Par François Jarraud
Les inégalités s’accroissent-elles ? Le niveau scolaire baisse-t-il ? Les citoyens se désintéressent-ils de la politique ? L’ouvrage de Louis Maurin analyse en 15 chapitres les grandes évolutions de la société française. Il aborde les métamorphoses de la famille, celles de l’école, la consommation, les catégories sociales, la sexualité, les valeurs. Journaliste à Alternatives économiques, Louis Maurin va directement aux sources statistiques qu’il connaît mieux que quiconque. Son ouvrage est donc une « bible » qui peut alimenter directement les cours de SES.
En même temps ce livre fait débat. D’abord parce qu’il prend à rebrousse-poil bien des préjugés courants. Pour Louis Maurin, il n’y a pas d’explosion de la fracture sociale. L’Ecole est socialement injuste. La société française est plus optimiste et dynamique que ce qu’on peut percevoir. Iconoclaste alors Louis Maurin ? Nous avons voulu en savoir davantage…
Entretien avec Louis Maurin : « Les enseignants ont un rôle énorme à jouer pour que les jeunes les moins bien armés socialement aient confiance »
Votre ouvrage brasse toutes les inégalités de la société française. Concernant l’Ecole il peut apparaître comme une défense systématique aussi bien pour son niveau que sa politique prioritaire. C’est une position décidée ?
Ce n’est pas un a priori. C’est le résultat de mon observation quand je mets les choses à plat. Si on prend ce recul, on se rend compte que l’Ecole, les services publics français en général, sont parmi les meilleurs du monde en terme de qualité d’offre et de gratuité. Après on peut avoir un regard critique mais il ne fat jamais oublier cette première réalité. L’école en France est une des plus performantes. Les services publics nous permettent d’avoir une qualité de vie parmi les meilleures au monde.
Mais peut-on parler de l’Ecole sans utiliser les évaluations internationales comme Pisa ?
Mon travail est centré sur la France et le chapitre sur l’Ecole n’est qu’un des 15 chapitres, ce qui m’a amené à réduire la partie sur les comparaisons internationales. Ceci dit, je cite Pisa page 124 et page 132. Par rapport à Pisa, la France a des résultats moyens en partie du fait de l’importance des redoublements en France qui fait qu’on se trouve chez nous avec un fort pourcentage de jeunes de 15 ans qui sont en troisième (et non en seconde) ce qui fausse les résultats.
Malgré tout, le constat global de Pisa est valable : la France a un niveau qui n’est pas spécialement brillant. Cela tient notamment à l’élitisme du système éducatif français. A 15 ans, la France fait partie des pays où l’origine sociale influence le plus les résultats scolaires. Cela tient à la façon dont l’Ecole est faite et les responsabilités politiques sont réelles.
Un des traits significatifs de l’école française c’est que, faite de données, on ne peut pas travailler sur certaines inégalités, comme les inégalités sociales et surtout celles qui existent entre établissements. Quel regard jetez-vous sur cette situation ?
Il y a de nombreux domaines où on ne dispose pas de données, par exemple le niveau des petites classes, ou l’effet de l’origine ethnique. Un sociologue comme Felouzis a du trouver des biais pour travailler sur ce sujet et apporter quelques données. Les polémiques récentes sur Base élèves, par exemple, risquent de nous faire perdre des statistiques précieuses. On peut se demander si cette contestation n’est pas utilisée pour qu’on ait moins de données. Ceci dit, on est pas les lus mal lotis en ce qui concerne l’éducation. C4est pire par exemple pour les loisirs.
L’Ecole actuelle réduit-elle les inégalités sociales ou les reproduit-elle ? Est-elle un instrument efficace de réduction des inégalités ?
Globalement, sur 30 ou 40 ans, c’est évident qu’on a une démocratisation de l’Ecole. Les enfants vont beaucoup plus à l’Ecole qu’hier. En revanche, P Merle a posé la question d’une évolution ségrégative. M Duru-Bellat pose celle du maintien des inégalités dans l’appareil scolaire mais à un niveau scolaire plus élevé. Aujourd’hui on ne compte que 11% d’enfants d’ouvriers en S. C’est plus que dans les années 60, mais c’est très peu. On a aussi des inégalités entre garçons et filles. Certaines filières ont changé. Mais celles sui sont utilisées par l’élite sociale se sont peu démocratisées. Les changements sont très lents. Mais il ne faut pas non plus exagérer les défauts de la massification.
Ce qui est certain c’est que la réponse n’est pas uniquement dans les moyens. Si on avait un meilleur budget on pourrait plus facilement avoir davantage d’aide, permettre aux enseignants de prendre en charge des groupes plus réduits. C’est clair que les suppressions de postes ne vont pas dans ce sens. L’augmentation des moyens ne réglerait pas tout mais dans certains domaines ça contribuerait à améliorer les choses. Il y aussi le formalisme scolaire, l’académisme qui progresse, l’évaluationnisme forcené. Page 132je montre par exemple que 53% des jeunes sont angoissés à l’école en France contre 7% des jeunes Finlandais. On a aussi un vrai problème d’épanouissement de nos élèves.
Votre ouvrage concerne directement les professeurs de S.E.S. Vous savez qu’il y a eu un débat sur la place de la sociologie dans cette discipline, avec par exemple l’idée d’une sociologie « positive ». Qu’en pensez-vous ? Faut-il élever les jeunes dans un regard critique ou privilégier la connaissance des mécanismes économiques ?
Je suis un produit des S.E.S.. Je suis entré au lycée avec elles. J’écris dans une revue, Alternatives économiques, où le principe de base c’est qu’on ne peut pas comprendre l’économie si on ne comprend pas les faits sociaux. Une économie sans société c’est une économie qui ne permet pas de comprendre le monde contemporain. Maintenant les sociologues devraient aussi s’intéresser plus aux questions économiques. Par exemple personne dans ce pays ne s’intéresse aux revenus. Pour comprendre le monde il faut lier les deux et ce serait inconcevable pour moi de faire de l’économie pour l’économie.
La question que je poserais c’est plutôt : a-t-on vraiment besoin d’une filière séparée pour cela ? L’enjeu me semble plutôt général. Ces filières à choisir sont un des problèmes de l’Ecole française. On fait faire des choix trop tôt par exemple en 3ème . Or les pays où on réussit le mieux sont ceux où on laisse le temps, par exemple ceux où on apprend à lire tardivement.
Pour revenir à votre question, dans tout cela il y a un débat politique. L’objectif de la sociologie n’est pas de jeter un regard critique mais de comprendre les sociétés. Mais dans l’école sociologique française c’est vrai qu’on s’est beaucoup intéressé aux inégalités. Ce serait sans doute plus arrangeant politiquement de réduire le poids de la sociologie. Quand on regarde l’évolution récente, on peut quand même mettre en doute la capacité des économistes classiques à émettre des jugements pertinents… Si on creuse les savoirs sociologiques, on voit bien ces dix dernières années ont vu naître des courants de pensée différents, nuancés.
Mais le thème des inégalités n’est-il pas un thème typiquement français ?
Mon ouvrage n’est pas un livre sur les inégalités. Je ne fais pas partie des gens qui écrivent sur l’aggravation de la fracture sociale. On ne doit pas dramatiser les choses. La France n’est pas les Etats-Unis. Autant je pense qu’on ne doit pas réduire l’étude de la société à celle des inégalités, autant on ne peut pas comprendre la société si on les oublie. A l’Ecole précisément il faut se méfier de toute forme de déterminisme social que les jeunes finiraient par intérioriser. Les inégalités sociales ont deux moteurs : objectif et subjectif. Il ne fait pas alimenter le fatalisme chez les jeunes. Il faut au contraire le combattre par exemple chez les jeunes filles. Les enseignants ont un rôle énorme à jouer pour que les jeunes les moins bien armés socialement aient confiance et évitent l’échec.
Louis Maurin
Entretien François Jarraud
Louis Maurin, Déchiffrer la société française, La Découverte 2009, 368 pages.