Depuis plusieurs mois, le Café pédagogique fait de la thématique des nouveaux programmes d’EPS une question au cœur des évolutions du système éducatif et plus particulièrement en ce qui nous concerne, au cœur de la discipline. Christian Couturier, secrétaire national du Snep Fsu, le syndicat très majoritaire chez les professeurs d’Eps, que nous avions déjà rencontré fin 2014 a bien voulu répondre à nos questions et exprimer ainsi la position du SNEP sur les programmes.
Quelle lecture faites-vous des propositions concernant les programmes EPS du cycle 3 et du cycle 4 ?
Même si les enseignants de collège sont directement concernés par les cycles 3 et 4, nous pensons qu’il faut considérer l’ensemble des cycles qui constituent le cursus complet de la scolarité obligatoire. Par ailleurs, il faut comprendre la nouvelle articulation socle-programmes pour ne pas s’en tenir à la seule lecture de ce qui est appelé « volet 3 », c’est-à-dire la dernière partie de l’écriture. C’est une organisation totalement nouvelle. On peut la critiquer si l’on pense que l’ensemble manque de clarté, mais seule la lecture de l’ensemble en permet la compréhension. Cet ensemble débute avec le socle commun et ses 5 domaines (les langages, les méthodes, la citoyenneté, sciences et techniques, représentations du monde et de l’activité humaine) qui précise les finalités de la scolarité obligatoire. Le SNEP s’est investi depuis 2012 pour faire en sorte que les principaux éléments de la culture physique sportive et artistique fassent partie des fondamentaux. C’est chose faite, c’est voté. Nous sommes fiers de cette victoire, historique, d’autant que nous avons été seuls à faire avancer ce dossier. D’autres organisations syndicales ont tout fait, notamment dans la dernière phase juste avant le vote, pour limiter au maximum ce qui concerne l’EPS.
Ensuite il y a la partie « programme de cycle », qui propose de façon générale la mise en relation des disciplines avec l’âge des enfants à chaque période de la scolarité (volet 1). Puis il y a la contribution de chaque discipline au socle, qui constitue selon nous l’apport original des disciplines, sa véritable « matrice disciplinaire » (volet 2). Enfin la dernière partie (volet 3) rentre plus spécifiquement dans les objets d’étude. C’est compliqué, il faut le reconnaitre, la lecture est éclatée.
Plusieurs collègues s’interrogent (voir sur le site Pepsteam par exemple) sur le « manque de cohérence » entre le cycle 3 et 4 ? Quel est votre point de vue sur ce point précis ?
En première lecture, il y a effectivement une impression de formes différentes dans l’écriture. Nous avons déjà interrogé le CSP sur ce sujet : le manque de temps, la non imposition d’un cadre commun avec des contraintes similaires, ont produit des écarts manifestes. Nous espérons, mais ça parait évident, que le travail des textes après la consultation permettra un affichage commun.
Mais nous avons pris le temps d’aller plus loin pour rentrer dans le détail et comparer les cycles 3 et 4 sur le fond. Et là, abstraction faite des effets d’affichage, il y a plus de similitudes qu’on ne veut bien le croire. En fait, il n’y a que deux différences notables : les APSA sont citées dans le cycle 3 et pas dans le cycle 4, et les sports de raquettes et de combats sont regroupés dans une même « compétence », comme ça l’était dans les IO de 85. Il faudra s’appuyer sur le cycle 3 pour réinsérer précisément les APSA dans le cycle 4. Quant au regroupement raquette/combat, nous pensons que c’est une erreur épistémologique et pratique. D’ailleurs ce regroupement n’est pas opérationnel puisque le cycle 3 a été obligé de bien différencier les 2 dans ses « attendus ».
Bref, il y a du travail, mais pas très compliqué, pour ça ne doit pas insurmontable. Un dernier mot quand même sur votre question : que signifie « cohérence » ? Si c’est juste l’affichage, nous venons de le voir. Mais pour le reste ? Il serait bien que chacun s’interroge sur ce qu’on entend par là. Quelles continuités, quelles ruptures entre le primaire et collège, entre la sixième et la cinquième ? Faut-il absolument les mêmes choses, surtout dans des conditions d’enseignement tellement différentes ? Bref, dénoncer un manque de cohérence, tout comme souhaiter une forte cohérence, n’est pas si évident que cela.
Justement vous questionnez le terme « cohérence », mais vous reconnaissez que ces textes sont compliqués à lire, quel est donc l’objectif pour les équipes EPS à la fin du cycle 3 et l’objectif à la fin du cycle 4 ?
Les profs d’EPS connaissent aujourd’hui les objectifs de fin de primaire ? Et vous croyez que tous les élèves arrivent au lycée avec un niveau 2 dans 8 groupes ? Il faut mettre tout à plat et prendre le temps de construire des modifications à apporter au projet.
Et pour cela il faut aborder le fond du problème : que doit-il y avoir dans un programme, comment l’organiser, comment fixer les étapes de la scolarité ? Jusqu’à présent, et en dépit du fait que dans la pratique ça ne fonctionne pas, on nous a habitué à travailler avec des « niveaux ». Et en plus des niveaux qui se suivent de façon linéaire. En 96 il y avait le programme 6ème, puis 5ème/4ème, puis 3ème. A partir de 2000 on a remplacé ça par des niveaux, d’abord pour les lycées, puis pour les collèges en 2008. Mais l’apprentissage n’est pas linéaire et on peut travailler à l’école primaire des niveaux que d’autres n’atteindront pas au lycée… Comment aborder cette question ?
Sur le principe, la notion de « curriculum » devrait nous aider à penser un enseignement « physique sportif et artistique » tout au long de la scolarité. Sauf que c’est extrêmement difficile à concevoir. Ça demande une bascule conceptuelle et nécessite de repenser les outils simplistes dont on a pu se doter jusqu’à présent. Notamment en reprenant sur le fond la notion même de compétence (comme a pu le faire Maurice Portes pour le handball, mais aussi à un autre niveau Didier Delignières) : il n’y a pas une compétence découpée en tranches (niveau 1,2, etc.) mais la même compétence qui se développe dans des situations de plus en plus complexes et de plus en plus contraignantes. Sans doute qu’en EPS, nous ne sommes pas encore en capacité de bien formaliser tout ça. Alors quand je lis que les programmes 2008 étaient révolutionnaires, j’avoue que ça m’amuse, car en dehors des niveaux de compétences attendues, tout ce qui est écrit dans les programmes 2008 l’avait été dans les textes précédents. Et les niveaux, c’est justement ce qui pose problème.
Pour en revenir directement à la question, le CSP a tenté de travailler dans cet esprit « curriculaire », il ne s’en est pas caché, en remplaçant les niveaux par des « repères de progressivité » qui tentent de renvoyer à la situation de plus en plus complexe dans laquelle s’exerce la compétence, ainsi qu’à la gestion des ressources par l’élève… Mais ça reste incertain et dans des registres différents selon les activités. Le résultat n’est donc pas très probant.
Il faut avancer en faisant des choix clairs. Soit on reste sur le registre de la complexification de la situation, en donnant 3 ou 4 repères de ce type sur le cursus, avec des indications renvoyant aux attendus, soit faire le choix de la gestion des ressources. Par exemple pour reprendre les propositions du CSP :
1. Repérer l’espace athlétique (élan, zone d’appel, espace à franchir, limites à ne pas dépasser, départ/arrivée…) et accepter les déséquilibres provoqués par la vitesse, pour agrandir l’espace ou raccourcir le temps (Objectif minimum cycle3)
2. S’organiser pour construire une continuité spatio-temporelle d’actions : enchainer course et impulsion ou course et lancer en conservant vitesse et tonicité sans ralentir avant la zone d’appel ou l’aire de lancer (Objectif minimum cycle 4)
3. Anticiper les actions à venir pour améliorer ses performances. Optimiser les trajectoires, les forces exercées et les vitesses produites (approfondissement).
Il faut de toute façon chercher dans ce sens. On ne peut plus en rester à un découpage formel qui ne renvoie ni à la complexité de la pratique, ni à celle de l’apprentissage. Je ne sais pas si le CSP aura les ressources pour travailler ça ? J’ai peur que l’on en revienne, par paresse, au saucissonnage habituel qui a pourtant fait la preuve de son inefficacité. Mais bon, je suis d’accord pour dire que la proposition actuelle est floue et qu’il faut la reprendre. Espérons que le ministère offrira les moyens nécessaires à un travail constructif et collectif.
N’y a-t-il pas un risque d’entrer dans une stratégie de zapping à travers le passage par les 8 groupements d’activités au cycle 4 en l’espace de 3 ans ? Cela vous semble t-il réaliste ?
Il n’y a pas que le temps qui est à l’origine de l’absence de précision. Il y a aussi le choix du CSP de s’orienter vers des textes moins prescriptifs. Regardez ce qui est écrit dans les autres disciplines, en math, en langues… c’est exactement la même chose. Le CSP a expliqué dès le début sa démarche : il voulait redonner du pouvoir de conception à l’enseignant et aux équipes pour ne cibler que des « repères », des thèmes d’étude incontournables. Donc c’est un problème global qui ne touche pas que l’EPS. Est-ce qu’on souhaite aller vers plus de prescription ou moins de prescription ? C’est un choix qui renvoie au statut et au rôle de l’enseignant. La profession devra se prononcer. Nous pensons qu’aujourd’hui, moins de prescription c’est redonner du pouvoir aux équipes. Il faut quand même ne pas oublier que nous sommes la seule discipline être encadrée et par les programmes d’un côté et la certification de l’autre. Aucune autre discipline n’est dans ce cas. Soit c’est le programme qui est prescriptif, soit la certification (dans le cas des enseignements professionnels) mais les deux, ça ne donne plus aucune marge aux équipes. Nous rencontrons des centaines de collègues en ce moment pour justement parler des programmes. Beaucoup nous disent : on n’a plus l’habitude de réfléchir, à quoi bon, une fois qu’on a appliqué les textes… Oui, à quoi bon former des enseignants à bac+5 ?
Pour ce qui est du zapping, on touche à une question essentielle, vitale pour la discipline. Je voudrais cependant rappeler que le « zapping » existe aujourd’hui. Rappeler à ceux qui l’auraient oublié que c’est l’institution qui a imposé le « passage » par les 8 groupes, nous disions alors que 5 (en 2005…), ça serait déjà pas mal, pour ne pas amputer les temps d’apprentissages. Donc il ne faudrait pas retourner la situation : ce sont les mêmes qui ont refusé toute forme d’approfondissement au prétexte que ça serait trop se rapprocher du sport qui aujourd’hui s’interrogent sur « l’éternel débutant ». L’éternel débutant est le fruit de la politique en matière d’EPS depuis 30 ans.
Nous avons toujours défendu un approfondissement pour toutes et tous. Les élèves ont tous le droit d’atteindre un « sentiment de compétence », pas seulement celles et ceux qui ont des pratiques à l’extérieur de l’école. Ce qui ne nous empêche pas de plaider dans le même temps pour une « ouverture culturelle ». Nous avons clairement avancé cette idée auprès du CSP, qui nous a apparemment entendus sur le principe. Mais il n’a pas été au bout de l’idée, en donnant plus de repères. Les discussions avec les collègues nous donnent actuellement quelques indices sur ce qui pourrait être l’objet de notre demande de précision. La découverte pourrait correspondre aux 10h de pratiques, une relative stabilisation autour de 20h, et un approfondissement autour de 60h. C’est tout à fait gérable dans le cadre du collège.
Mais il faut que l’institution comprenne que la sixième continuera à se faire dans le collège, cycle ou pas cycle. Par conséquent la programmation devra couvrir le collège et non uniquement le cycle 3 ou 4. Comment concevoir, de l’école primaire au collège, une programmation quand on sait que plusieurs écoles alimentent un collège. La « cohérence » dépend des conditions pratiques et de l’accès aux installations. Par conséquent nous demanderons une formulation dans les programmes qui intègre cet état de fait.
Pour revenir sur la volonté affichée de baisser le nombre de prescriptions, on peut imaginer le retour également de certaines APSA qui n’étaient plus dans la liste ?
La liste limitative d’APSA n’a pas été constituée de façon transparente, avec des critères explicites. Elle est au final peu pertinente. En tout cas ça n’a pas apporté un plus aux élèves, et même plutôt un moins pour des établissements qui avaient fait des choix différents, mais tout aussi éducatifs. Nous ne nous battrons pas pour son rétablissement.
Pour résumer, quels sont les points d’évolutions qui vous semblent prioritaires dans le volet 3 du cycle 3 et 4 ?
Même si ce n’est pas essentiel à nos yeux pour les élèves et l’enseignement de l’EPS, nous allons proposer au CSP un cadre de présentation commun aux différents cycles. Retrouver les mêmes « cases » peut simplifier la lecture. Ensuite nous pouvons proposer, dans le même esprit, un préambule commun (qui redise notamment les finalités puisque ça semble être un problème), ainsi qu’un volet 2 (contribution des disciplines à l’acquisition du socle). Tout cela donnera une forme plus lisible.
Pour le reste, un programme doit donner des repères sur les « thèmes d’étude ». C’est ainsi que toutes les disciplines ont travaillé dans le cadre du CSP. On a deux options fondamentales : soit on se démarque de ce travail et on demande des programmes plus « lourds » que ceux qui sont proposés (mais il va y avoir des problèmes d’alignement avec les autres disciplines), soit on accepte le cadre, et on travaille la suite de ce qui est annoncé, à savoir les documents d’accompagnement (ou les fiches ressources actuelles) pour donner des repères précis, APSA par APSA, aux enseignants. Pour l’instant le SNEP ne s’est pas inscrit en rupture avec le travail du CSP, mais on verra comment la question va être posée suite à la consultation. Si ça ne va pas dans le bon sens, alors nous durcirons notre position.
Les thèmes d’études (lorsque le CSP écrit : « produire de la vitesse pour… » c’est bien un thème d’étude !), de façon explicite pour le cycle 4, articulent la compétence, la référence au socle, les ressources de l’élève (les 3 premières colonnes du tableau) et la mise en correspondance des groupes d’APSA. Je trouve assez étonnantes les critiques qui s’élèvent contre cette présentation qui n’est finalement que l’opérationnalisation des 3 objectifs généraux : les compétences qui offrent (entre autres) des outils de gestion de la vie physique, le développement des ressources, et la relation avec le patrimoine culturel. Nous trouvons ce cadre plutôt intéressant parce qu’il permet de dépasser enfin, en les concrétisant, les discours idéologiques sur l’EPS.
Tout le problème est donc la pertinence et le degré de précision du contenu des tableaux des volets 3. Là est le véritable débat. Or c’est là dessus que les critiques actuelles sont faibles. A cette étape, nous n’avons pas eu le temps de travailler à suffisamment grande échelle pour faire des propositions construites qui dépassent les impressions personnelles. Mais c’est là que nous devons faire porter nos efforts. Dans ce sens, la critique du CEDREPS, au delà d’une phraséologie de surface, peu opérationnelle, sur les APSA, interroge le projet de façon pertinente. Nous souhaiterions avoir des débats sérieux dans les semaines à venir. Nous verrons si le CSP a la capacité de les organiser.
Ensuite il faut mieux préciser les repères de programmations. Je l’ai dit, la seule issue au zapping, au fameux « éternel débutant » (qui reste très abstrait, il faut bien l’avouer), c’est d’offrir à chaque élève un véritable approfondissement, tout en conservant une ouverture culturelle raisonnable. Peut-on, faut-il chiffrer tout ça ? Nous attendons encore de discuter avec la profession.
Cela dit, il faut apprécier une chose aujourd’hui : aucune discipline dans les projets actuels ne donne de repères temporels sur leurs compétences ou objets d’étude. On suppose sans doute que les enseignants sont suffisamment « concepteurs » pour savoir programmer leur enseignement. Peut-être qu’en EPS il y a une peur irrépressible. De quelle nature ? Si les profs ne sont pas capable de faire ce travail, il faut peut être aussi interroger la formation et ne pas croire que les programmes vont tout régler. La discussion est ouverte.
Enfin il faut mieux préciser les étapes ou les attendus. Nous ferons des propositions probablement, et nous espérons que tout le monde en fera…. De toute façon il faudrait que des réajustements des programmes puissent s’opérer chaque année, avec la mise en place d’un observatoire paritaire des pratiques. Chose souvent promise, jamais réalisée.
Nous attendons impatiemment qu’une fois la première vague passée (contre la culture, contre le sport, etc.), le véritable débat sur le cœur des programmes s’engage. Le CSP a ouvert un espace de discussion qui était bloqué depuis quelques années. Rien que pour cela, c’est un progrès.
Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut