Une étude menée par Viavoice pour le collectif Une voie pour tous met en lumière l’image du lycée professionnel au sein de la société, tout comme l’expérience des anciens élèves. Le collectif, composé d’élèves et anciens élèves du lycée professionnel, plaide pour une réforme de la voie professionnelle. Constatant que le lycée professionnel « concentre les problèmes du système éducatif », il souhaite, comme l’affirme Dylan Ayissi – fondateur du collectif – « alimenter le débat ». Dans le cadre de la campagne présidentielle de 2022, il avait proposé la création de nouvelles filières pour rendre la voie professionnelle plus attractive et en adéquation avec les attentes des élèves tout comme les besoins de la société.
Quels enseignements tirer de cette étude ? Tout d’abord, l’enquête met en exergue l’image positive du lycée professionnel comme ses faiblesses, qui lui sont extérieures: son manque de valorisation, le problème de l’orientation. Aussi, cette enquête révèle que le projet de réforme du gouvernement ne répond ni aux enjeux de la transition écologique, ni aux besoins et attentes des Français. Et surtout le projet n’apporte pas de réponse au défi des inégalités et de la dévalorisation sociale du lycée professionnel. La publication des IPS est à cet égard sans appel : 93,4% des lycées professionnels ont un IPS inférieur à la moyenne nationale.
Une image positive du lycée professionnel
L’étude souligne une image positive du lycée professionnel en dépit d’un manque d’attractivité : 84% d’anciens élèves déclarent qu’il a été une bonne expérience. L’enseignement théorique est le critère le plus important pour 49% et il est important pour 87% des Français. Ainsi est plébiscité l’attachement au modèle scolaire de la formation. Comment l’interpréter si ce n’est la reconnaissance de ce qui fonde et fait sens à l’École : les savoirs, les projets, l’accompagnement pédagogique, l’École comme lieu de socialisation et d’épanouissement. Dans le lycée professionnel, le terme « lycée » est ainsi mis au cœur, comme le statut de « l’élève » par opposition au statut de travailleur, ce qui correspond aux discours et combats des équipes pédagogiques et des syndicats.
Cette importance accordée aux savoirs théoriques se justifie en effet par la fonction réparatrice du lycée professionnel qui accueille des élèves, souvent plus fragiles scolairement comme socialement, donc orientés dans la voie professionnelle, considérée souvent comme une sous-voie. En cela, cette étude montre le décalage avec le projet de réforme d’augmenter les périodes de stage, tout comme le décalage avec la réforme précédente qui a vu baisser le nombre d’heures d’enseignement général.
La dimension éducative et non exclusivement professionnelle du lycée, apparaît comme essentielle. A rebours de la double-tutelle programmatique de la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnelle auprès du ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion et du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse.
Le défi de la question sociale
D’après l’enquête, les points négatifs et les faiblesses du lycée professionnel sont l’orientation et la dévalorisation sociale. Le niveau scolaire, l’accessibilité financière de la formation, le milieu social et l’influence des parents apparaissent comme des critères surdéterminants dans le choix d’orientation. Près de 7 Français sur 10 estiment que les élèves au collège en classe de troisième sont majoritairement mal informés dans le cadre de leur orientation au lycée (68 %). Pour plus d’1 Français sur 2 (52 %), le milieu social d’origine impacte le niveau d’information sur l’orientation au lycée apporté aux élèves en classe de troisième. Concernant l’orientation en lycée professionnel, les résultats de l’étude font là aussi apparaître une perception de cette orientation comme largement conditionnée : elle ne serait choisie que pour 10 % de la population quand plus d’un tiers (37 %) estime qu’elle est subie. Il serait intéressant de comparer ces perceptions et données avec une approche comparative entre les lycées professionnels publics et privés sous contrat.
Ainsi, l’enjeu social représente la faiblesse principale du lycée professionnel, perçu comme dévalorisé, stéréotypé, à cause d’un faisceau de causes : orientation par défaut, concentration de difficultés, conduisant à renforcer les discriminations. L’origine majoritairement défavorisée des élèves de la voie professionnelle, donc le séparatisme social et scolaire, alimente l’image négative, le regard social dévalorisé porté sur cette voie. Pour la quasi-totalité des Français, la scolarité dans la voie professionnelle expose à des discriminations.
Le décalage entre idéal et réalité de la voie professionnelle est frappant et révélateur : près de 9 Français sur 10 pensent que l’orientation en lycée professionnel devrait concerner n’importe quel élève qui souhaite acquérir des compétences professionnelles mais seule la moitié pense que l’orientation concerne en réalité n’importe quel élève. Le fossé entre théorie et réel résume le défi du lycée professionnel : devenir un choix pour tous les élèves. Or, tant que 79% pensent que l’enseignement n’y est pas assez dévalorisé, cet écart pourrait-il baisser ?
Le lycée professionnel est un lieu de déterminisme social, le reflet des inégalités de la société française et il est vécu comme tel par les élèves. L’enjeu de justice sociale est donc essentiel. La transformation et l’attractivité du lycée professionnel ne peuvent donc faire l’économie de la question du séparatisme social et scolaire comme celle de l’attractivité du lycée professionnel, soit une remise en question du système éducatif. Or, la réforme annoncée ne répond pas à ce chantier, et, au vu de cette étude, elle est, comme l’affirme Dylan Ayissi, « déconnectée » des enjeux, des besoins et attentes des Français.
Djéhanne Gani