogation pour la Seine-Saint-Denis. Depuis plusieurs années, quel que soit le sujet, on ne demande pas un traitement spécifique, on demande juste l’égalité républicaine. On ne veut pas avoir quelque chose de différent, on ne prétend ni on ne veut révolutionner le mouvement des professeurs. On demande juste de rattacher un deuxième département à l’académie parisienne, cela permettrait des mutations intra-académiques, à l’image de ce qui se passe dans d’autres académies. Nous proposons aussi la création de collèges d’application sur notre territoire.
Des collèges d’application ?
Oui, à l’image des écoles d’application dans le premier degré. Des enseignants chevronnés et formés à la formation d’enseignants seraient nommés dans des établissements en Seine-Saint-Denis accueillants de jeunes lauréats du concours. Cet échange de pratiques quotidien permettrait d’alimenter la professionnalités des uns et des autres. On sait que le 93 accueille bien souvent des enseignants inexpérimentés, le 75 des enseignants plus aguerris. Des collèges d’application permettraient de créer des lieux d’échanges de pratiques riches.
Pensez vous que votre proposition a des chances d’être retenue ?
Oui sincèrement. C’est une proposition est pertinente, je dirai même qu’elle offre une opportunité politique au gouvernement, à un moment où il entame une réforme des retraites profondément inégalitaire et injuste. On lui propose de se saisir d’une vraie mesure de gauche, cela pourrait être pour lui une façon de rééquilibrer la balance.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda