C’est aujourd’hui que le ministre de l’Education nationale devrait annoncer ses projets pour la mixité sociale à l’école dans le cadre d’un débat au Sénat, demandé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Mais le ministre a déjà dévoilé ses propositions sur France Culture le 22 février. Des quatre travaux ministériels lesquels semblent les plus prometteurs ? Quels obstacles sur la route de Pap Ndiaye ?
Le pays où la ségrégation scolaire est la plus forte
« De tous les pays développés, la France est le pays où la ségrégation scolaire est la plus forte« , a rappelé Pap Ndiaye sur France Culture le 22 février. « Or on sait que favoriser la mixité c’est améliorer les résultats du système« . Il annonce « proposer dans quelques semaines un certain nombre de leviers en partenariat avec les collectivités territoriales pour que les rectorats agissent pour favoriser la mixité scolaire« . Le débat demandé par le groupe socialiste du Sénat, le 1er mars, devrait être l’occasion pour le ministre de dévoiler davantage ses intentions.
La sectorisation
Mais, le 22 février, Pap Ndiaye a déjà proposé quatre voies pour améliorer la mixité sociale dans le système éducatif français. « On peut agir par sectorisation » dit P Ndiaye. Il rappelle que c’est le cas à Paris, allusion à la réforme d’Affelnet portée par le recteur. Celle-ci repose sur une nouvelle sectorisation calculée à partir de la distance du lycée par rapport au collège d’origine. Selon Pauline Charousset et Julien Grenet, elle a effectivement amélioré la mixité sociale des lycées parisiens. Mais elle a épargné les quartiers les plus bourgeois. Comme l’avait écrit J Grenet à propos des collèges parisiens , » la distance-domicile collège est un critère socialement biaisé« . L’étude de J Grenet et P Charousset souligne aussi que » le fait que les lycées privés ne soient pas intégrés à la procédure Affelnet constitue sans doute l’obstacle le plus sérieux au renforcement de la mixité sociale et scolaire dans les lycées de la capitale« . On verra que Pap Ndiaye veut avancer sur ce terrain aussi.
Les sections d’excellence
La seconde piste de Pap Ndiaye c’est la création de sections d’excellence dans les collèges les plus défavorisés « pour conserver la population scolaire qui sinon s’en irait« . Le ministre annonce que « toutes les sections internationales seront créées dans des collèges et des lycées défavorisés« . C’est la mesure qui semble le plus à la portée du ministre et en tous cas celle qui pourrait plaire aux familles. Mais des études montrent que c’est aussi la mesure la moins efficace. En 2016, l’étude de Son Thierry Ly et Arnaud Riegert (Ecole d’économie de Paris) pour le Cnesco a souligné les risques de ségrégation interne dans les établissements, une réalité déjà bien installée. La mesure risque de créer des « classes Camif » sans améliorer réellement la mixité sociale. Pour Pierre Merle, ces filières d’excellence favorisent « l’apartheid scolaire » . L’étude de Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard (Insee) montre qu’on a tout intérêt à mélanger les élèves forts et faibles.
Les collèges en binômes
La troisième piste évoquée par Pap Ndiaye c’est de procéder par binômes de collèges. Le ministère aurait ainsi identifié « 200 binômes pouvant faire l’objet de rapprochements« . Le ministre rappelle l’expérience des collèges parisiens, bien étudiée par Julien Grenet et Youssef Souidi. Cette expérience lancée par N Vallaud-Belkacem et la Ville de Paris, a porté sur 4 collèges parisiens, selon deux méthodes : la montée alternée et le choix scolaire régulé. Cette dernière méthode répartissait les élèves en fonction de leur quotient familial entre les deux collèges du secteur avec l’objectif d’égaliser les affectations. La montée alternée affecte alternativement chaque année les élèves de 6ème de tout le secteur bi-collèges dans un des deux établissements, les élèves y restant jusqu’en 3ème. Selon J Grenet et Y Souidi c’est cette méthode qui s’est révélée la plus efficace pour assurer la mixité sociale dans les collèges.
Mais les deux auteurs attiraient aussi l’attention sur les limites de cette politique. « Plus généralement, il serait illusoire de croire que l’objectif de mixité sociale puisse être réalisé par le seul moyen des secteurs multi-collèges, sans faire intervenir d’autres leviers. Le renforcement de la mixité sociale dans les collèges parisiens ne peut notamment faire l’économie d’une réflexion sur les moyens d’associer l’enseignement privé à cette démarche« .
Inclure le privé ?
C’est la quatrième piste ouverte par Pa Ndiaye. « On peut inclure le privé pour qu’il participe cet effort de mixité« , dit le ministre. « Nous sommes en échange avec l’enseignement privé pour parvenir à un protocole d’accord par lequel les établissements privés sous contrat s’engageront dans une démarche qui augmentera la proportion de boursiers« . Le ministre dit ne pas vouloir « faire passer les établissements privés sous les fourches caudines du public« .
On comprend son embarras. Mais l’expérience de Toulouse montre qu’il est possible d’exercer une pression sur les établissements privés en jouant sur leur dotation de fonctionnement sans déclencher la guerre scolaire. Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, ne ferme pas la porte. Mais, dans Le Parisien, il entend lier son accord à des aides supplémentaires pour la restauration scolaire dans ses établissements. En septembre 2022, face à la baisse des inscriptions dans le privé, P Delorme avait déjà réclamé de nouvelles aides publiques notamment pour la restauration. » J’en appelle à un engagement renouvelé de la puissance publique aux cotés de nos établissements, des familles qui les choisissent… Je ne suis pas en train de quémander. Je parle d’équité« , disait-il. Les élèves du privé ne bénéficient pas des mêmes aides que ceux du public pour la restauration et les transports scolaires.
Quel coût politique ?
Le combat pour lutter contre la ségrégation sociale et scolaire dans l’Ecole est exemplaire. On ne peut que soutenir Pap Ndiaye dans la poursuite de cet objectif. Si le ministre veut (enfin !) marquer son passage rue de Grenelle il a là une belle façon de le faire. Le débat du 1er mars pourrait permettre de savoir quelle(s) piste(s) a sa préférence. Car améliorer cette mixité a un coût. Il est frappant que le ministre n’évoque pas celui de l’accompagnement des établissements bénéficiant de davantage de mixité sociale. L’exemple de Toulouse montre qu’il ne suffit pas d’instaurer la mixité. Il faut accompagner les enseignants et les élèves dans cette démarche, ce qui veut dire y affecter des moyens supplémentaires. Mais il y a aussi le coût politique. Comment faire passer la mesure auprès des familles les plus favorisées et d’une première dame qui vient du privé ? Enfin comment la faire accepter aux collectivités locales qui vont en payer le double prix politique et financier ?
François Jarraud