En quatrième, nous avons travaillé le théorème de Pythagore. En principe, les élèves sont outillés et savent à peu près tout faire : calculer la longueur si deux sont connues dans un triangle rectangle, prouver qu’un triangle est rectangle ou ne l’est pas, connaissant les mesures de longueur des trois côtés. Mais les situations que nous avons travaillées sont toutes purement mathématiques, soit pseudo concrètes :
Travailler des exercices contextualisés mais représentés en version papier, c’est important, pour travailler la compréhension d’une consigne complexe et l’extraction d’informations, les images mentales, et puis comprendre à quoi ça sert, justement, tout cela. Des exercices purement mathématiques, sans contexte, c’est important aussi : les mathématiques sont utiles, mais il faut aussi s’entraîner pour travailler les gestes mentaux, ce qui est parfois plus accessible pour les élèves en difficulté, puisque moins d’informations sont données et qu’on se centre sur les données et la question. Et on peut trouver des exercices un peu rigolos, comme ce pile up, que j’aime beaucoup, qui permet d’automatiser tout en devant rester très attentif, et qui fait un peu voyager :
Mais voilà, j’aime bien aussi travailler des exercices complètement concrets. Je m’inspire donc d’un exercice du manuel Sesamaths (certains exercices ci-dessus en sont également issus), en le « mettant en matériel » plutôt que de le mettre en mots ou en images. Voilà à quoi ressemble cette séance.
D’abord, je présente l’objet central : un arc pour enfant. Il appartenait à un de nos garçons quand il était enfant. La corde est élastique.
Une fois l’objet présenté, ma question est la suivante : pourquoi est-ce que je vous présente cet objet ? Que pourrions-nous bien faire avec ?
Évidemment, les propositions initiales sont « lancer des flèches », assorties de pas mal de propositions plus ou moins farfelues et inenvisageables. Je le sais, je m’y attends, et d’une certaine façon cela fait partie du jeu : à ce moment-là, j’ai l’attention de toutes et tous. Alors je recentre : « on est en maths, vous vous souvenez ? »
Les élèves cherchent, parfois trouvent, parfois se disent qu’il y aurait bien du théorème de Pythagore dans l’air… Mais ce n’est pas si facile de modéliser notre arc. Le premier élément qu’ils trouvent, en général, c’est « de combien la corde s’allonge-t-elle quand on la tend ? » C’est bien, déjà, mais cela manque de contraintes : je peux la tendre plus ou moins. Et exprimer cette tension en termes de force paraît difficile en quatrième. Alors comment faire ? « On peut dire comment on la recule, madame ! » émerge, la plupart du temps. « Ok, mais reculer comment ? Finalement c’est un peu comme se demander comment on la tend, quelle force on exerce, il faut encore préciser… » Alors nous débattons, et toujours des élèves trouvent que plus on éloigne la main du bois de l’arc, plus la corde est tendue. Aaaaah, nous y voilà : nous pourrions mesurer la distance entre la main et l’arc. Mais quelle partie de la main ? Quelle partie de l’arc ? Comment définir des points, vraiment passer à la modélisation mathématique, mais en ayant posé le vocabulaire qui permet à chacun(e) de comprendre sans équivoque ? Croyez-moi, c’est tout un truc d’en arriver là.
Au bout d’un moment, d’efforts et de partages, nous avons une consigne. Parfois on donne la distance point de tension de la corde – « centre » de l’arc, parfois la longueur dont la corde s’allonge. Et il faut calculer l’autre donnée. Mais pour que cela soit possible, il faut encore repérer les différentes mesures : c’est très difficile pour une majorité d’élèves de faire le lien entre la longueur de la corde au repos et le double de l’hypoténuse d’un triangle rectangle qu’ils repèrent assez facilement.
Il rester encore à mettre en forme la consigne de façon définitive, à prendre les mesures sur l’arc « en vrai », à vérifier qu’elle est explicite, et à résoudre le problème. Une dernière étape est d’attribuer des noms aux points importants : certains élèves hésitent encore à considérer qu’ils en ont le « droit », ou s’interrogent sur un choix plus pertinent qu’un autre pour nommer ces points.
L’idéal, c’est de pouvoir proposer l’exercice à une autre classe. Cette année, ce devrait être possible avec un de mes collègues. Les réponses nous reviennent et les élèves peuvent les analyser : quels écueils ? Sont-ils imputables à la consigne, à la présentation du problème, ou à des erreurs de raisonnement, des manques dans les savoirs ? Les réponses sont-elles justifiées, suffisamment, correctement ?
Là, nous aurons exploité cet arc d’enfant. Nous aurons retravaillé l’égalité de Pythagore, mais surtout nous aurons réfléchi à la modélisation et à la façon dont on met en mots une consigne. Devoir la transmettre oblige à réfléchir à ses propres besoins.
Et comme ça, on sait à quoi ça sert, le théorème de Pythagore : ça sert à calculer des trucs chelous sur un arc de gamin. Enfin, c’est ce que m’a dit un élève il y a deux ans. En ajoutant « et c’était trop dar, j’ai bien aimé madame ».
Claire Lommé